Paranoïa
généalogique.
Dernièrement,
j'étais présente à un cocktail. Non pas comme invitée, mais comme
« extra ». C'est fou comme ce job-étudiant vous permet d'en apprendre
sur la société, ses ficelles, ses rouages, ses beautés et ses noirceurs.
Tenez,
je présentais des zakouskis à deux couples en grande conversation. A moult
renfort de dates, ils péroraient sur leur généalogie :
-
Figurez-vous, mon cher, que j'ai découvert, niché sur une branche, une cousine du grand N...
-
Non !
- Si,
je vous jure ! D'ailleurs, nous envisageons un vol jusque là pour
consulter…
Je
continuais ma tournée lorsque je fus happée par le coude et priée de rester
quelques instants…
-
Ah ! La … , c'est vraiment une dame au grand coeur. Figurez-vous qu'à
son âge, elle envisage d'adopter…
-
Mais elle a déjà adopté une enfant de chaque continent, non ?
- Une
belle âme, je le confirme. Il paraît même qu'elle a un lien de parenté avec
Mère Térésa…
Je
m'éclipsai discrètement, repassai au buffet et entrepris une tournée de
boissons. Aussi incroyable que cela puisse paraître lors d'une exposition de
peinture, tous les convives ne parlaient que de généalogie.
A
croire qu'ils ne pouvaient vivre que nourris par de nobles racines. Des petits
« de », des Monsieur le Comte, des Madame la Duchesse ; quand ce
n'était pas un illustre souverain.
Je
continuai mon service. Plus le temps passait, plus les références s'en
jouaient.
Les
dates citées se chiffraient en siècles…
Sans
rien avoir bu, j'étais ivre. Ivre de références, ivres de générations, ivres de
liens de parenté. Ivre jusqu'à plus soif.
Aux
petites heures, je rentrai enfin chez moi. Il faisait étrangement calme après
cette soirée.
Si calme
que je m'entendis réfléchir. Et moi ? Que me dit ma généalogie ? Pas
grand-chose ou rien que je veuille connaître.
Je me
couchai et pris mon livre. Mais celui-ci céda vite sa place au Rêve. Il se
saisit d'une plume d'oie et d'un parchemin et me dessina mon arbre. Un chêne
aux formes parfaites..
Moi, bien sûr.
Moi,
fille d'une femme magnifique. Brune aux cheveux longs, sosie de Gréco du temps
de Saint Germain des Prés, aux yeux
charbonneux aussi pétillants que ceux de Bardot.….Sublime mère, mais bâtarde.
Fille
cachée d'une comtesse à la gorge généreuse, chevelure à la Dolly Parton,
sourcils à la Sophia Loren, mariée à ….
Dis
donc, s'écria un rat qui passait par là, cela ne ferait-il pas « too
much » quand elle sera la star d'une soirée mondaine ? L'ADN de notre
souris ne laisse apparaître aucun de ces signes distinctifs...Elle est rousse
aux yeux verts….
La
plume continua de courir, d'ajouter des feuilles par-ci, des branches par là,
dans une joyeuse ramure.
Et ce
fut l'éblouissement. Perchée tout en
haut, comme un charmant petit bibi sur une tête inclinée...l’aïeule….
Waouh…
je suis une digne descendante de …. Incroyable !!!!
Sautant
de joie, je m'écrase le nez sur la carpette. La lune argentée éclaire un pan de
mur et s'attarde sur ma dernière acquisition aux Puces….
Un
charmant Fragonard….
La tournée de boissons se serait-elle éternisée?
RépondreSupprimerQuand tout se mélange... ça fait un sacré texte ! Bravo !
RépondreSupprimerEn voici un bel arbre, où se mêlent les meilleures appellations d'origine au flot de sève bleue !
RépondreSupprimerle titre de ton texte en dit déjà beaucoup sur le contenu. Servi par une belle plume, de l'humour et de l'étrange ... j'aime :o)
RépondreSupprimerMerci à vous !
RépondreSupprimerVos messages sont très encourageants !
Comme chaque fois que l'on aborde la généalogie, j'ai le cerveau qui frise ! j'adore mais bon sand qui est la fille de ....
RépondreSupprimeravec le sourire
une jolie plume qui s'allie bien avec Fragonard
RépondreSupprimer