Vegas sur sarthe - portraits de femmes

“Pour faire le portrait d'une femme...”

Kevin se râcla la gorge.

“Prendre un joli pinceau 
aux poils fins et soyeux 
belette, zibeline 
enfin d'un animal
 
Enduire au fond de teint  
craie ou blanc de céruse 
ou bien au gras de porc 
quelque chose de sauvage
 
Peindre d'abord les yeux 
en tracer les contours 
tonifier le regard
par une ombre à paupière
 
Placer ensuite un nez 
aquilin, en trompette, 
noble ou impertinent 
quelque chose de joli 

Peindre ensuite une bouche  
pulpeuse ou bien discrète 
vermillon ou rosée 
qui appelle au baiser  

Peindre la chevelure  
cachée sous un chapeau 
ou vague déferlante 
raisonnable ou rebelle  

S'asseoir enfin devant 
sans rien dire 
sans bouger... 
espérer un sourire 
un regard consentant

 S'il arrive, fixez-le 
d'un glacis cristallin 
afin qu'il ne s'évade 
et signez le tableau 
d'un souffle de bonheur”

Kevin avait dit tout ça sans respirer et comme personne ne bougeait dans la classe - même pas le grand Mathis dit cul-salé et qui ne tenait jamais en place - il reprit son souffle pour ajouter: “Eh ben c'est fini, quoi”
L'instit le regardait sournoisement et lui demanda:”Tu veux nous faire croire que c'est toi qui a écrit ça, Kevin?” 
Elle avait ce regard des mauvais jours, celui qui vous envoie tout droit chez le dirlo, alors il a marmonné :”Euh... non” 
Elle ajouta en faisant la moue:”Tu n'aurais pas copié sur Prévert, par hasard?” 
“Qui ça? Y'a pas d'Prévert dans la classe, c'est juste mon dab qui m'a filé un coup d'main”

Le lendemain, son dab - c'est à dire moi-même - fut convoqué par Mademoiselle Poisson à la sortie de la classe des CE2.
Avec un blaze pareil je m'attendais à rencontrer un thon en fin de carrière mais je tombai en pamoison devant un ravissant visage encadré de longs cheveux de jais.
Elle aussi aimait Prévert, Picasso, Pink Floyd et plein d'autres trucs en P qu'on s'est découvert ensuite comme la pétanque et les pancakes... et on n'a pas cessé d'en découvrir.

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