mardi 29 septembre 2015

Fred Mili - Un beau salopard

CARRE BLANC

Je pense tu penses il pense
Il raconte J’écris
Il dit dans sa tête des mots qui ne sortent pas de sa bouche
Le chapeau vissé sur la tête pour éviter de perdre ses idées les yeux plongés dans l’éternité il rêve de demain Il rêve d’être heureux
C’est quoi être heureux hurle-t-il
Il s’encrasse les poumons pour paraître
Parce que son père fumait il fume
Sans réfléchir simplement par mimétisme
À la porte de ses illusions
il dresse des plans
Être heureux c’est avoir de l’argent rien d'autre
Une fille une femme à aimer il n’en n’a nul besoin
Il les achète
Le fric achète aussi le regard que les autres portent sur lui
Il aime sentir la convoitise
Ce qu’il vend les fera crever
Et pourtant ils viennent quémander
Un crédit une rallonge quelque chose de plus fort
À genoux les larmes aux yeux
Ils implorent
Pour oublier qu’ils sont presque morts
Ils rêvent
D'une autre vie leurs espoirs confiés au croque-mort ambulant
Ils y penseront furtivement
Tandis que lui avec l’argent qu’il leur a arraché
Il fera la fête
Le champagne dans une main l’autre sur une chute de reins
Elle non plus ne sait pas encore
Que les cadeaux qu’il offre
Sentent le cadavre la pourriture
Je pense tu penses il pense
Il raconte J’écris
Il dit dans sa tête des mots qui ne sortent pas de sa bouche
Le chapeau bien vissé sur la tête pour éviter de perdre ses idées les yeux plongés dans L’éternité il rêve de demain Il rêve d’être heureux
C’est quoi être heureux hurle-t-il
Il les nargue le dos tourné aux murs de la prison
Ces accros du bédo
Qui ont tué ou volé pour quelques euros
Pour s'acheter leur dernier jour
Il les rejoindra sans doute
Les prisons sont pleines d'ordures comme lui
Des soldats de la mort
Ces rats des rues
Prêts à sauter à la gorge du presque mort
Pour lui voler le dernier centime
Arracher l'ultime respiration
Pourtant il aimerait qu'ils vivent longtemps
La vie lui serait plus facile
Le melon sur la tête
Il règne sur son charnier
La bave au coin des lèvres
En comptant son pognon
Il pense qu'elle ne l’a jamais vu celle
Qui vient lui demander une dose
Sans se poser de question il propose
Mais le surin qu’elle
Lui plante dans les tripes
L’esbaudi
Il sait qu’il a tué ses frères ses amants
Le chapeau tombe le regard ébahi
Lorsqu’elle remue la lame dans ses entrailles
Les yeux ouverts éberlué
Il regarde sans comprendre
Le sang tâcher ses billets
Elle rit comme une démente
Une coupe de champagne à la main
Elle veut oublier ses mains sur ses reins
Elle a tout fait pour le retrouver
Le détruire
L’homme au chapeau
Elle est fière d’avoir vengé
Ceux qu’elle aimait et tous les autres
Elle pense nous pensons vous pensez
Ils racontent Elle écrit
Elle dit tout haut des mots qu’elle a du mal à retenir
Elle piétine le chapeau dévissé comme d'autres piétinent des grappes de raisin
Le salopard s'écroule pantin désarticulé
C’est quoi être heureux demande-t-elle

7 commentaires:

  1. Oufff...! quelle claque...
    Puissant, profond et talentueux jusqu'au bout, belle inspiration, un grand bravo !

    RépondreSupprimer
  2. Une vraie vie de salopard par bribes, fortes et sordides. Bravo Fred

    RépondreSupprimer
  3. L'Arpenteur d'étoiles29 septembre 2015 à 21:59

    sacré texte et sacrés portraits et une écriture dense et tranchante comme le couteau dans le ventre !

    RépondreSupprimer
  4. Merci à tous... Je en sais que dire !

    RépondreSupprimer
  5. une peinture sans fioriture d'un salaud et de son monde glauque :(

    RépondreSupprimer
  6. Des ambiances très bien décrites... j'en ai eu des frissons dans le dos... alors que le soleil me câline...

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".