Un bonheur simple et … les pentes des collines
En sortant de chez lui,
il lui fallait gravir une volée d’escaliers. Jean-Marie disait « des
degrés ». Quand il avait franchi ces degrés il traversait la place du village.
Quelques maisons simples ramassées autour d’une modeste église. Puis un virage
montant et le chemin des Egaux qui amorçait la marche. Quand tout allait bien,
son premier pas sur ce chemin coïncidait précisément avec le septième coup de
sept heures frappé au clocher. L’heure où le village s’ébrouait, émergeant de
sa torpeur.
Jean-Marie s’asseyait
dans un repli de mousse. Les yeux fermés, il écoutait la vie reprendre. Le
claquement des volets, le grincement des portes, les voix des hommes sortis
fumer la première, il reconnaissait tout. Il savait le grincement du vélo du
curé, le bruit métallique du chevalet que l’on posait à la porte du bistrot.
Quand le pas traînant de la mère Jolivet passait en contrebas, vers le
cimetière, il ouvrait les yeux, s’étirait et commençait vraiment la journée.
Il montait en amples
enjambées vers le sommet de la colline. Il arrivait par une sorte de petite
escarpe où le rocher affleurait. De l’autre côté s’étendait la ville, mais
assez loin pour qu’elle ne soit qu’une vapeur, qu’un murmure perdu dans l’air
frais. Il regardait avidement les formes devinées des bâtisses principales, les
lignes droites et grises des avenues enfoncées vers le centre comme des coins
de fer dans un ventre mou. Le rectangle vide de la grand place semblait un œil
mort qu’éclairaient à peine les rayons franchissant la crête boisée de la
montagne lui faisant face. Il avait vécu là bas. Il avait aimé là bas. La
blessure ne se refermerait jamais. Alors il reprenait la marche.
Il devait redescendre
dans une combe abritée. Il avait là un autre repaire, secret. Une anfractuosité
de rocher cachée sous les frondaisons, une sorte de grotte à flanc de nature.
Il vérifiait que personne n’était venu depuis la dernière fois. Son signal fait
d’un entrelacs de tiges et de feuilles ne bougeait jamais. Il le franchissait
et s’installait à l’entrée. Immobile, il respirait profondément. Peu à peu il
humait l’odeur des animaux fantômes qui l’environnaient. Il était capable de
rester très longtemps ainsi. Alors il semblait se fondre dans le rocher et il
n’était pas rare qu’un lièvre, un renard, une buse même s’approche tout près de
lui, sans crainte. Il se savait animal comme il se savait pierre, herbes des
bordures ou ruisseau.
Quand il s’extirpait de
son terrier, il continuait la descente vers la petite rivière en fond de
vallon. Il buvait l’eau fraîche, en remplissait sa gourde et mâchonnait
quelques herbes parfumées. Il garnissait son sac de mélisse, de menthe,
d’oseille sauvage de livèche. Plus haut, sur le versant sud, il rencontrerait
le romarin, l’hysope, le thym. Il aimait le toucher duveteux de la bourrache la
délicate douceur de la fleur d’acacia, la vigueur verte de la germandrée. Sa
musette devenait une herboristerie d’où s’échapperait à son retour les odeurs
mêlées d’anis, de céleri, de citron de poivre, de verveine.
Jean-Marie rythmait sa
marche et ses temps de pause pour que vers deux heures il atteigne le deuxième
sommet. Celui de l’autre montagne qui barrait l’horizon. On disait :
« après, c’est déjà ailleurs ». Une étendue sans limite de forêts et de plaines
d’où émergeaient des clochers que le soleil révélait. Puis tout au fond,
confondu avec la courbure du temps, la ligne étincelante de la mer. Sous le
baldaquin du ciel, installé dans son fauteuil de granit, Jean-Marie sortait le
pain et le fromage de chèvre tout parfumés des herbes qu’il venait de cueillir.
Dès la première bouchée coupée au couteau à même la bouche, il savourait aussi
le simple plaisir d’être encore vivant.
Il montait à Pelt de vue?
RépondreSupprimer:o)
SupprimerJ'ai fait le plein d'air pur et de senteurs sauvages... merci l'Arpi !
RépondreSupprimerQuel parfum ! Comme j'aimerais être Jean -marie... ( enfin, quand il marche bien sûr...)
RépondreSupprimertiens, le Pic des Trois Dents :o)
RépondreSupprimercomme ça me fait envie d'y être (enfin, pas avec cette pluie ici...)
un petit goût de Pagnol dans ce récit simple et savoureux...
Nan nan...moi j'y vois la longue lutte des travailleurs,lorsque GEORGES Marchait et que eux aussi cherchaient l'oseille et l'ivresse sauvage ! Alors...l'arpi est un pouête ? Vraiment joli verbiage.
RépondreSupprimerCeci dit,le pic des trois dents,j'y voirais plus les capitalistes du mount rushmore. Na... .O:)))
Superbe !
RépondreSupprimer...et voilà qui ranime en moi des souvenirs proches où tes mots viennent se loger à merveille : j'aimais (je le fais moins pour raisons de "sécurité") partir seul en montagne, plusieurs jours, sac lourd sur le dos.
J'ai réduit ces sorties aujourd'hui en durée comme en altitude, mais je les savoure autant, voire plus encore.
Et de fredonner, là-dessus : "Jacobiiiii..."
RépondreSupprimermerci l'ami
SupprimerJ'avais pas penser un seul instant à imaginer un lien avec le Jacobi de Charlélie ... mas toi, comme d'hab' ... tu sais ! :o)
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce recit aussi fort que si j'avais accompagné. ...en retrait cette longue marche, attendu le plus bel instant, perdue au milieu des mille parfums sauvages....
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