jeudi 16 novembre 2017

Pascal - Forêt automnale

L’automne

Aujourd’hui, la grisaille est l’uniforme de l’armée de l’automne en campagne. Le siège est là et les mois de froidure sont la disette annoncée par notre Nature.

Ses maquillages sépia se sont tus ; les bistres, les roux, les carmins, les parmes, les mélias, les pourpres se confondent dans le tableau morose en parfumant leurs intentions de regrets colorés à l’été fané. Les décorations glycine, magenta, améthyste, orchidée, prune ou zinzolin se bariolent de timidité pudique quand l’automne les tenaille de quelques rayons d’un feu d’artifice encore ensoleillé.

Ses verts se confondent dans les prairies cernées par la brumaille obsédante. Les pommes, les magentas, les émeraudes, les amandes, les jades, les sauges, les menthes se concoctent tisanes et vert de gris.
Le lierre asservi se guirlande d’impressions atténuées comme son anniversaire habituel. En grenadine, en capucine, en vermillon, en groseille, en coquelicot, il se décore sang, grenat, brique, dangereusement écarlate.
Les noirs s’inventent, ils se reconsidèrent, ils s’admirent, ils se magnifient dans le débat sans fin des ombres furtives cachées derrière leurs maîtres. L’aniline, le carbone, le cassis, la réglisse investissent leurs sujets frileux avec les prétentions de la nuit.

L’arbre éteint se dépareille généreusement de son feuillage en secouant ses branches conniventes comme s’il récusait son dernier costume de l’année. Et les jaunes accidentés s’écroulent et s’enroulent, ils se convulsent et se replient, ils s’enferment et se révulsent en dorures, en citronnades, en fauves, en topazes, en chamois, en blonds, en jaunisses inguérissables, injustement désolidarisés de leurs ingrats piédestaux. Jadis parures, aujourd’hui souillures, les bilieux gisent en flaques d’or au bout de leur représentation quand le vent du Nord les mitraille de ses assauts de bourrasque.

La Nature donne, la Nature reprend, du geste auguste du semeur jusqu’aux premiers froids ravageurs et tous les trésors étalés, toutes les enluminures s’accumulent inlassablement, aux intentions printanières courant à marche forcée, à la rançon d’une nouvelle année.

Les entrailles de la terre retournée se parcheminent de sillons profonds, de mottes découpées par des socs envahisseurs et les champs se divisent, les raies se suivent, les entailles s’approfondissent, les tranchées se tailladent en terreux territoires infertiles. Alors, faites place au chocolat, au tabac, au caramel, à la rouille, à la noisette, à l’alezan, à la châtaigne, au cacao, au beige !...

A cette heure de messe basse où l’amict se dévoile, mes pensées païennes, si brunes, s’accommodent et se délayent à la blancheur de la lune. La terre tenaillée et rubescente de douleur souterraine, la terre triturée et turgescente d’ampleur, la terre solidement souveraine se prépare déjà secrètement à accoucher de ses graines encore endormies. Quelques cristaux de rosée matinale la parent d’une beauté, toujours virginale. La Nature falbala n’a que faire des frimas, de ces armées glacées et de ces pluies neigeuses, pour perdurer au-delà de l’hiver.

Si les chemins cheminent, et si les cheminées pauvres crachotent leurs chiches fumées, les couleurs ne sont chaleureuses que lie-de-vin au haut degré rougissant de mes fantasias alcoolisées. Le coude levé, les ocres se caramélisent octobre et les indifférents indigo indigents s’insinuent au bout de mon stylo indigne…

Et si je vous parlais de la flache ?!... Oui, celle qui réfléchit comme un miroir du gala de trop, celle qui vous rend son image sordide avec l’air déconfit de celui qui la regarde de trop près ; celle désolée de n’être que la réalité présente, celle reproductrice d’un triste schéma d’automne aux rides des années définitivement passées et congestionnant l’impétrant d’un âge hautement canonique jusqu’à ce qu’il détourne les yeux de cette mare insondable.

Ha, ces bleus… Qu’ils soient au cœur, qu’ils soient à l’âme, qu’ils soient au quotidien, dans l’azur de pensées d’évasion, ils tiennent la rampe, ces saphirs éblouissants de la pire espèce !... Inutile de les chercher sous la terre, ils éclaboussent de leurs clartés chimère ces vils corindons aux mille sorciers mystères !… Les bleus d’automne, parqués dans le ciel récipiendaire, se baladent au gré des atermoiements solaires avec les simagrées des nuages retardataires. Si loin, qu’ils soient de Prusse ou d’ailleurs, ou si près, encore bleuets asséchés dans le champ du voisin, ils temporisent la saison avec leurs ressacs éméraldine en se coagulant dans des flaques opalines.

Ha, les bleus… Qu’ils soient dans les yeux, coquards, qu’ils soient des blessures, contusions, les bleus céruléens dominent mes impressions… Allez les bleus !... Qu’ils soient pastel, barbeau ou outremer, ardoise, marine ou bien lavande, acier, céleste ou encore turquoise, dragée, électrique ou bien encore roi, ils m’envoûtent d’une portée d’yeux trop bleus, trop puissants, trop brillants, trop océans !... Ils me chagrinent avec leurs souvenirs trop impétueux, trop bruyants, trop ensorceleurs, trop impertinents ; ils me tuent d’allégeance trop lointaine. Heureusement, l’automne acharné a jeté sa chape de mélancolie sur toutes mes couleurs, sur toutes mes douleurs et les bleus effrontés se fondent aussi dans l’uniformité du quotidien…

Mais l’heure tardive est aux ventres de biche, aux orangers, aux abricots, aux carottes, aux cuivres, aux tannés !... Ils parfument en chœur l’ambiance flétrie de l’année fichue.

Oui, le Temps accordeur m’est amicalement jaunâtre, noirâtre, rougeâtre, orangeâtre brunâtre, bleuâtre et, c’est bien comme ça…

Aujourd’hui, la grisaille est l’uniforme de l’armée…

13 commentaires:

  1. quelle jolie palette, un tableau coloré a défilé sous mes yeux... J'ai appris un mot nouveau "amict", en plus facile à placer en regardant un match de foot entre potes !

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  2. Va-t-en enseigner l'accord des adjectifs aux mômes après ça !

    Bon les enfants, finalement, on va faire peinture et teinture avec tonton Pascal, d'accord ? Suivez-le bien, c'est un expert !

    ;-)

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    1. Les enfants, pour le pluriel des adjectifs en couleur, c'est facile: c'est l'arc-en-ciel !... :)

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  3. Seul petit bémol dans ce texte magistral, empli de souffle lyrique :
    Comment ça, des yeux trop bleus ? ;-)
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. Celui que je vois est turquoise, l'autre, je sais pas... :-)

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    2. Tout pareil à son frère jumeau ;-)
      ¸¸.•*¨*• ☆

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  4. une comparaison entre l'armée en campagne et la grisaille de l'automne qui me fait frissonner

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  5. L'automne est un magicien qui peut se montrer étincelant de couleurs - et comme tu les as bien nommées - mais aussi se parer d'un gris sale et rebutant quand il boude.

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    1. L'automne est plus dans les coeurs que dans la Nature.

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  6. Que de couleurs, chaudes au coeur, froid dans le dos... superbe !!!

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  7. C'est un texte magnifique et une débauche de couleurs ! Si je devais donner un cours sur la couleur, je choisirais ton texte...
    Connais-tu Michel Pastoureau, qui s'est spécialisé sur les essais sur la couleur, et qui a notamment écrit "La couleur de nos souvenirs" ?
    L'étendue de ton vocabulaire me souffle.
    Ce sont des textes denses que tu écris, et il faut prendre le temps de bien les lire. J'aime beaucoup.
    Tu ne tiens pas de blogue, pour stocker ces écrits ?

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    1. Bonsoir Pivoine, merci pour tes commentaires. La couleur, la musique et l'écriture sont un alliage de Poésie où tout s'emmêle avec nos sensations à fleur de peau. Non, désolé, je ne tiens pas de blog.

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