mercredi 13 mars 2019

Ecumeuse - Plaisirs minuscules

Quelque part, entre la fin d'été et le début d'automne, alors que le soleil dardait ses rayons sur une végétation prospère, nous fréquentions une presqu'île bretonne offrant aux gourmandes que nous étions, un passe-temps agréable et utile. Pour rien au monde je ne révélerais la position exacte des champs où nous avions l'habitude de remplir nos seaux. Et ce pour deux raisons. La première tient à un itinéraire compliqué à travers des bourgeons de lieux dits, une suite de ronds-points et un ru pierreux et asséché qu'on ne pouvait emprunter qu'à pied. La seconde nous impose de conserver le secret sur les meilleurs coins de récolte du précieux fruit. Au bout d'une courte marche d'une vingtaine de minutes, nous arrivions sur les lieux. Il s'agissait d'une succession de champs bordant un bras de mer envasé où gisaient quelques épaves au milieu des salicornes. Ces dernières ne nous intéressaient guère. Les pépites que nous venions chercher étaient plus sucrées, plus douces au palais. Nous commencions toujours par le même champ dont l'entrée était encadrée de pruniers sauvages. Je choisissais d'en longer le bord de droite et ma mère le bord de gauche. Ainsi nous finirions par nous rejoindre sans la nécessité de vérifier où était l'autre. Armée d'un long bâton muni de pointes à son extrémité et d'un seau, je scrutais donc les ronciers qui s'épanouissaient aux pieds des pruniers. Les premières mûres dans ce coin ombragé étaient de petite taille, mais riche en saveur. Je m'en emparais de la main droite en évitant les épines. Une, deux... jusqu'à six mûres dans la main avant de les jeter dans le récipient. La cueillette démarrait fort. Dans le bas du roncier s'entremêlaient des orties sur lesquelles je m'abîmais la peau. La piqûre était bien plus désagréable que les griffes des ronces et je ne pus réprimer un petit cri de douleur. Mais cela ne suffirait pas à me faire abandonner cette chasse au trésor. Sur de nombreuses baies, des insectes à carapace dorée semblaient faire le guet, je les dégageais d'une pichenette avant de saisir chaque mûre. Plus loin les fruits étaient plus charnus, mais gorgés d'eau, ils éclataient à la moindre traction. Vers le fond du champ en plein soleil une petite cabane en bois servait de support aux ronces et je savais que les mûres y seraient plus fermes. Je délaissai donc les fruits incueillables pour ceux-ci. En un tournemain j'avais un seau à moitié rempli de grosses mûres bien juteuses et sucrées. Bientôt nous nous rejoignîmes au niveau d'un bosquet bien garni lui aussi. La cueillette était une réussite. Nous échangeâmes des sourires, signe que nos seaux étaient bien remplis. Il émanait d'eux un fort parfum fruité qui nous laissait déjà imaginer l'odeur qui envahirait la cuisine au moment de la préparation de la gelée. La cueillette achevée restait à préparer la mixture et remplir les pots de confiture. Ma mère aimait à varier un peu le goût de la gelée en y ajoutant parfois de la cannelle ou du gingembre. Dès le lendemain nous pouvions en goûter le résultat sur des tartines de brioche lors du petit déjeuner. Naturellement c'était un régal, un plaisir qui prolongeait un peu le temps de la cueillette et qui lui donnait une part d'éternité. Des mûres il y en aurait toujours. Elles reviendraient chaque année, et chaque année nous serions au rendez-vous à nous écorcher les mains dans les ronciers fertiles.

8 commentaires:

  1. J'aime beaucoup te lire, tu nous fais partager un plaisir gourmand, qui sens bon la nature et qui renvoie à l'enfance. Il y a bien plus que du fruit dans cette cueillette !

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  2. Tremblez ronciers : l'écumeuse va passer ! ];-D

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  3. La nature nous offre bien des plaisirs quand on sait l'observer. Et les mûres dans les ronciers, les airelles sur les collines, les prunelles sur le causse nous donnent des gelées et des tartes au goût légèrement acidulé et sauvage qui font les délices des petits déjeuners et des desserts.
    Belle évocation Ecumeuse ! Un plaisir de te lire parce que tu sais faire partager.

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  4. vegas sur sarthe14 mars 2019 à 13:55

    Promis, je ne le répèterai pas. Allez, dis-moi l'endroit

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  5. En lisant ton très beau texte, j'ai irrésistiblement pensé à cette chanson :

    https://youtu.be/_G68fwCijFo

     •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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  6. les coins à cueillette sont un plaisir ineffable, et on y revient fidèlement :)

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  7. Magnifique souvenir, joliment conté.
    Aie, maintenant, j'ai envie de gelée de mûres !

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  8. La première et la dernière phrase suffisent à rassembler la beauté (et la bonté) de ce texte. A genoux, quoi ! C'est si bon de te retrouver ici, chère Ecumeuse.

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