Ecumeuse - Plaisirs minuscules

Aujourd'hui, je l'emmène sur le sentier côtier, je tourne à droite et déjà elle reconnaît le terrain. Un petit bond du train arrière m'indique qu'elle est d'humeur guillerette, elle sait, elle anticipe le bonheur à venir. Le vent de face lui dégage la vue et la truffe qu'elle garde presque collée au sol tandis que sa queue est fièrement dressée en virgule qui retombe sur son dos. Hop, hop, encore ces petits sautillements de la patte arrière droite qui me valurent un jour des commentaires sur une blessure éventuelle. Mais, il n'en est rien. Ces bonds, d'après le vétérinaire, manifestent juste sa joie, rien de moins.

Sa démarche étrange semble pataude, mais lui permet pourtant d'atteindre des pointes de vitesses parfois surprenantes. Son poil virevolte au gré des bourrasques. Elle est tout entière en quête d'odeurs. Elle renifle attentivement ici l'urine d'un congénère, là une primevère précoce, ou encore un bosquet d'ail des ours dans lequel elle s'attarde quelques secondes. Bien entendu, elle sent déjà le goémon abandonné par la précédente marée, la vase, le sable, l'iode et mille autres parfums qui me sont inconnus. À l'orée de la plage, je détache la laisse. C'est le signal de départ. Elle se secoue d’abord puis fonce tête baissée, et queue en l'air vers un premier château de sable abandonné. Là, elle se met à gratter et creuse davantage le trou au centre du château. Puis finalement elle se roule dans le sable, d'un côté puis de l'autre. Elle n'hésite pas à enfourner sa truffe qui lorsqu'elle se relève est couverte de coquillages en poudre. Ensuite elle jette son dévolu sur un paquet d'algues brunes qu'elle secoue en tous sens et qui finira en charpie. Elle court, tourne autour de moi, repart un peu plus loin puis revient vers moi demander une caresse. Essoufflée, elle reprend un peu d'air, marque une pause puis fonce vers un os de seiche dont la blancheur éclate au soleil. Elle me l'amène pour que je le lui lance. Je m'exécute tandis qu'elle détourne la tête. Un autre chien arrive. Elle a déjà oublié l'os de seiche. Les deux cabots se reniflent, puis jouent un peu à se poursuivre. Après quelques feintes, l'autre chien s'éloigne pour rejoindre son maître qui ne s'est pas arrêté. La voilà qui revient vers moi, je m'apprête à la caresser, mais elle me dépasse et chasse un goéland qui s'envole lourdement vers le large. Gueule ouverte, la truffe ensablée, elle a un regard franc qui ne trompe pas. Joie, bonheur, plaisir, un peu tout cela à la fois. J'aime ce moment de pur contentement qui m'est contagieux. Je me surprends à sourire, bêtement. Cette touffe de poil me réchauffe le cœur, alors je recule le moment du départ pour qu'elle en profite au maximum. Au bout d'un moment je la vois qui s'affale dans le sable, elle gesticule comme une folle puis s'arrête net, les oreilles déployées comme des ailes de papillon, tête à l'envers, elle fixe quelque chose vers le large, l'horizon peut être ? Enfin, le jour vient à décliner, le ciel se pare de rose orangé tandis que l'air se rafraîchit. Il est temps pour nous de rentrer. Sur le chemin du retour, elle ne court plus et suit mes pieds de près, s'économise. Elle s'est assez dépensée pour aujourd'hui. Moi, j'ai le cœur léger, une petite musique entêtante m'accompagne et sans m'en apercevoir je marche en rythme, le visage caressé par les derniers rayons du soleil.