Un étrange parfum flottait dans les couloirs. Et ce n'était ni l'odeur huileuse de l’ascenseur, ni l'odeur de la moquette fatiguée.
En quelques secondes, je fis un bond dans le passé. Je revoyais la maison jaune au toit de tuiles et aux fenêtres à quatre battants. J'entendais le crissement du gravier sur le chemin qui conduisait à la porte de la cuisine vitrée dans le haut.
Je sentais la poignée sous mes doigts et un léger déclic. J'entrais et je criais : « C 'est moi ! », qu'il y ait quelqu'un ou non. Le vendredi, j'avais le droit de monter à l'étage pour aider ma marraine à « faire sa chambre ». Sur la commode, il y avait un objet qui me fascinait : une boule de verre rose translucide à laquelle était reliée une poire avec une pampille. Lorsque j'avais « bien travaillé », ma marraine ouvrait un tiroir, en sortait un flacon et me laisser respirer. Je ne trouvais pas de mots pour exprimer ce que je ressentais, alors, je disais simplement : « Ça sent bon, bon »
Et c'est cette odeur que je retrouvai dans les couloirs, quarante-cinq années plus tard.
C'est aussi cette odeur que je suivais en me rendant dans la salle de réunion jouxtant le bureau du boss, qui, en l'occurrence, était aussi mon conjoint.
La journée se passa normalement, bien que je me permis quelques distractions ayant pour objet « le parfum étrange » . Non qu'il soit étrange par sa nature, mais par sa présence en ces lieux.
Les jours s'écoulaient, tranquilles en apparence. En revanche, mes sens étaient continuellement en éveil dès que je rentrais à la maison. J'errais d'une pièce à l'autre. Humant distraitement une orchidée, un pull, une veste…
Un mois plus tard, sur le temps de midi, j'entrai dans une grande parfumerie. Je fis part de mon souhait.
- Je désire retrouver un parfum que je sentais quand j'étais enfant…
La découverte fut rapide et la vendeuse me proposa un échantillon.
Les jours ne me semblaient plus aussi tranquilles. J'étais obsédée par cette odeur et je voulais lui en parler. Avoir son avis sur ces parfums assez capiteux et désuets alors que j'étais addict aux fleuris-orientaux.
- Franchement, cela ne t'irait pas. Il faut un certain style…
Ne voulant pas ouvrir les hostilités, je ne relevai pas ce commentaire désobligeant.
Deux mois plus tard, je dus m'absenter – pour mon travail – une semaine. Lorsque je fus de retour, je détectai immédiatement « le » parfum. Mon cœur s'emballa. Je m'empressai de vérifier dans ma trousse de toilette, l'échantillon était intact. Je passai nerveusement ma main dans mes cheveux en me traitant d'idiote. J'allais peut-être découvrir un petit paquet à côté de mes couverts…
Rien. Mon manège recommença. Je jouai au détecteur d'odeur : ses vêtements, le panier à linge, et même la corbeille à papier. C'est alors que mon sang se figea. Je trouvai une note de restaurant au total aussi époustouflant que le menu pour deux.
Je ne laissai rien paraître, que du contraire. J'étais quasi parfaite, mais derrière cette image de papier glacé se cachait une détective féroce. J'accumulais les preuves, en silence.
Et puis vint le soir où je tendis mon piège.
Je l'informai que j'organiserais un dîner le vendredi, avec quelques amis. Un léger rictus déforma sa bouche.
Le vendredi, il rentra , passablement énervé, vers vingt heures.
La table était dressée pour deux.
J'avais passé une petite robe noire.
Je m'étais parfumée avec cet « étrange parfum ».
Il me regarda fixement.
Il ouvrit la bouche.
Je ne lui laissai pas le temps de dire un mot et j'attaquai :
- Depuis combien de temps as-tu renoué avec ton ex ?
- Ma pauvre, tu es folle ! Il est grand temps de te faire soigner….
- Il est temps effectivement que je me sauve ….
La femme a du nez pour "ça", une sorte de sixième sens qui va bien au-delà de l'olfactif
RépondreSupprimerHi hi, tu sembles en connaître un brin ! Merci pour ta lecture!
SupprimerSi en plus elle est hyperesthésique, comme moi...aucune chance de lui échapper. ^^
RépondreSupprimer¸¸.•*¨*• ☆
Cela devient de plus en plus difficile à identifier toutes les senteurs tant elles sont nombreuses aujourd'hui, mais les grands classiques....ah... oh....
Supprimer- Se mêlant au fumet du Lapin chasseur que l'on avait servi, des senteurs de discorde alourdissaient l'atmosphère.
RépondreSupprimerQue voilà un joli incipit pour une autre histoire! Merci de m'avoir lue!
Supprimerla tension qui s'accroit de ligne en ligne, des faits sans ampleur qui peu à peu prennent une importance énorme, voire pathologique, le travail nerveux de déduction et la vérité qui éclate à la fin du texte.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup cette histoire qui pourrait être le synopsis d'un court métrage
Merci, Arpenteur! Je suis flattée et émue à la fois !
SupprimerCe parfum était probablement de Guerlain ! ;-)
RépondreSupprimerCqfd : un parfum peut trahir. Même celui qui ne le porte pas...
Tu as le nez fin... très fin ;)) et tu as bien pioché tous les indices sensoriels!Merci de ta lecture!
SupprimerJe préfère ce dénouement !... :)
RépondreSupprimerDénouement qui est tout de même tordu...quand on en est la "victime"...
SupprimerMerci de ta lecture et d'avoir précisé tes préférences ;)
@Clémence : c'est à cause de la petite robe noire...^^
RépondreSupprimer;)
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