Quelque part,
entre la fin d'été et le début d'automne, alors que le soleil
dardait ses rayons sur une végétation prospère, nous fréquentions
une presqu'île bretonne offrant aux gourmandes que nous étions, un
passe-temps agréable et utile. Pour rien au monde je ne révélerais
la position exacte des champs où nous avions l'habitude de remplir
nos seaux. Et ce pour deux raisons. La première tient à un
itinéraire compliqué à travers des bourgeons de lieux dits, une
suite de ronds-points et un ru pierreux et asséché qu'on ne pouvait
emprunter qu'à pied. La seconde nous impose de conserver le secret
sur les meilleurs coins de récolte du précieux fruit. Au bout d'une
courte marche d'une vingtaine de minutes, nous arrivions sur les
lieux. Il s'agissait d'une succession de champs bordant un bras de
mer envasé où gisaient quelques épaves au milieu des salicornes.
Ces dernières ne nous intéressaient guère. Les pépites que nous
venions chercher étaient plus sucrées, plus douces au palais. Nous
commencions toujours par le même champ dont l'entrée était
encadrée de pruniers sauvages. Je choisissais d'en longer le bord de
droite et ma mère le bord de gauche. Ainsi nous finirions par nous
rejoindre sans la nécessité de vérifier où était l'autre. Armée
d'un long bâton muni de pointes à son extrémité et d'un seau, je
scrutais donc les ronciers qui s'épanouissaient aux pieds des
pruniers. Les premières mûres dans ce coin ombragé étaient de
petite taille, mais riche en saveur. Je m'en emparais de la main
droite en évitant les épines. Une, deux... jusqu'à six mûres dans
la main avant de les jeter dans le récipient. La cueillette
démarrait fort. Dans le bas du roncier s'entremêlaient des orties
sur lesquelles je m'abîmais la peau. La piqûre était bien plus
désagréable que les griffes des ronces et je ne pus réprimer un
petit cri de douleur. Mais cela ne suffirait pas à me faire
abandonner cette chasse au trésor. Sur de nombreuses baies, des
insectes à carapace dorée semblaient faire le guet, je les
dégageais d'une pichenette avant de saisir chaque mûre. Plus loin
les fruits étaient plus charnus, mais gorgés d'eau, ils éclataient
à la moindre traction. Vers le fond du champ en plein soleil une
petite cabane en bois servait de support aux ronces et je savais que
les mûres y seraient plus fermes. Je délaissai donc les fruits
incueillables pour ceux-ci. En un tournemain j'avais un seau à
moitié rempli de grosses mûres bien juteuses et sucrées. Bientôt
nous nous rejoignîmes au niveau d'un bosquet bien garni lui aussi.
La cueillette était une réussite. Nous échangeâmes des sourires,
signe que nos seaux étaient bien remplis. Il émanait d'eux un fort
parfum fruité qui nous laissait déjà imaginer l'odeur qui
envahirait la cuisine au moment de la préparation de la gelée. La
cueillette achevée restait à préparer la mixture et remplir les
pots de confiture. Ma mère aimait à varier un peu le goût de la
gelée en y ajoutant parfois de la cannelle ou du gingembre. Dès le
lendemain nous pouvions en goûter le résultat sur des tartines de
brioche lors du petit déjeuner. Naturellement c'était un régal, un
plaisir qui prolongeait un peu le temps de la cueillette et qui lui
donnait une part d'éternité. Des mûres il y en aurait toujours.
Elles reviendraient chaque année, et chaque année nous serions au
rendez-vous à nous écorcher les mains dans les ronciers fertiles.
J'aime beaucoup te lire, tu nous fais partager un plaisir gourmand, qui sens bon la nature et qui renvoie à l'enfance. Il y a bien plus que du fruit dans cette cueillette !
RépondreSupprimerTremblez ronciers : l'écumeuse va passer ! ];-D
RépondreSupprimerLa nature nous offre bien des plaisirs quand on sait l'observer. Et les mûres dans les ronciers, les airelles sur les collines, les prunelles sur le causse nous donnent des gelées et des tartes au goût légèrement acidulé et sauvage qui font les délices des petits déjeuners et des desserts.
RépondreSupprimerBelle évocation Ecumeuse ! Un plaisir de te lire parce que tu sais faire partager.
Promis, je ne le répèterai pas. Allez, dis-moi l'endroit
RépondreSupprimerEn lisant ton très beau texte, j'ai irrésistiblement pensé à cette chanson :
RépondreSupprimerhttps://youtu.be/_G68fwCijFo
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
les coins à cueillette sont un plaisir ineffable, et on y revient fidèlement :)
RépondreSupprimerMagnifique souvenir, joliment conté.
RépondreSupprimerAie, maintenant, j'ai envie de gelée de mûres !
La première et la dernière phrase suffisent à rassembler la beauté (et la bonté) de ce texte. A genoux, quoi ! C'est si bon de te retrouver ici, chère Ecumeuse.
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