La fin du matador
C’est
bien la dernière fois que j’admire la couleur de tes yeux ! Non ! Je
ne plongerai plus dans ces abysses tellement tourmenteurs où je perds toujours
pied, submergé jusqu’à noyer mon cœur dans l’ivresse de ces profondeurs. Non !
Je n’irai plus chercher les malignes étoiles de mer collées dans tes pupilles,
poser des baisers ardents sur tes paupières jusqu’à en perdre le compte et tout
recommencer, ramper comme un poisson capturé dans cette nasse si merveilleuse, tituber
encore et retrouver mon souffle dans un de nos baisers de grande apnée ! Non !
Je n’y vois plus rien qui puisse me subjuguer au-delà de la bienséance !
Tu peux froncer les sourcils, jouer les guerrières avec tes flèches de
simagrées et tes renfrognements de simili-indisposée !... Tu peux bien tenter
de m’hypnotiser encore, tu peux bien
couper le ruban de nos retrouvailles, tu peux bien t’affaler dans le fauteuil
de mes contemplations, tu ne pourras plus jamais m’éblouir avec tes
incessants papillonnages d’élégante castillane posant fièrement dans une
tribune d’applaudissements tauromachiques !...
Olé !
C’est
bien la dernière fois que j’écoute le son de ta voix ! Non ! Je
n’irai plus chercher tes messages les plus sibyllins dans ton arène de
poussière tellement animale ! Non ! Je resterai ignorant à tes offrandes
de bouquets de fleurs jetés sur ta piste sanglante, à tes gémissements cupides,
à tes jérémiades de poupée capricieuse ! Si je suis sourd au monde
environnant, toi, l’ensorceleuse, toi, l’entremetteuse, toi seule savais me
rallier à la cadence de tes pas de danse, à tes discours sur la chance, à tous
ces non qui disent oui, à tous ces oui sans manière, à tous ces oui de fausse
prétentaine, à tous ces oui d’épicurienne ! Non ! En habit de lumière,
le torse bombé, l’épée en bandoulière, je n’irai plus défiler sur le pas de ton
lit ! Un jour amant, l’autre carpette et l’autre d’après, simple figurant,
tu savais si bien trouver les mots pour que je fasse le beau ! Non !
Je ne t’offrirai plus mes deux oreilles !...
Olé !
C’est
bien la dernière fois que je respire le parfum de tes cheveux ! Non !
Je ne serai plus un funambule sans filet, planant au milieu de ces effluves, un
poète sans rime avec sueur, un pantin désarticulé agité aux ordres des ficelles
de ces boucles d’or, un paladin bravache misérablement accroché à cette
crinière plus fauve que blonde, pendant nos galops d’Amour ! Non ! Je
ne veux plus défaillir pendant cet enivrement olfactif ! Non ! Je ne
veux plus me ruer sur cette mantille brodée que tu agites devant moi comme le
ferait une cape devant le nez d’un jeune taureau camarguais ! Range donc cette
longue barrette noire, si griffue et si mordante, comme une gueule de monstre
affamé, ces épingles si pointues et si fleuries, comme des banderilles de corrida
tueuse, ces élastiques si rouges et si verts, comme des cocardes à lots, sur
des cornes périlleuses !...
Olé !
C’est
bien la dernière fois que je t’embrasse ! Non ! Je ne veux plus rien
savoir du goût parfumé de ta bouche sirupeuse ! Tu peux rentrer ces sourires de
séduction, ces parenthèses de suggestion, où je me retrouvais toujours
emprisonné à l’intérieur ! Range la cérémonie bien organisée de tes dents
si blanches, cette langue si experte à remporter nos duels de gourmandise, ces
lèvres pulpeuses si rouge sang ! Torero de ton alcôve, finis tes ruades si
fières, tes sabots trop vernis, tes banderilles griffues si acérées sur le cuir
de ma peau si tendre ! Non ! Je n’irai plus réclamer le feu ardent de
tes baisers, me brûler l’âme à cet enthousiasme goûteux, m’attiser le cœur et
l’âme contre ton éventail d’impatience !...
Olé !
C’est
bien la dernière fois que je te caresse ! Non, je n’irai plus à la
découverte de tes frissons les plus secrets ! Je n’irai plus glisser ma
main dans tes vallées, pétrir tes collines, perdre mon chemin et revenir avec
d’autres desseins plus auré… Olé ! Et tous les poils dressés sur tes bras,
et tous ces tressaillements de presque connivence, et tous ces soubresauts de
tempête, et tous ces bruissements de dentelle, je ne veux plus en entendre l’écho
macabre d’une jouvence qui s’enfuit déjà au galop !...
Olé !
C’est
la faena ; je t’en prie, épargne-moi ta bronca… Bien dressé sur mes
ergots, la muleta en rideau de pudeur, c’est l’estocade ; c’est la mise à
mort et c’est mon sang que j’ai sur les mains, et c’est toi… qui tiens l’épée...
Mon sang ne fait qu'un tour !
RépondreSupprimerJolie estocade... et so hot.
Les olé, c'était pour devancer Vegas et ses commentaires... ;)
SupprimerCaliente, caliente...et magistral !
RépondreSupprimerTu as dompté le dictionnaire comme un toro furieux !
¸¸.•*¨*• ☆
Olé, quel texte mazette, une vraie de vraie corrida, j'en suis restée sur le derrière, estoquée ! Bravo.
RépondreSupprimerJoli ! (si on peut dire pour une pareille histoire de fureur et de sang)
RépondreSupprimerLa cinquième dernière fois sera la bonne! Olé !
RépondreSupprimerje hais les corridas mais j'aime vraiment ton texte :o)
RépondreSupprimeret que les matadors et toreros meurent !!
Hombre ! Tu as porté la dernière estocade avec un tel brio qu'on en reste pantois. Grand Bravo.
RépondreSupprimerDu grand art....Carmen en serait jalouse...
RépondreSupprimerMerci pour vos commentaires.
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