Comme
d'habitude
Je
ne sais pas si vous avez déjà rendu un dernier soupir, non bien
sûr... suis-je bête.
En
tout cas c'est bien la dernière fois que je rends l'âme.
On
n'est jamais certain que c'est le dernier soupir quand on n'est plus
là pour se rendre compte qu'il n'y en aura pas d'autre après
celui-là.
Elles
sont là au grand complet les blouses blanches, penchées sur mon lit
à me regarder lâcher la rampe mais je ne suis pas très chaud
malgré un bon 40 de fièvre qui vient de m'emmener aux urgences
toutes sirènes hurlantes.
Faut
dire que la sirène ou plutôt l'infirmière qui me tenait la main
dans l'ambulance était gironde pour pas dire bien en chair et
donnait plus envie d'ouvrir les yeux que les fermer.
J'ai
quand même failli oublier de respirer quand elle m'a dit qu'elle
s'appelait Germaine comme ma première conquête... je devais avoir
seize ans, une petite moustache et un patte d'éléphants comme on ne
saurait plus en faire aujourd'hui.
Ce
jour-là je n'ai jamais couru aussi vite de ma vie: Germaine avait
pourtant des talons de dix centimètres mais il avait été champion
aux courses de vachettes chez Guy Lux... quelle drôle d'idée de
s'appeler Germaine et de s'épiler !
La
fois suivante j'ai rendu l'âme pendant une malencontreuse partie de
roulette russe: j'avais par étourderie passé l'arme à Gauche –
un brave type ce Gauche mais quel drôle de nom – qui s'est grillé
la cervelle sans réaliser ce qui lui arrivait.
Je
n'ai jamais supporté l'odeur de la cervelle grillée, pourtant ma
mère n'avait pas d'égale pour préparer sa cervelle de veau
persillée. Fallait la voir extirper tous les petits vaisseaux
sanguinolents et les arracher à cette masse blanchâtre et
tremblotante!
Arrêtez
de me regarder comme ça! D'abord c'était pas un soupir, juste ce
souvenir qui me donne un haut-le-cœur. Vous verrez quand vous
serez à ma place en train de voir défiler des wagons de souvenirs
comme le tout dernier TGV du soir.
Dans
l'ambulance, Germaine – pas le coureur de vachettes, l'autre, la
sirène – s'est crue obligée de m'infliger deux bouche-à-bouche
d'enfer, et quand je dis d'enfer! J'ai jamais aimé le goût de
l'aïoli même si ma mère n'avait pas son pareil pour faire prendre
la mayonnaise... c'est avec ça qu'elle avait eu mon père et que je
suis là aujourd'hui, enfin encore là à cette heure.
“Quelle
heure il est?”
L'interne
me regarde comme si je lui demandais l'heure de ma mort pour
l'inscrire moi-même au bout du lit.
Il
y en a qui auraient traversé la France pour l'aïoli maternel mais
moi j'ai jamais aimé ça contrairement à Germaine qui doit être
espagnole ou catalane et a cru me rendre service en étalant son
diplôme de réanimatrice alors qu'une lampée d'oxygène aurait
suffi.
En
d'autres circonstances je lui aurais proposé d'aller rincer tout ça
avec un Fitou ou un Vacqueyras mais tout ce qu'elle m'a inspiré
c'est une nausée à faire gerber.
“Vous
auriez du Gevrey-Chambertin?”
L'interne
va tourner de l’œil, il doit me croire en plein délire.
C'est
pourtant pas trop demander... un cru qui m'a vu naître à l'hiver
47, un des millésimes du millénaire dont personne n'a plus rien à
cirer depuis qu'on a changé de millénaire. Quelle tristesse.
Sûr
que cet interne ne sait même pas ce qu'est un pinot noir... un
buveur de Coca qui doit croire qu'un Pinot noir c'est juste un flic
beurré ou sénégalais.
Et
après ça on trouvera inquiétant que je soupire.
Attendez!
Débranchez rien! Faut juste que j'explique à cet appenti toubib les
rudiments du vin, les choses indispensables, vitales, les climats,
les cépages, la taille, l'enjambeur...
Pourquoi
l'enjambeur me ramène t-il à Germaine? Ça doit être l'effet de ce
poison qu'ils ont mis dans mes tuyaux.
“Débranchez-moi!”
L'apprenti
toubib me débranche aussitôt. Y doit être payé au client
refroidi.
“Non,
c'est pas ce que je voulais dire!”
J'aurais
jamais pu faire ce boulot de toubib... j'ai trop peur du sang même
si ma mère n'avait pas son pareil pour saigner. Fallait la voir
égorger les lapins avant de les désaper des pattes arrières
jusqu'à la tête... c'est avec ce strip-tease qu'elle avait eu mon
père et que je suis là, bref.
Débranché
et libre... je me lève et je les bouscule, je m'habille très vite,
je sors de la chambre, comme d'habitude.
C'est
marrant, ça me rappelle un chanteur qu'est mort lui aussi...
pourquoi lui aussi?
Je
suis vivant! Dire qu'ils ont failli me faire rendre l'âme une fois
de plus avec leurs conneries. Les souvenirs, c'est ça qui vous
flingue plus que tout le reste.
Dans
le couloir, Germaine attend en sirotant devant la machine à café,
surement pour faire passer le feu de l'aïoli.
“Vous
me ramenez chez moi?”
Germaine
sursaute, en inonde son décolleté.
Je
la prends par la main et je sors... pas près de revenir.
C'est une étrange balade entre dernier soupir et première rencontre et le tout à la sauce Vegas, façon pudiquo-cynique.
RépondreSupprimerJoli usage de la bouffée d'oxygène, avec une pointe d'aïoli et comme un fond de Topor en fond de bouche ; j'aime bien.
RépondreSupprimerMoi, je dis, il me faut un toubib d'urgence pour prescriptions médicales végasiennes contre neurasthénie galopante, morosité ambiante et mélancolie envahissante. A prescrire de toute urgence à la planète entière !
RépondreSupprimerUne jolie façon de nous dire que tu as neuf vies... ;-)
RépondreSupprimerMiaou !
¸¸.•*¨*• ☆
Ah si elle s'appelait Paulette : https://www.youtube.com/watch?v=jci0a04zRbE
RépondreSupprimerUne seule personne est capable de demander du Gevrey-Chambertain à l'heure de rendre l'âme. Et dire qu'il y en a d'autres qui font leur mea culpa...
RépondreSupprimerQuand on est fier... d'être bourguignon !
SupprimerMort de rire :o)))
RépondreSupprimersinon, une infirmière qui aujourd'hui s'appelle Germaine, j'y crois pas une seconde !!
Je ne sais pas pourquoi mes "héroïnes" s'appellent souvent Germaine ?
SupprimerC'est à cause des bonbons à l'anis de F. pardi ! Quand on est fier d'être bourguignon...
RépondreSupprimerEt, bien sûr, au cœur de tes élucubrations, une pépite philosophale : "Les souvenirs, c'est ça qui vous flingue plus que tout le reste." J'adore !
RépondreSupprimerSans me vanter j'aurais bien vu Audiard dire ça :)
SupprimerGermains, te revoilà, ton haleine à ressuscité un mourant....
RépondreSupprimerPourquoi Germaine? Peut-être la chanson éponyme. ...
Oups ... GermainE et non Germain. ...
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