jeudi 28 janvier 2016
Arthur Hidden - Fantastique
C'était ma meilleure amie. Nous nous connaissions depuis la première année de fac à Paris. Au mois de février je m'étais cassé le bras droit au ski. Nous militions tous les deux à l'UNEF et à l'Union des Étudiants Communistes. Je ne l'avais pas spécialement remarquée jusqu'alors mais nous fréquentions en fait le même amphi. Elle était venue me voir à la fin du premier cours magistral qui suivit mon retour à la fac, après mon accident, pour me proposer de prendre les cours pour moi. Je n'avais aucune raison de refuser.
A l'UEC nous appartenions à un même petit groupe de copains proches, nous disions camarades, nous étions en fait des amis. Elle nous avait invités plusieurs étés de suite à passer deux ou trois jours dans la grande maison familiale de ses grand-parents, une maison de village près d'Avignon. Nous allions ensemble au festival d'Avignon, surtout au off, nos moyens de l'époque ne nous permettant guère de fréquenter le in. De mon côté je l'avais invitée une fois avec deux autres membres de notre bande d'amis chez mes parents dont la grande maison désertée de mes frères et sœurs, tous plus âgés que moi et mariés, nous avait accueillis près de Lyon. Cela devait être à la belle saison car je me souviens que nous nous étions baignés dans la piscine.
J'étais à une époque de mon existence où malgré mon progressisme affiché je classais toutes les filles sensiblement de mon âge en deux catégories: "baissables" ou "non-baisables". Je fuyais le plus que je pouvais la seconde catégorie qui ne pouvait m'apporter que des désagréments pour mieux concentrer mon intérêt sur la première. J'avais une toute particulière prédilection pour les minettes que je qualifiais de bourgeoises vis-à-vis desquelles, pour des raisons noblement idéologiques, je me croyais autorisé à faire preuve de la plus grande infidélité voire goujaterie.
Elle seule échappait à cette summa divisio. Notre relation d'amitié avait à mes yeux d'autant plus de prix qu'elle était complètement asexuée, ce qui me prouvait que je n'étais pas complètement aliéné par l'esprit de prédation sexuelle capitaliste. Si nous nous parlions de tout nous évitions d'un commun accord d'évoquer ce registre précis de nos existences respectives. Je crois qu'au fond j'attachais trop de prix à notre amitié pour risquer de la banaliser dans une relation amoureuse.
Je sens que certains d'entre vous sont sceptiques. Pour vous prouver ma bonne foi je vais relater un fait apparemment litigieux mais qui manifeste clairement le caractère non sexué de notre relation. Un jour je caressais l'idée que je lui aurais fait un enfant. Notez bien que je n'étais pas dans ma liturgie érotique habituelle, réelle ou fantasmée: moi pénétrant une femme. Pas du tout. Ce que visait ma rêverie c'était simplement de laisser en quelque sorte ma trace dans son corps à elle, sous forme d'un enfant à qui elle donnerait naissance. Une conception virginale en somme.
Bref, simplement pour dire qu'au début de ma vie professionnelle j'avais trouvé un travail à Valence. A la fin d'un week-end du 14 juillet que j'avais passé chez des amis en passant par Lyon je décidais d'aller saluer mes parents avant de retourner à Valence. Ma mère me dit: "Qu'elle dommage, ton amie revenant d'un mariage est passée nous voir avant de retourner en vacances à Avignon. Elle pensait te trouver mais tu l'as loupée de peu. Elle est vraiment charmante. Elle s'est baignée dans la piscine et on a dîné ensemble".
Sur le moment j'avoue ne pas avoir tant été déçu de l'avoir manquée que vexé qu'elle soit venue chez mes parents sans moi et qu'ils l'aient si bien accueillie. Sur l'autoroute je repensais à tout ça lorsque, aux abords de la sortie de Valence Nord je fus illuminé d'une évidence: elle ne le sait pas encore mais elle m'aime et je suis l'homme de sa vie. Tout était si simple, si clair, mes vagabondages sexuels révolus. J'allais vivre désormais pour la rendre heureuse !
Je ratais ma sortie d'autoroute.
La suite ? Je riais par avance de sa surprise lorsque je lui ferai part de ma grande découverte. Je l'imaginais me tombant dans les bras, me déshabillant fiévreusement. J'imaginais pour la première fois son corps nu. Je ... Et soudain une angoisse irraisonnée. Il fallait faire vite. Il y avait urgence. Un autre peut-être. Vite! Vite! Tout lui dire. Pas un instant à perdre. Et j'ai roulé comme un fou dans un paysage peuplé tour à tour de délices et d'atroces mouvements de jalousie et de regret d'avoir laissé échapper le bonheur de ma vie. Plus je roulais moins je pouvais m'arrêter.
Deux heures du matin. Arrivé je ne sais comment dans le village silencieux au pied de la grande maison aux volets fermés. J'ignorais qu'elle fenêtre était celle de sa chambre. Allais-je oser sonner, au risque de réveiller ses grand-parents, ses parents peut-être ?
Où lire Arthur Hidden
5 commentaires:
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Sonner en pleine nuit permet généralement de se faire remonter les bretelles pour avoir raté la bonne (bretelle).
RépondreSupprimerIci, tout le fantastique est dans la tête de cet urgentiste de l'Amour !
Merci pour la "remontée de bretelle" cette superbe expression "urgentistes de l'Amour"
RépondreSupprimerUne manière très originale d aborder le thème proposé.
RépondreSupprimerLe voyage en lecture vaut le détour :)))
je plussoie les commentaires précédents Bravo pour cette idée là !
RépondreSupprimerEmporté par ce flash de brûlante "lucidité", je poursuis, et je crie : ose !
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