Je suis morte la semaine dernière,
pendant le “ clair de lune ”, vous vous souvenez...
“ De sa clarté nacrée qui coule comme l'eau
Sur ma tombe oubliée, en sublime les marbres. ” ?
L'oubli, c'est pour les vivants. Du
fond de ma mort, je garde en mémoire quelques bribes de mes vies antérieures.
Au 18ème siècle, je suis une comtesse
de province. Mon époux possède un petit château quelque part en France. Les
revenus de ses terres nous procurent une vie confortable, ses gens sont loyaux
– enfin, l'étaient jusqu'à la
Révolution ! La belle ordonnance des choses se dégrade, nous nous
résignons au départ. Mieux vaut vivre ailleurs que laisser sa tête ici,
n'est-ce pas ? Nous partons pour la Russie. Il paraît que le tsar
accueille la noblesse française. Le matin du départ, ça gronde sur la route.
Une armée de paysans munis de fourches avance vers nous, vociférante. Juste le
temps de poser un chapeau sur mes cheveux
poudrés et nous filons...
Sous le p'tit bibi
Sauvera-t-elle sa tête ?
Ah, ça ira, ça...
Je reviens après plus d'un siècle...
pour fuir à nouveau. Je m'obstine à naître dans la noblesse, mais je ne choisis
jamais le bon pays ! Cette fois, c'est en Russie que la révolution me
traque. Les bolcheviques sont redoutables, l'exil incontournable. J'arrive à
Paris sans un sou ; je suis jeune, je suis belle. À Montmartre, un peintre
tombe amoureux de ma chevelure blonde, je deviens son modèle, sa maîtresse. Il
m'entraîne dans une vie de bohème, d'art, de débauche et d'opium, bien plus
amusante que la vie étriquée et bien pensante à laquelle j'étais destinée...
Sous les cheveux blonds,
Des yeux clairs, des lèvres rouges.
Belle comme une princesse.
Cent ans plus tard, j'en ai vingt et
je vis mal dans cette époque trépidante et consumériste. Tout va vite, tout s'achète, même les amitiés. Elles sont factices, virtuelles ; on croit s'ouvrir au monde, on s'enferme derrière un écran. Il me semble que ma vie est
aussi sombre que mes yeux. En quête de sens, je mets les voiles pour prendre le
voile, celui d'une nonne, celui de l'islam, je ne sais pas encore... Ou plutôt,
j'ai oublié.
Dans le doux regard
Volent les ailes d'un ange...
Où est son Saint Graal ?
La mort engourdit ma mémoire, le
souvenir de mes divers trépas m'échappe. Sans doute parce que, vu d'ici, je
préfère la vie... Vivement une autre réincarnation ! La semaine prochaine
peut-être...
Où lire Albiréo
Où lire Albiréo
Oui, Vivement une autre réincarnation! Dans chacune de ces vies promues au bonheur, on sent le désarroi et le mal -être
RépondreSupprimerj'aime le texte, j'aime le lien avec le thème précédent et j'aime l'idée de la réincarnation, j'aime les portraits en forme de haïku ... en clair, j'aime tout !
RépondreSupprimertrès très beau texte plein de sensibilité et de tristesse. L'idée des haîkus est plaisante.
RépondreSupprimeravec le sourire
Trois portraits, trois vies, une belle harmonie entre la style et l'époque...
RépondreSupprimerEt la chute, mais quelle chute....un horizon qui promet... j'attends avec impatience!
Merci à tous !!!
RépondreSupprimerJe vais faire en sorte de me réincarner en homme la prochaine fois, moi seul avec tout le monde...
Bonjour, ce n'était pas évident, je confirme : harmonie et fil conducteur bien trouvé.
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