Mozart le Troisième
Plus que six petits mois de rien du
tout, et Günther prendrait sa retraite ; oh, ce n'est pas qu'il était impatient
: avec son côté vacances et touristes turbulents, sa fonction de gardien
attaché au "Geburtzhaus", le Musée-demeure des Mozart à Salzbourg, ne l'avait jamais
lassé ; et il n'y avait que très rarement ressenti le poids du travail, au
terme de toutes ces années - qu'il avait à peine eu le temps de voir passer.
Non autorisé à la visite, un lieu pourtant lui laisserait
des regrets : le sous-sol de la vieille demeure, cave basse, sinistre et voûtée,
où tout un peuple à patte noire tissait toile dans une atmosphère étouffée de
poussière, et sous les senteurs aigres du moisi des siècles que portaient les
vieilles pierres. Ici point de parole incongrue, de short ou d'appareil photo :
le seul anachronisme que tolérait ce silence était dans la succession de ceux
qui, tout comme lui, avaient veillé sur ces lieux, que n'éclairait qu'une
misérable ampoule noircie au dangereux câblage séculaire. Hormis une sorte de
vieux coffre vide et une étagère à demi effondrée au mur, il n'y avait rien
d'autre dans cette pièce au sol de terre battue, que les galeries des rongeurs
avaient rendu traître sous le pied.
Mais ce qui le tourmentait, c'était ces vestiges de voûte en
brique, murés de pierres disjointes, précisément derrière le coffre : une pièce
de la vieille bâtisse avait-elle été soustraite à la vue depuis les siècles ?
Équipé d'une torche puissante, il avait déjà tenté d'observer
à travers un interstice entre les pierres au ciment délité : il semblait bien y
avoir là derrière un vide, mais le faisceau lumineux, incapable de se faufiler
par la fissure ne lui ayant montré rien d'autre que du noir, il avait fini par
renoncer - il n'allait pas attenter au musée Mozart !
Aujourd'hui pourtant, le dernier visiteur parti et la
fermeture dûment accomplie, un pic de maçon en main, Günther était résolu à
percer - s'il y en avait - les raisons de ce murage. La tâche ne fut pas ardue,
le liant tombait en poussière sans effort, et, dégageant quelques grosses
pierres au ras du sol, il parvint à se frayer un passage suffisant, qu'il
emprunta en rampant sans plus attendre ; et put se redresser de l'autre côté du
mur.
D'une torche impatiente il ne put que vérifier ses pressentiments
: il y avait bien là une espèce de crypte étroite et voûtée dont, curieusement,
poussière et araignées n'avaient pas pris possession. L'air y paraissait même
plutôt léger, et les murs de pierres grossièrement taillées ne recélaient que
les modestes traces d'une humidité ancienne.
Il l'avait vue dès sa lampe levée : il y avait là une
armoire immense, à première vue bien conservée, contre le mur du fond. Et sa
main fébrile actionnait déjà la clé rouillée, tirait à lui le gros bouton de
bois alors que, manquant le renverser, la porte s'écroulait sur lui, déversant
au sol le flot d'une imposante quantité de livres et de manuscrits, que les
étagères vermoulues ne retenaient plus. Il repoussa non sans effort la porte et
la fit basculer en appui contre le mur.
Il avait deviné : des secrets séculaires résidaient bien là
!
Mais ce qu'il vit le surprit davantage : l'étagère supérieure,
demeurée intacte, portait deux immenses bocaux de verre emplis d'un liquide
glauque dans lequel baignaient deux fœtus très développés au vu de leur taille
- des enfants mort-nés peut-être...
Des étiquettes jaunies portaient, d'une encre mauve pâlie :
"W. A. - 12 März 1754" sur l'un, et "W. A. - 7 Januar 1755"
sur l'autre.
Et ce que Günther put voir au faisceau de sa torche
électrique le surprit encore :
Il y avait là des ouvrages anciens - dont les titres
feraient aujourd'hui sourire -, traitant de génétique, d'hérédité, d'atavisme, d'évolution
à travers les âges et de morphologie comparée des races humaines, des qualités
intellectuelles et physiques inhérentes au génie artistique, mais aussi un
petit fascicule intitulé "Du premier cri du nouveau né et de ses relations
futures avec la musique" qui le troubla beaucoup.
En outre, contenues dans des chemises de carton fort,
datées et liées de rubans, des quantités de pages manuscrites, d'une écriture
enluminée à l'encre encore lisible, rendaient un compte minutieux de
l'évolution des grossesses et des naissances avortées (volontairement ou non
?...) de la famille Mozart, écrit comme le comprit Günther de la main de
Léopold en personne, père autoritaire et mentor du célèbre musicien.
Photographiant avec soin les documents, les deux bocaux
sous tous les angles et même les lieux - ce dont il emplit une carte-mémoire
entière -, Günther se retira à une heure avancée de la nuit, après avoir masqué
de son mieux grâce au bahut les traces de son extraordinaire visite.
On le vit alors songeur, tête basse et regard sévère à
toute heure du jour, et transfiguré au point de négliger ses amis.
Günther prit sa retraite avec
enthousiasme, et surprit ses collègues comme son entourage, déclarant que ses
activités au n° 9 de la Getreidegasse ne lui manqueraient pas et qu'il ne saurait connaître
l'ennui, s'étant découvert depuis peu certains talents d'historien ; qu'il employait
déjà à rédiger le manuscrit d'un premier ouvrage traitant des prédispositions
musicales chez l'homme à travers les âges, ainsi que de la manière de les
détecter et les développer dès la petite enfance.
Waouh.... Un thriller musicalo-génético-historique, original comme approche!..
RépondreSupprimerBouh... le génie de Mozart ébréché???Non.... il en faudrait bien plus que cela !!!
Merci Clémence.
SupprimerEn tout cas c'est ce que Günther m'a dit - mais a-t-il bien tout dit et n'a t'il pas menti ?...
Günther est bien inspiré de célébrer la vie de l'artiste qui fit l'objet de tant d'études sur les causes de sa mort...
RépondreSupprimerGrâce à lui, la vérité éclate enfin au grand jour, il était temps !
SupprimerJe me suis plongée avec Günther dans les méandres de cette histoire de cave et de vieilleries manuscrites et "bocales"... Mais que va-t-il encore découvrir ? J'en ai un goût de trop peu. Encore, encore, de ce suspense qui nous tient en haleine de bout en bout.
RépondreSupprimerEn effet Anne, resterait à écrire l'ouvrage de Günther qui, je le crains, pourrait avoir trait à certaines sélections raciales de triste mémoire appliquées à l'obtention du musicien parfait... il est plus sage de s'abstenir je crois...ces lignes ont dépassé mes intentions.
SupprimerVoilà " une petite musique de nuit" qui ne manque ni de surprises, ni de suspens ! Il semblerait que Günther ait trouvé quelques notes discordantes. Idée originale.
RépondreSupprimerJe crois qu'elles sont dans les pages de "Du premier cri du nouveau né et de ses relations futures avec la musique"...
Supprimer(Sans lesquelles nous n'aurions pas connu "LE" Mozart...)
ce n'est que le début d'un thriller historico musical vampirique et mystérieux qui nous emmènera dans les tréfonds de l'âme humaine, jusqu'au sublime requiem ... belle idée en tout cas, à creuser absolument ...
RépondreSupprimerMerci Arpenteur, il se peut en effet que je poursuive, et dévoile le contenu du "petit fascicule"...
SupprimerOuh, savant !
RépondreSupprimerSi peu, si peu... le texte a finalement pris le volume d'une nouvelle de 6 pages A4.
Supprimer