Il se souvient si bien de cette fin d’après-midi de printemps. Un printemps de cris de mouettes et d’air iodé. Il marchait sur la promenade presque déserte et était passé devant elle, assise sur une marche de l’escalier de fer du Black Coffee, face à la mer. Elle était toute la beauté du monde. Elle avait devant elle deux drôles de boîtes, posées comme des coffrets ouverts. Il s’était arrêté pour la contempler, étonné et ravi. Puis ils avaient échangé quelques mots. Un dialogue léger et un peu étrange :
- C’est quoi ces boites vides ? Elle avait réfléchi, avait cherché les mots pour le dire :
- Elles ne sont vides qu’en apparence. En réalité elles sont pleines. Celle-ci, des rêves des femmes. Et celle-là des fragments de paradis.
Il était resté coi. A la fois interloqué et séduit. Elle avait souri, l’avait observé un instant la tête penchée sur le côté, puis avait poursuivi, devançant la question qu’il n’osait pas poser.
- Je les ai mises ici tout à l’heure, pour qu’elles soient face au soleil couchant, juste avant que les lumières ne s’allument. Vous comprenez ? Le couchant pour nous est le levant pour d’autres. Rêves et fragments peuvent alors s’enfuir, libres sur les reflets dorés, vers les confins du monde.
Il était resté avec elle jusqu’à l’envol, jusqu’à ce que s’éclairent les premières lumières du bord de plage.
Il l’avait prise par la main, comme une évidence, et ils avaient marché, tranquilles. Elle avait des yeux de soie comme l’aile des papillons. Cachés dans les replis du temps, ils avaient passé le début de la nuit sous le pont de pierre. L’odeur des forsythias parfumait le clair de lune. Ensuite, ils avaient prolongé la balade, pour voir le manteau des étoiles et les belles choses que porte le ciel.
Soudain, elle s’était plantée devant lui et avait chuchoté « embrassez-moi » comme dans un de ces vieux films en noir et blanc. Quand leurs lèvres s’éloignèrent, il glissa à son oreille :
- Pour nous, ce sera une si longue nuit
- Tu seras mon éternel passant. Dans un souffle, elle savait déjà qu’il serait pour elle l’amour ultime.
Le lendemain, elle avait demandé songeuse : à qui tu penses quand tu me fais l’amour ? Il avait répondu :
- A l’autre côté du rêve. Puis, caressant le corps de liane, il avait ajouté en riant : c’est fou, une fille, finalement !
Un peu plus tard, elle lui avait offert une espèce de porte bonheur, ou plutôt un attrape-rêves. Un minuscule miroir, entouré de fils tressés de couleurs ocre et bleue, orné de deux petits pompons rouges.
- Les rêves en poche. Lorsque tu le sortiras chaque soir, l’imaginaire et l’avenir t’accompagneront toujours
… / …
Sous la pluie, perdu dans le labyrinthe du temps, le vieil homme est arrivé au terme de son voyage, devant les eaux troublées de l’automne. Il serre contre lui une boite semblable à celles des rêves des femmes ou peut-être à celle des fragments de paradis. Il ne sait plus très bien désormais. Il l’ouvre.
Un peu d’eau se mêle aux cendres quand il les disperse.
Et puis, du fond de la poche de son vieil imperméable, il sort l’attrape-rêves. Son porte bonheur qu’il a gardé toute sa vie. En tremblant un peu, il prend un briquet et allume les fils pâlis par le temps. Il regarde brûler les rêves de sa vie et les jette à la mer. Dans un soupir il murmure : la pluie, mes larmes, ce ne sont que de l’eau du ciel. Alors ne pleure pas ma belle, la mer, seule, s’en souviendra.
Quel texte sublime de poésie...
RépondreSupprimerElle avait des yeux de soie comme l’aile des papillons. comme c'est beau ! Je suis sous le charme
¸¸.•*¨*• ☆
Je comprends pourquoi il y a tant d'étoiles dans tes écrits et dans tes pensées !
RépondreSupprimerSuperbement imaginé, magnifiquement écrit, j'ai beaucoup aimé cette histoire, à mi chemin du rêve et de la réalité, si belle, et tellement chargée de poésie...
RépondreSupprimerTe lire est un enchantement. Je voudrais bien posséder un "attrape-rêves" pour y retrouver les plus merveilleux, ceux de l'enfance. Merci l'Arpenteur pour ce texte.
RépondreSupprimerUn texte tendre qui nous touche par tous les sentiments: l'amour, le rêve et la mort...
RépondreSupprimerLa femme est souvent magnifiée dans tes récits; celui-ci ajoute une tendre et troublante évanescence au caractère féminin que tu dépeins, comme toujours, avec ta bienveillance foncière.
RépondreSupprimerEncore bravo, l'Ami.