Un été comme celui-là, c’est plus rare que le passage d’une comète.
Il ne plut pas. D’un seul coup d’un seul, il ne plut plus. Et il n’a plus replu.
Mais comme cela avait été annoncé longtemps à l’avance par Nostradamus et la météo, la population était fin prête et avait fait des stocks de détergents avant que les prix ne montent. C’était le temps idéal pour faire sa lessive car tout séchait très vite, en trois coups de vent, en un pic d’ozone. Si, de joie à la vue du beau temps, on jetait sa casquette en l’air, le linge était sec avant qu’elle ne retombe. En outre, il y eut des aides fiscales pour inciter les gens à laver leurs nippes et tout leur frusquin. Aussi, à peine eûmes-nous jeté le printemps à la poubelle (c’est recyclable, n’est-ce-pas, ça va dans la verte ?), que nous nous y mîmes avec entrain et retroussâmes nos manches. On entendit partout le roulement des tambours des machines.
Les enfants lavèrent leurs habits de poupée dans les ruisseaux presque à sec, les pauvres leurs guenilles, les vagabonds leurs hardes, les voyous leurs frusques, les marins leurs grand-voiles. Les femmes voilées en firent autant, nous laissant admirer leurs bras nus chaque fois qu’elles suspendaient leurs burqas à la corde à linge (sans parler, au lavoir, du spectacle diablement ravissant de leurs dessous et versets sataniques, ce froufrou, ces dentelles coraniques …). Les riches suivirent le mouvement, et il arriva fréquemment que l’étroite rue Saint Dominique fût embouteillée par les Rolls et les Bentley garées en double file, warnings allumés, devant la laverie automatique où tournaient leurs oripeaux. Les dieux s’y mirent à leur tour, lavant les nuages après les orgies. Ils pendaient tout le jour en travers du ciel comme des draps froissés, et le vent qui râle et gémit dans l’amour, dispersait dans l’air, à la fin de l’essorage, quelques gouttes d’un hydromel céleste et délicieux. Ce fut, de cet été splendide et mémorable, la seule pluie que reçurent les moissons et les alouettes.
Je ressortis du fond d’un débarras une vieille lessiveuse dont les manouches n’avaient pas voulu et m’installai dans la petite cour devant ma maison. Le jardinet jaunissait. Du tilleul pendouillaient des feuilles en carton ondulé, du pommier tombaient avec un bruit mat dans la paille de fer rouillée de la pelouse de minuscules pommes ridées. Une brise légère faisait voleter la poussière vert-de-gris des œillets, sous leurs touffes effritées s’émiettaient des scarabées, les fourmis montaient au ciel en fumerolles. Tout avait grillé. Je mis à bouillir dans la lessiveuse des lettres et de vieux chagrins d’amour au cuir grenu que je conservais au grenier dans une malle, et lavai à fond ma jeunesse. Je la mis à sécher sur un fil et pour la première fois de ma vie je me sentis pleinement heureux. Quel beau temps !
Ce n’est que bien plus tard qu’on annonça la pluie. Elle déboulait de l’ouest. La gare Montparnasse fut prise d’assaut car nous voulions tous aller en Bretagne, admirer sur les grèves cette pluie venue d’Amérique. Elle arriva dans un grand brouhaha de pelotes de nuages noirs d’où sortaient des aiguilles à tricoter qui étaient des éclairs, le noroît faisait claquer son fouet comme un aurige. Nous reprîmes le train dare-dare pour rentrer le linge en vitesse. Il fallut bien se faire à l’automne, mais après cet été qui nous avait tant plu, ça nous a vraiment déplu.
quel plaisir de te relire ici, Bricabrac
RépondreSupprimeret quel humour et quelle poésie dans ton texte.
J'ai adoré !!
J'aime bien le printemps jeté dans la poubelle verte et le roulement des tambours des machines... et tout le reste. Vive le sec :)
RépondreSupprimerbeaucoup de linges sales dans cette histoire à l'esprit très "Jacques Prévert"
RépondreSupprimerC'est un texte qui sent bon une époque révolue... Ou qui n'a jamais existé ;-).
RépondreSupprimerMerci.