Jacques - Patafatras

Patafatras

Dans un coin du séjour, un minuscule sapin de plastique pulse doucement de couleurs changeantes, alimenté durablement par une batterie que recharge un capteur solaire, du moins lorsque le ciel n'est pas uniformément gris comme en cette matinée du dernier jour de l'année.
Ce sont des heures un peu hors du temps, la conscience de l'année qui s'achève ne l'a pas encore cédé aux résolutions de celle qui va commencer, mais la nostalgie est déjà là qui fait trier les souvenirs des mois qui viennent de s'écouler.
Il ne s'agit pas uniquement de la litanie des factures, avis, relevés compte-rendus d'assemblée générale d'association de copropriété de parents d'élèves, que les contingences ont poussé en temps et heure dans les chemises cartonnées dûment étiquetées, mais plutôt les coupures de journaux, plans de musées, billets d'entrée de spectacle, cartes postales, petit mot glissé sous le ruban d'un cadeau, billet de train, tout ce fatras qui fait les vrais souvenirs, ceux que l'on découvre émerveillé dans d'anciennes boîtes archives des années plus tard.
Mais la « digitalisation », comme le fait dire si inélégamment de nos jours l'appétence pour un sabir servile, est passée par là, et ce matin, c'est la copie principale d'un dossier nommé « 2015 » que je prétends ranger.
J'y retrouve bien sur une organisation familière depuis longtemps, le sous-dossier où il est question d'argent, celui où il est question de sport, celui où il est question de santé, qui a pris cette année un embonpoint un peu déprimant.
Il y a aussi celui où je range le produit de mes velléités créatrices, une production essentiellement littéraire qui porte les stigmates d'une année douloureuse, l'impuissance récurrente devant une longue liste de thèmes hebdomadaires, parfois même pas abordés, le plus souvent délaissés après quelques minutes de réflexion stérile, sans élan, fantômes sans âme d'une inspiration absente.
Et puis, il y a celui là, le voyou de la bande.
« A traiter » l'ai-je nommé, comme chaque année.
Son exploration, c'est celle du coffre à jouets dans la pièce du fond de la maison des parents.
Jour après jour, j'y ai glissé des fantaisies, des découvertes...des photos, des images, des morceaux de musique, des tracts syndicaux, des revues sous forme numérique, des bouts de films, des résultats de course, des blagues, des indignations, la copie d'écran de Facebook en panne, des calculs, des articles de Wikipédia, un selfie, des cours du Collège de France, l'enregistrement au format « GPX » d'un vol entre Héraklion et Roissy, deux versions de mon arbre généalogique, détournés d'une sauvegarde, un formulaire Cerfa onze mille cent trente cinq version zéro-deux et une collection de blagues de mathématiciens (« Il y a 10 catégories de gens, ceux qui comprennent le binaire et les autres »)…
Alors, je trie un peu ce fatras, déplace certains fichiers vers d'autres dossiers où des documents analogues ont fait leur nid auparavant, mais je prends surtout le temps de relire les blagues, d'écouter cette mélodie un peu planante qui m'avait bien plu ce soir d'octobre, sans que je puisse me souvenir de l'occasion qui m'avait permis de l'entendre, et même d'essayer de retenir quelques étapes du Cycle de Krebs. Le temps passe, et je contemple cette collection hétéroclite de fichiers, comme si je pouvais en tirer quelque enseignement pour jauger l'année écoulée.
Puis, il est temps pour moi de préparer l'année qui commence dans quelques heures.
Créer un dossier « 2016 », puis celui où iront les questions d'argent, celui où il sera question de sport. Celui où il sera question de santé. Celui pour les travaux d'écriture, que je me promets de pas délaisser…
Et puis, enfin, celui où échouera la poésie des jours.
Le petit sapin, dans son coin de séjour, s'illumine dans les rouges.
Cette année, j'abandonnerai l'injonction jamais obéie d'y mettre de l'ordre.
Je l'appellerai « patafatras ».

Où lire