La pluie du dehors
Pendant son bombardement incessant, la pluie se jetait aussi dans les flaques. Les paysages de leurs reflets ne trouvaient jamais d’ancrage pour garder aux décors une quelconque impression connue. Chacun de ses jaillissements se heurtait durement en créant des vagues tumultueuses sans cesse remaniées. Les cratères succédaient aux concrétions aqueuses, il naissait de brefs geysers et c’était des éboulements d’ondes parasités par d’autres explosions larmoyantes. Je laissais flotter un bout de bâton et j’observais les impacts le long de la coque…
Avez-vous remarqué ? Pas une goutte de pluie n’est semblable, pas une ne touche une feuille d’arbre de la même façon, pas une n’a un angle de projection identique, pas une n’a la même ardeur d’assaut. Certaines se posent ou s’écrasent, d’autres caressent ou rebondissent, d’autres encore ricochent ou se délitent dans un anonymat de sacrifice naturel.
Chacune a son identité, sa force, son avenir, son empreinte, son incidence. Chacune a sa sonorité propre, son tempo singulier, son harmonique distincte, son écho fluide. Si la pluie n’est forte que par chacune de ses gouttes, elle dissout son environnement avec de nouvelles perspectives de paysage, elle engendre des carnations détrempées, elle magnifie l’assombri de rosée confuse. En elle, elle transporte le vague à l’âme du poète, l’attendrissement du peintre, l’arpège du musicien. Magicienne éphémère, elle disparaît aux premiers rayons de soleil…
Les décors étaient tous déteints. Le paysage grisaillait entre ténèbres et clair-obscur. Le jaune devenait ambre et blond, le vert s’instaurait tilleul et céladon, le bleu se maquillait ardoise et horizon, le rouge avait des insinuations framboise et vermillon ; la brique était sang et rouille. Ici, les couleurs se fondaient en un brouet engorgé et multicolore ; là, elles se retrouvaient sur une palette aux sensationnelles intonations délayées. L’essaim de la pluie nourrissait la terre. Çà et là, il naissait des auras brouillardeuses bousculées par des rafales de vent…
Quand il neigeait, c’était les anges qui époussetaient leurs oreillers ; quand il pleuvait, c’était la tristesse du petit Jésus qui constatait la misère du monde et quand il y avait du vent, c’était la porte du Paradis qui était forcément en courant d’air. C’était simple ; tout se rationalisait naturellement avec les sages explications de maman. Les inondations meurtrières, les tsunamis envahisseurs, les ouragans dévastateurs, n’étaient pas dans son vocabulaire. A la maison, tout ce qui tombait du Ciel était béni…
Moi, je communiais ! Je goûtais la pluie et ses semailles ! Ses gouttes s’éparpillaient sur ma langue en éclaboussant toute ma bouche ! Elles étaient froides sur mes dents ! Certaines s’éclataient sur mes paupières et je clignais des yeux pour les évacuer comme des larmes trop lourdes ; d’autres s’insinuaient dans mon col et j’avais des grands frissons de fraîche volupté pour les évaporer au plus vite. Tout mon visage était inondé de sourires et les gouttes de pluie ne pouvaient même pas les refroidir ! Je courais d’un côté, je courais de l’autre, pour les capturer ! C’était toujours mieux un peu plus loin ! Je tendais le cou, à l’affût d’une plus belle, d’une plus goûteuse !
Exalté, je courais si vite que je fabriquais mes propres nuages en soufflant ! Alors, mes larmes, c’était la pluie de mes nuages de tristesse, le soleil, c’était mes rires d’enfant espiègle et mes sourires, c’était forcément mes arcs-en-ciel bariolés ! Sur le répertoire de mes sensations, pour toujours et à jamais, elles étaient cataloguées : gouttes de pluie.
Avec le courage de l’inconscience, je prenais le parapluie de mon père, je domptais les baleines à l’intérieur et je l’ouvrais péniblement pour continuer mes expériences et mes observations.
Le long des murs, la pluie dessinait des tâches d’ombres allant s’agrandissant. Parfois, elles se rejoignaient, elles se mélangeaient, et c’était toute une sombre fresque taguée aux humeurs du vent. Notre poteau électrique, gorgé de pluie, devenait tout noir. Sur la gamme de ses fils, l’eau courait sans discontinuer ; parfois, elle se laissait tomber jusqu’au sol et j’avais toujours l’appréhension qu’elle contienne des restes de courant.
De la gouttière d’en face, tombait une véritable cataracte de pluie ! C’était amusant de s’installer dessous avec le fameux parapluie comme seul protecteur. Sur la tête, j’avais les grondements de la cascade et je n’avais même pas peur ! Je devais chanter sous cette pluie divine. C’était bien. Je ne pensais pas que cette pluie me ferait grandir si vite.
Là, derrière la vitre de la salle à manger, je voyais mon père me faire les gros yeux avec son doigt pointé en l’air. N’y tenant plus de regarder toutes mes élucubrations à la Gene Kelly, en entrouvrant la fenêtre, il m’avait lancé : « Allez, arrête de faire le zouave ; rentre, tu vas attraper la fièvre avec toute cette ondée et range mon parapluie… »
C’était bon de retrouver la maison, sa chaleur familiale, de laisser la pluie du dehors tout à son œuvre d’arrosage, de ranger toutes mes découvertes dans les tiroirs des souvenirs extraordinaires. Mes chaussures étaient trempées, j’allais saloper la cuisine, notre Taïaut sentait le chien mouillé, mais j’avais repéré des escargots le long de notre petit chemin…
C'est un très joli texte.
RépondreSupprimerIl donne envie d'aller partager cet instant avec ce petit garçon, sous la pluie ;-).
Merci.
Voilà un fin observateur ! On touche à la dimension de l'onde et du divin... Bravo, c'est impressionnant.
Supprimercomme une communion avec le ciel :)
RépondreSupprimerje suis dans le même esprit que Tisseuse : une vraie communion avec le ciel, la pluie, la nature et l'enfance. Extra !!
RépondreSupprimerQuand il neigeait, c’était les anges qui époussetaient leurs oreillers
RépondreSupprimerTon texte est tout en nostalgie et poésie, j'aime beaucoup
¸¸.•*¨*• ☆
Belle et complète étude du phénomène !
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