Une maison comme un navire échoué près des côtes.
Bâtisse de pierre plantée au milieu d’un parc en friche, à
la lisière d’une ville calme et rurale.
Il a poussé le lourd portail de fer, marché dans l’allée
envahie d’herbes folles et bordée de chênes séculaires. Quelques marches, un
perron immense et la clé grinçant dans la porte à deux battants de bois noircis.
L’escalier monumental. Ses pas résonnent en montant jusque sous les combles. Une
autre porte ; entrouverte. Clair-obscur. La lumière descend des lucarnes
ternies. Une poussière dorée danse dans ses rayons obliques.
Il a un peu plus de vingt ans. Ses parents viennent d’acquérir
la « maison du marquis ». Elle n’a pas changé depuis qu’il est gosse.
Restée inhabitée, sauf parfois en été, quand la famille descendait de Paris
pour les vacances. Il en a tellement vécu de ces inoubliables mercredis passés dans le
parc, à jouer aux explorateurs. Dans le secret,
seul, rêveur, l’esprit rempli des aventures de ses héros, personnages de ses
lectures enfantines puis adolescentes. Il avait découvert un passage menant jusqu’à la serre, qu’il ne révéla à personne. Il
n’avait jamais cherché à entrer dans la maison.
L’achat fut conclu hier, chez le notaire du coin. Son
père lui confia la clef et lui souffla dans un sourire complice :
- va visiter la maison avant qu’elle ne se vide et que
les travaux commencent. Quand tu rentreras de Londres vers Noël, « il y
aura déjà du mal de fait ». Je crois savoir que tu as là-bas des souvenirs
...
Il est assis sur un lit de fer recouvert d’une
courtepointe fleurie. Il se surprend à trembler un peu. Des malles ouvertes,
des habits surannés, des piles énormes de livres aux reliures ornées de
feuilles d’or aux cuirs jaspés et noircis. Et puis devant lui deux tableaux qu’il
découvre tout en pensant les avoir toujours connus. Il les nomme d’instinct, « la jeune fille
au chapeau » et « la blonde vaporeuse ». Il est fasciné par leurs
regards, leurs attitudes, l’une semblant plus timide, l’autre plus hautaine ou,
pour le moins, sure d’elle.
- Elle avec le chapeau c’est Louise ; la blonde
aux lèvres rouges c’est Lisy !
Il sursaute, manque de choir du lit, se retourne pour se
trouver en face d’une jeune fille longue, fine, belle. Un regard tendre,
espiègle, mutin. Un sourire indéfinissable et l’ovale de son visage encadré de
longs cheveux châtains. Il est figé, les bras ballants, et finit tout de même
par murmurer :
- Mais qui êtes-vous ?
- Je suis un peu Louise, un peu Lisy et beaucoup
moi-même, lui répond-elle en plissant un peu les yeux. Ces deux femmes sont mes
ancêtres. Louise la romantique, rêveuse, amoureuse permanente mais qui finit sa
vie dans un couvent, après avoir fait quatre enfants, tout de même. Lisy, icone
des années trente, meneuse de revue, libre et volage. Lisy était mon arrière
grand tante. Elle est morte à plus de quatre-vingt-dix ans et faisait encore le
grand écart peu avant sa mort. On raconte même que parfois on peut encore les
voir, étranges fantômes, par les fenêtres de la maison, ou dans les allées du jardin. Elle ponctua d’un rire léger.
- Alors vous êtes de la famille du marquis ?
- Gagné ! Je suis la fille de ceux qui ont vendu la
maison à vos parents. Je voulais revenir pour la revoir. Cette maison est pleine
de souvenirs de si belles vacances. Et puis dans quelques jours je pars à
Londres pour continuer mes études. Alors, je sais que je n’y reviendrais
jamais.
Ils descendirent ensemble du grenier. Elle avec les deux
tableaux sous le bras. Assis sur le perron, ils profitaient des derniers rayons
du soleil avant qu’il se glisse derrière les grands arbres des bordures.
Ils s’étaient trouvé des points communs, musique, sport, gout
des voyages et études quasi similaires. Ils se promirent de se contacter quand
ils seraient en Angleterre.
Et puis soudain, dans la grande allée en contre-jour,
deux silhouettes apparurent. Une femme au chapeau, serrée dans un corset et jupe
à tournure. Une autre en robe charleston, ornée de longs colliers et tenant un immense
porte-cigarette. Un signe de la main comme un au revoir et elles s’évanouirent.
La jeune fille murmura au bord des larmes :
- Les cœurs et la couleur des saisons changent sans cesse. Une dernière page
vient de se tourner, un livre de se refermer. Mais toi et moi, avons toute la vie devant nous.
Elle effleura sa main, se leva, descendit les quelques
marches et disparut à son tour dans l’ombre qui gagnait peu à peu le reste du
parc.
Entre rêve et réalité, trois parcours atypiques et pour le dernier, tous les espoirs sont permis...
RépondreSupprimerj'admire infiniment ce que je ne sais pas faire
RépondreSupprimerMagnifique, évocateur, émouvant, original, imaginatif - toujours autant de talent : bravo encore.
RépondreSupprimertrès beau récit plein de sensibilité. Mais à mon avis entre les deux; il y a baleine sous le gravier ! Tu es un grand romantique...
RépondreSupprimerEt l'histoire continue.... un quatrième puis cinquième portrait....qui sait?
RépondreSupprimerQuelle jolie rencontre pleine de poésie, bravo !
RépondreSupprimerBelle atmosphère féminine. J'adore.
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