dimanche 26 novembre 2017

Bricabrac - Vide-greniers

Naguère

Je faillis dégringoler en descendant l’échelle de meunier, les bras chargés de nos costumes des dimanches et des jours d’enterrement, et tenant à la main la jeannette et le fer à repasser en fonte. Une araignée avait tissé sa toile de soie dans mes cheveux gris, gluante comme la chassie qui colle mes cils le matin.

Un bel arôme de chicorée s’échappait d’une cassolette en fer-blanc posée sur le poêle. Une jungle de lianes, des rubans de bloomers et de crinolines pleurant des larmes de lessiveuse, pendait au conduit galvanisé qui traverse la pièce. Ma mie, rayonnante, fourrageait dans le foyer avec la pince à feu pour en tirer des charbons rubiconds comme des rouges-gorges ou des crimes de sang. La remerciant d’un baiser d’autrefois, j’en remplis le fer.

Par la fenêtre encore grise de nuit, on apercevait les montagnes saupoudrées de neige et les cols amidonnés. Quand j’en eus fini avec ma chemise et mon gilet, j’attrapai le fer à gaufrer et plissai les dentelles de son caraco de brocart. Les manches à volant de son corps sage de satin m’occupèrent un tendre et long moment.

Quand nous eûmes consommé notre brouet d’orge, nous nous rendîmes à pied à l’église par des venelles pavées, bordées de roses anciennes. Le bedeau sonnait le glas d’un air lugubre. Une linotte mélodieuse jouait à l’harmonium des airs d’antan. Après nous avoir rappelé pourquoi nous étions là, le chanoine expédia l’affaire rondement, car déjà deux vieux chevaux fatigués attendaient sur le parvis de tirer le corbillard, précautionneusement entre les étals de la brocante, qui battait son plein sur la place.

Nous sommes rentrés doucettement, bras dessus bras dessous, croisant une noce qui arrivait en dansant la chaconne. L’enterrement nous ayant émoustillés, nous grimpâmes à l’échelle de meunier, sans même prendre le temps de boire un lait de poule à la cannelle. Quelle belle vie de grenier nous menons, dit ma mie, tandis qu’elle passait par-dessus tête son jupon de batiste et le lançait jusqu’aux poutres en bois de châtaigner, entre lesquelles il tournoya avec langueur avant de se poser sur une malle de souvenirs.

12 commentaires:

  1. et voilà que tu nous peins une vie de grenier fabuleuse :)
    je finissais par me languir de tes textes tels des contes émouvants, avec ce regard décalé et surréaliste qui va bien à ta prose

    merci, Bricabrac, d'avoir accepté de répondre à mes suppliques ainsi qu'à celles de Célestine
    je trouve pour ma part, qu'au vu de la réalisation, nous avons bien fait, et j'espère que cela redonnera envie à ta plume de frétiller :)

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  2. Nul doute que l'amidon des cols redonnera un peu de vigueur à ces ébats d'outre-tombe! J'ai adoré :)

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  3. Ouf ! c'est si délicat de faire un cadeau ! il m'a fallu courir mes magasins tout le dimanche

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    1. il te suffisait de faire les vide-greniers de la région :)

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  4. Comme je suis contente de te lire à nouveau Bricabrac ! Tes textes, à la hauteur de celui-ci, délicieusement suranné, me manquaient.

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  5. Mince j'étais au fond du jardin, je n'ai pas entendu le délicat grelot du portail de bois qui annonçait ton retour...
    Ainsi tu es revenu, les bras chargés d'offrandes, de guipures et de falbalas, pour notre plaisir.
    J'espère que tu mesures avec un broc d'étain les litres de larmes que nous avons versées, Tisseuse et moi, cependant que les ruisseaux s'évadant de nos joues commençaient à dévaler le grand escalier, refaisant les chutes d' Iguazu au milieu du salon d'apparat. Mariette, la soubrette, jetait des cris d'or frais tandis que les perruches affolées quittaient leurs cages pour aller se percher sur le bord du tableau représentant l'oncle Gustave de retour de la chasse. C'est alors que les faisans du tableau ont pris leur envol, secouant au passage le monumental lustre de cristal qui s'est effondré sur les invités dans un fracas d'étoiles brisées, lançant dans toutes les directions de petites étincelles de lumière coupantes qui se sont fichées dans les robes à faux-culs des dames et les lorgnons des messieurs.
    Enfin, bref, il était vraiment, vraiment temps que tu arrêtes le désastre.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. Lait de poule à la cannelle pour tout le monde ! C'est ma tournée ! ;-)

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    2. est-ce bien raisonnable, Célestine ?
      ne penses-tu pas que ce lait de poule agrémenté de cannelle risque de nous faire tourner la tête ?
      :)))

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    3. Il est vrai , chère Tisseuse, que c'est un breuvage dont il ne faut abuser !
      Mais pour fêter le retour de notre ami, un peu de folie...
      ¸¸.•*¨*• ☆

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  6. Que de mots gentils, et pleins d'esprit, moi j'en manque pour y répondre. C'est du miel (tiens, il y a encore des abeilles sur la terre ?)pour le lait de poule. Hélas, je manque aussi de temps, entre les séances d'acupuncture (aïe, mais vous me faîtes mal, là !) et les convocations à la gendarmerie, qui n'est pas un salon de beauté croyez-moi (ouille, allez-y mollo quand même !)

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    1. ... mais je reviendrai, c'est sûr !

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    2. J'espère qu'ils ne te font pas mal !
      ¸¸.•*¨*• ☆

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