mardi 17 mai 2016

Pascal - C'est bien la dernière fois que...



La fin du matador 

C’est bien la dernière fois que j’admire la couleur de tes yeux ! Non ! Je ne plongerai plus dans ces abysses tellement tourmenteurs où je perds toujours pied, submergé jusqu’à noyer mon cœur dans l’ivresse de ces profondeurs. Non ! Je n’irai plus chercher les malignes étoiles de mer collées dans tes pupilles, poser des baisers ardents sur tes paupières jusqu’à en perdre le compte et tout recommencer, ramper comme un poisson capturé dans cette nasse si merveilleuse, tituber encore et retrouver mon souffle dans un de nos baisers de grande apnée ! Non ! Je n’y vois plus rien qui puisse me subjuguer au-delà de la bienséance ! Tu peux froncer les sourcils, jouer les guerrières avec tes flèches de simagrées et tes renfrognements de simili-indisposée !... Tu peux bien tenter  de m’hypnotiser encore, tu peux bien couper le ruban de nos retrouvailles, tu peux bien t’affaler dans le fauteuil de mes contemplations, tu ne pourras plus jamais m’éblouir avec tes incessants papillonnages d’élégante castillane posant fièrement dans une tribune d’applaudissements tauromachiques !...

Olé !

C’est bien la dernière fois que j’écoute le son de ta voix ! Non ! Je n’irai plus chercher tes messages les plus sibyllins dans ton arène de poussière tellement animale ! Non ! Je resterai ignorant à tes offrandes de bouquets de fleurs jetés sur ta piste sanglante, à tes gémissements cupides, à tes jérémiades de poupée capricieuse ! Si je suis sourd au monde environnant, toi, l’ensorceleuse, toi, l’entremetteuse, toi seule savais me rallier à la cadence de tes pas de danse, à tes discours sur la chance, à tous ces non qui disent oui, à tous ces oui sans manière, à tous ces oui de fausse prétentaine, à tous ces oui d’épicurienne ! Non ! En habit de lumière, le torse bombé, l’épée en bandoulière, je n’irai plus défiler sur le pas de ton lit ! Un jour amant, l’autre carpette et l’autre d’après, simple figurant, tu savais si bien trouver les mots pour que je fasse le beau ! Non ! Je ne t’offrirai plus mes deux oreilles !...  

Olé !

C’est bien la dernière fois que je respire le parfum de tes cheveux ! Non ! Je ne serai plus un funambule sans filet, planant au milieu de ces effluves, un poète sans rime avec sueur, un pantin désarticulé agité aux ordres des ficelles de ces boucles d’or, un paladin bravache misérablement accroché à cette crinière plus fauve que blonde, pendant nos galops d’Amour ! Non ! Je ne veux plus défaillir pendant cet enivrement olfactif ! Non ! Je ne veux plus me ruer sur cette mantille brodée que tu agites devant moi comme le ferait une cape devant le nez d’un jeune taureau camarguais ! Range donc cette longue barrette noire, si griffue et si mordante, comme une gueule de monstre affamé, ces épingles si pointues et si fleuries, comme des banderilles de corrida tueuse, ces élastiques si rouges et si verts, comme des cocardes à lots, sur des cornes périlleuses !...

Olé !

C’est bien la dernière fois que je t’embrasse ! Non ! Je ne veux plus rien savoir du goût parfumé de ta bouche sirupeuse ! Tu peux rentrer ces sourires de séduction, ces parenthèses de suggestion, où je me retrouvais toujours emprisonné à l’intérieur ! Range la cérémonie bien organisée de tes dents si blanches, cette langue si experte à remporter nos duels de gourmandise, ces lèvres pulpeuses si rouge sang ! Torero de ton alcôve, finis tes ruades si fières, tes sabots trop vernis, tes banderilles griffues si acérées sur le cuir de ma peau si tendre ! Non ! Je n’irai plus réclamer le feu ardent de tes baisers, me brûler l’âme à cet enthousiasme goûteux, m’attiser le cœur et l’âme contre ton éventail d’impatience !...

Olé !

C’est bien la dernière fois que je te caresse ! Non, je n’irai plus à la découverte de tes frissons les plus secrets ! Je n’irai plus glisser ma main dans tes vallées, pétrir tes collines, perdre mon chemin et revenir avec d’autres desseins plus auré… Olé ! Et tous les poils dressés sur tes bras, et tous ces tressaillements de presque connivence, et tous ces soubresauts de tempête, et tous ces bruissements de dentelle, je ne veux plus en entendre l’écho macabre d’une jouvence qui s’enfuit déjà au galop !...

Olé !

C’est la faena ; je t’en prie, épargne-moi ta bronca… Bien dressé sur mes ergots, la muleta en rideau de pudeur, c’est l’estocade ; c’est la mise à mort et c’est mon sang que j’ai sur les mains, et c’est toi… qui tiens l’épée...  

10 commentaires:

  1. Mon sang ne fait qu'un tour !
    Jolie estocade... et so hot.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Les olé, c'était pour devancer Vegas et ses commentaires... ;)

      Supprimer
  2. Caliente, caliente...et magistral !
    Tu as dompté le dictionnaire comme un toro furieux !
    ¸¸.•*¨*• ☆

    RépondreSupprimer
  3. Olé, quel texte mazette, une vraie de vraie corrida, j'en suis restée sur le derrière, estoquée ! Bravo.

    RépondreSupprimer
  4. Joli ! (si on peut dire pour une pareille histoire de fureur et de sang)

    RépondreSupprimer
  5. La cinquième dernière fois sera la bonne! Olé !

    RépondreSupprimer
  6. Arpenteur d'étoiles18 mai 2016 à 10:57

    je hais les corridas mais j'aime vraiment ton texte :o)
    et que les matadors et toreros meurent !!

    RépondreSupprimer
  7. Hombre ! Tu as porté la dernière estocade avec un tel brio qu'on en reste pantois. Grand Bravo.

    RépondreSupprimer
  8. Du grand art....Carmen en serait jalouse...

    RépondreSupprimer
  9. Merci pour vos commentaires.

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".