DERNIER
BAISER
Tenir l'orage
secret jusqu'à l'éclair. P. Léotard.
Depuis le matin, le Ciel qui les avait accompagnés était un de ceux qu'on ne
voudrait jamais voir. Il était autant inoubliable qu'à oublier. Quelques rares
touches de bleu, incomplètement résignées tentaient d'exister malgré tout le
gris.
C'était un ciel dense de
colère rentrée, un ciel de larmes à venir. Parfois, comme pour rappeler à son
ordre, il virait brusquement au noir et obligeait à allumer les phares.
D'autres fois, pour laisser croire, il s'ouvrait comme un portefeuille de
généreux et s'illuminait d'un bleu métallique, très vite éteint par d'énormes
masses tourmentées. Voilà c'était un ciel de tourments. Mais jamais, jamais
durant toute la journée il ne s'est abandonné, comme s'il avait voulu attendre,
comme s'il préférait rester menaçant. C'était un ciel de menaces, un ciel de
volonté, vivant, maître de ses choix, de lui-même et du monde en dessous. Et si
l'air avait souvent vibré de grondements sourds, d'une puissance effrayante,
ils n'avaient jamais eu à balayer le pare-brise. Ils avaient roulés sous son
épaule depuis l'aube et, pour une fois, la bagnole avait été raisonnable. C'est
à dire qu'elle avait fait ce qu'on lui demande de faire: rouler. Un moment il
avait cru entendre un bruit bizarre mais non, rien. Il avait fait quelques
kilomètres en alerte mais rien ne s’était passé. Quand on est persuadé d’une
chose, il vaut mieux qu’elle soit vraie...Ils avaient quitté la ville alors que
le noir de la nuit baignait encore les sommets perdus des tours de banlieues.
Les premières lueurs de l’Ouest étaient montées très lentement, le ciel
s’allumait avec un variateur, quand ils avaient fendu les premiers champs
surveillés par les rondes noires de corbeaux noctambules. Au loin, des brumes
allongées montaient des lits des rivières, des villages encore endormis
sortaient de terre en s’étirant, malgré le ciel étouffoir, la vie ne renonçait
pas. Les deux dans la voiture ne s’étaient pratiquement rien dit depuis le tout
début du jour. Quoi dire après un spectacle d’une telle splendeur. Pourtant,
avant de se mettre en route, ils avaient parlé de tout se connaissant depuis
trop peu de temps pour prendre des précautions et maintenant, ils savaient tout
ou presque de l’autre. Ils savaient aussi qu’ils auraient tout à réapprendre. Ils
s’étaient rencontrés quelques heures auparavant dans un restaurant, assis à
deux tables côtes à côtes. Elle attendait quelqu’un qui n’était pas venu, lui
n’espérait plus quelqu’une qui ne viendrait pas. C’est lui qui avait envoyé la
première phrase. Elle, elle n’avait pu retenir une larme qu’un coup de fil
avait fait naître.
- Je peux vous demander du
feu ? (En montrant une cigarette).
- Vous pouvez, mais offrez
m’en une, s’il vous plait.
Quelques minutes de silence
après, elle s’était assise en face de lui. Tout à leur rencontre, ils avaient
mangé sans appétit des plats sans goûts.
Puis ils étaient sortis juste
pour n’être plus enfermés. Alors, leurs corps s’étaient mis à marcher. Bien
sur, il avait proposé de la raccompagner mais elle avait dit qu’elle ne
souhaitait pas rentrer, pas encore, pas de suite. Ils avaient continué en
traversant la ville de part en part, de long en large en s’arrêtant parfois
pour boire un verre dans des bars louches, traversant le fleuve, passant et repassant sur ses ponts, se
laissant éblouir aux projecteurs des bateaux mouches, s’amusant de leurs ombres
immenses projetées sur les murs des quais, s’éloignant malgré le fait de
tourner en rond des leurs histoires communes.
Un moment, il lui avait tenu
le coude pour traverser une avenue mais il l’avait très vite relâché pour ne
pas la heurter... Ils ne s’étaient pas rendus compte que le ciel se couvrait,
mais dans les villes, la nuit, le ciel n’existe pas. Dans les villes, la nuit,
il n’y a que la ville qui existe. Les voitures s’étaient faites plus rares, les
rumeurs avaient fait place aux bruits, les silhouettes aux personnes et le noir
aux lumières. L’agitation s’était dissoute et le calme imposé. Il prenait garde
à garder ses distances d’elle, excluant le moindre frôlement, la plus petite
équivoque. Mais à ne pas vouloir passer pour, on finit par ne plus être.
Dans le doux cocon d’un square
désert, sur une île à cheval sur le lit du fleuve il lui avait raconté sans
chercher à la convaincre de son besoin de sud, de ses espérances d’harmonie, de
ses désirs d’odeurs de terre après les averses, de virées en forêts avec à ses
côtés la truffe énervée d’un chien, plongée dans les senteurs d’humus, de
sérénité retrouvée. Il lui avait décrit le souhait d’avoir les pieds sur terre,
son regard posé sur des toits de vraies tuiles, de son corps traversé par le
chaud, l’humide ou le froid, de saisons enfin ressenties, d’heures vécues mais
pas abandonnées. Il avait évoqué les brumes lentes des matins d’Octobre, les
feux flambants foutus aux feuilles des forêts d’automne, les flaques de ciel
sur les sentiers détrempés, les apparitions des premières hirondelles aux
printemps venant, les garrigues et les buissons de thym sauvage, les traces
majestueuses et dessinées des vols de migrateurs, le grouillement brouillon des
insectes en été, le chant lancinant des cigales, les hameaux silencieux aux
heures du repos... Et, s’il s’était contenté, pour cette fois de lui dépeindre
des chromos de Provence, il s’était senti capable d’en dire autant sur la
montagne et peut-être encore davantage sur l’océan. Il ne lui avait offert
qu’un peu de l’épinal qu’on s’invente quand on en a soupé de la ville et de ses
ingrédients. Elle avait écouté et il l’avait sentie séduite. Elle, elle ne lui
avait transmis que son besoin de paix après les années qu’elle venait de vivre.
Puis ils s’étaient tus, longtemps. Et au ventre du silence, elle avait
dit : « j’ai envie de voir la terre. » Il avait souri. Ils
avaient roulé. Maintenant, il stoppait le moteur au plus haut d’une butte ronde
comme une épaule de femme dominée par les ruines d’une Abbaye en abandon. Au
loin, en bas, les coqs débauchaient, plus haut, le jour encore plein d’orage,
se levait. Sous la menace pesante, elle était sortie et s’était avancée vers la
plaine en éveil. Il l’a suivie de près. Il s’est défait de son manteau et lui
en a délicatement enveloppé les épaules en laissant un bref instant les mains
sur elles. Elle ne s’est pas retournée, elle a seulement dit : « C’est
un bel endroit pour se laisser embrasser. »
- « J’en ai
envie... » Il a dit.
Alors, bravant la colère du
ciel qui grondait, défiant les éclairs qui menaçaient, provoquant enfin la
chute déferlante de la pluie, ils se sont donnés fiévreusement leur premier
baiser. Celui là n’était pas difficile à recevoir. Ils savaient bien, trempés par les toutes premières gouttes que
le plus difficile serait de s’arranger pour que tous ceux qui suivraient lui
ressemblent. Mais aujourd’hui, ici, ces deux là, s’il y avait bien une chose
dont ils refusaient d’entendre parler c’était ... d’impossible.
Jolie lecture. Merci pour ce texte.
RépondreSupprimerj'ai attendu la pluie autant que leur baiser ;-).
oui, tu nous as fait languir...comme pour un happy end, qui pourtant n'est que le début d'une histoire, courte ou longue va savoir
RépondreSupprimerj'aime cette phrase là, qui décide de l'histoire : "C’est un bel endroit pour se laisser embrasser." ... et les belles descriptions qui nous font entrer dans le récit, doucement mais surement !
RépondreSupprimerTa description du ciel d'orage est un vrai morceau d'anthologie. magnifique !
RépondreSupprimerMais dans quel pays, sur quelle planète le soleil se lève-t-il ...à l'ouest ?
:-)
¸¸.•*¨*• ☆
Merci à vous!
RépondreSupprimerCélestine c'est une coquille! :-)
De si belles descriptions... On s'y croirait !
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