”Vous
êtes arrivé!”
Ce matin-là j'ai senti
que Germaine avait des fourmis dans les jambes, elle avait le cul
salé comme on dit chez moi. C'était un dimanche matin où - levée
aux aurores - elle s'affaire à pianoter sur mon GPS une de ces
destinations dont elle a le secret et qui nous mène toujours à
quelques maigres pierres de Roussard ou à un dolmen enseveli!
Je dis mon GPS et non pas
notre GPS car une fois dans la voiture, Germaine ignore totalement ce
petit bijou de technologie, éternelle cause de nos disputes du
retour.
La monotonie du parcours
aidant, j'avais monté le son de la radio pour m'empiffrer du solo de
guitare de Glenn Frey dans 'Hotel California' quand Germaine s'est
réveillée en sursaut :” C'est là!!”
En fin connaisseur,
j'allais lui faire remarquer que le solo arrivait un peu plus tard
dans ce morceau mythique quand elle a éteint la radio en hurlant
:”C'était là qu'il fallait sortir!”
C'est fou comme les gens
réfractaires aux technologies modernes paniquent vite, alors qu'il y
a toujours une manière de rattraper le coup... c'est ce qui fait la
supériorité de l'homme sur la machine, enfin je crois.
Germaine était fort
capable à cet instant d'enclencher la marche arrière - d'autant que
l'autoroute était déserte en ce dimanche matinal - mais en tenant
fermement à ma peau je tenais aussi fermement le levier de
vitesses.
“On va sortir à la
suivante, ma chérie” dis-je d'un ton rassurant en jetant un coup
d'oeil au GPS qui traçait une ligne étrangement rectiligne.
Pourtant une sortie
semblait se dessiner au loin, nouvelle bretelle fraîchement
construite dans la nuit ou obsolescence du logiciel GPS? J'allais en
avoir le coeur net.
La bretelle était hors
norme, étriquée et surmontée d'un panneau de bois façon Southfork
qui me rappela un ranch bien connu des années 80.
J'eus à peine le temps de
lire “Vegas sur sarthe: Sept lieues” tandis que la voiture
incontrôlable comme un mustang fougueux s'engageait sur une mauvaise
pente avant de stopper devant une guérite d'un autre âge.
“Ouatson, pour vous
servir” déclara un homme en nous adressant un sourire benêt.
“Non, c'est moi
Ouatelse, pour vous servir” dit une femme coiffée d'un balai
O'Cedar façon dreadlocks.
Ces deux-là me
rappelaient vaguement quelque chose.
La voiture redémarra
comme les deux officiers s'empoignaient vivement dans l'étroite
cahute.
De part et d'autre de la
pente apparurent d'immenses panneaux publicitaires vantant les
bienfaits d'un masque
de beauté d'un certain Cesare
Frangipani
à base de frangipane et de beurre en pot.
Ce
masque ornait des visages qui ne m'étaient pas étrangers puisque je
reconnus tour à tour Blanche et sa petite cape rouge, Jean Kipleur
et Jean Kiri, le grand vizir Kara
Mustapha
juste avant sa décapitation par le sultan Mehmed
IV et
même mon oncle Hubert et sa femme polonaise Anastazia!
“Non
mais t'as vu ça, Germaine?” m'étonnai-je.
Je
remplace toujours Chérie par Germaine quand je suis étonné.
Si
Germaine voyait ça, aucun son ne sortait de sa bouche grande
ouverte, ce que je n'aurais jamais imaginé après vingt ans de vie
commune.
Je
n'ai jamais compris pourquoi on dit 'vie commune' même lorsqu'elle
est singulière; la nôtre est plutôt rocambolesque mais ce n'est
pas le propos.
J'en
étais là de ma réflexion quand un type en gabardine et feutre mou
stoppa la voiture avec autorité et frappa à la vitre :”Inspecteur
La Bavure du 36 Quai des Oeufs Frais... Z'auriez pas croisé une
femme avec une freloche sur la tête? Une dénommée Valentine ou
Levantine Petasse?'
“Euh...
connais pas, Commissaire” balbutiai-je.
“Pas
Commissaire, Inspecteur. Elle a disparu le 15 novembre 2014... je
sais ça fait un bail mais on n'est pas aidés au 36”
La
voiture redémarra sur les chapeaux de roues alors que le GPS
braillait :”Vous êtes arrivé!”
N'étant
maître de rien, je m'attendais à entendre très vite une succession
de “Faites demi-tour dès que possible” - accompagnés des
vociférations de Germaine - mais il n'en fut rien; la voiture
continua un moment jusqu'à venir se garer entre deux maigres arbres
au milieu d'un jardin.
L'un
portait un écriteau “Arbre de Vie” et l'autre “Arbre de la
connaissance du bien et du mal”, des sortes de pommiers ou de
figuiers... enfin des arbres à pépins.
Deux
créatures en sortirent Caïn caha dont l'une en tenue d'eve et
l'autre à poils aussi... je ne sais pas pourquoi j'ai verrouillé ma
porte et fermé les yeux pour chasser ces images.
Dans
ma pauvre tête défilaient des milliers de balivernes, de bagatelles
et autres foutaises dont j'avais inondé la toile depuis... depuis
quand déjà?
Le
démon de l'écriture m'avait sournoisement habité en 2008 quand
j'avais pris ma retraite, comme si je naissais une seconde fois.
Quand
j'ai rouvert les yeux, Germaine n'était plus Germaine car un petit
bout de femme insignifiante avait pris sa place. Je reconnus Ouatmore
la nouvelle officière de police que j'avais moi-même introduite -
en tout bien tout honneur - au 36 Quai des Oeufs Frais en novembre
dernier.
Elle
gloussait :”J'ai quatre pattes le matin, deux à midi et trois le
soir... qui suis-je?”
Evidemment
je connaissais la réponse mais je n'avais aucune envie de jouer aux
devinettes, je voulais juste que cesse ce cauchemar.
Je
n'avais pas remarqué sur ma gauche une sombre batisse à l'enseigne
clignotante rose fluo “Hôtel de Californie et du Calvados
Réunis”... et dessous cette inscription plus discrète “Centre
de désintoxication pour alcooliques et drogués”.
Ainsi ce slow sur lequel
j'avais frotté si souvent mon bas-ventre sur celui de mes conquêtes
était inspiré d'un hôpital pour toxicos... une écoeurante odeur
de marijuana envahit l'habitacle à m'en filer la nausée.
J'entendis
le GPS grésiller puis supplier d'une voix lasse :”Nous avons eu
notre compte de fantastique... ça suffit comme ça... vous êtes
vraiment arrivé”
J'attends
maintenant depuis mardi 26 janvier 10 heures; j'ai entendu à la
radio qu'un aigle était mort... il s'appelait Glenn Frey.
Germaine
ronfle à côté de moi mais j'ai l'habitude, j'espère que quelqu'un
va venir nous remettre sur la bonne route...
Eh bien, Vegas, je ne sais plus sur quel adjectif danser! Ton texte est une pépite de fantaisie délirante!
RépondreSupprimerMerci Clémence, je n'ai fait que mélanger un peu d'actualité avec des personnages qui vivent sur mon blog et dont j'avais presque oublié l'existence pour certains... heureusement le thème de l'Arpenteur les a réveillés :)
SupprimerJ'adore, je vénère, je me prosterne : jeux de mots abracadabrants, situations plus que burlesques, références surdimensionnées (bon, moi, je m'y reconnais, c'est de mon époque !), scénario hyper vitaminé. Bref, je me suis régalée et j'en reprendrais bien un p'tit peu pour la route.
RépondreSupprimerMerci Anne. Je me suis régalé à délirer sur ce thème
Supprimerune nouvelle fois tu nous embarques à ta suite dans un périple délirant, pour notre plus grand bonheur :)
RépondreSupprimerj'ai bien aimé retrouver tes personnages désopilants, comme dans une compil !!!
Une compil c'est bien ça, Tisseuse. J'aurais pu rajouter des personnages mais je craignais de faire trop long :)
SupprimerJ'aime ce délire déglingué et toujours inspiré qui est ta marque de fabrique et, là, il y en a tout un flot - une fois encore : bravo !
RépondreSupprimerMerci JCP
SupprimerToi seul pouvais aussi fantastiquement respecter la consigne! Au passage, j'ai reconnu quelques-uns de tes personnages, pas tous, mais ça ne fait rien. Je viens d'arriver à bon port avec vous, mais je crois que Germaine à côté de toi est en train de s'éveiller. Courage!
RépondreSupprimerMerci Lorraine. Je compte bien gérer Germaine... après tout c'est moi qui écris :)
Supprimerun vrai régal que ce texte ... et tu sais quoi ? (ben non !) je n'avais pas lu ton histoire abracadabrantesque avant d'avoir écrit le mien ... et nous sommes sur la même longueur d'onde, sauf que je suis moins drôle que toi :o)
RépondreSupprimerc'est dingue, non ami Ouatson ...
Trop fort! J'adore
RépondreSupprimerLe fantastique ? Pff... trop facile pour toi ! T'es tombé dedans quand t'étais petit, eh ! On m'la fait pas, dis.
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