Rencontre en sous-sol
Un étrange parfum flottait dans les couloirs, et je m'abandonnai un long moment au silence qui y régnait, troublé seulement de temps à autre par le grondement plus vif de la circulation, qui parvenait assourdi. Plongés dans le noir, les lieux étaient sinistres, et je déplorai un moment l'incursion aventureuse, qu'une force irrésistible me poussait cependant à poursuivre.
Soudainement parue, une manière de penser inattendue se faisait jour en moi, déplaçant l'idée du comportement face au danger vers des régions nouvelles, où régnait autrefois le plaisir sans partage des moments heureux, chassés aujourd'hui par une crainte raisonnée dont le bien fondé m'échappait. Et je ressentais comme improbable tout retour au réseau des sens, comme au cheminement de la pensée tels qu'ils étaient encore en moi la veille en me couchant. Un bouleversement sans dommages paraissait s'être produit en moi, dès la porte entr'ouverte du sombre couloir, et je sentais courir sur mon épiderme une vague de fourmillements heureux - sans raison apparente.
Curieusement, aucune fatigue ne se faisait sentir à l'issue de cette nuit mouvementée, où le repos avait eu tant de mal à s'insinuer parmi cette foule de cauchemars nouveaux, qui m'avaient assailli la nuit durant, bouleversant mon esprit. Et c'était bien une intelligence nouvelle qui se faisait jour en moi, puissante, rapide et sereine à la fois, ignorante de l'hésitation comme du doute, simple exécutrice des clartés du présent, qu'aucun état d'âme, je le sentais bien, ne viendrait entacher.
On eût dit que mon mental, investi seulement par les froideurs de la conscience pure au service exclusif de la décision juste, avait été libéré de toute pesée de solutions, exempté du raisonnement permanent, et des lourdeurs cérébrales qui sont le lot éreintant de nos sociétés modernes. Ainsi soulagé du fatras des pensées inutiles, mon pouvoir de résolution paraissait décuplé, alors que, entièrement confiant en mes capacités, une incroyable sérénité s'emparait de moi.
Et l'obscurité de ces couloirs inconnus où j'avançais depuis un long moment déjà, en frôlant la paroi sans y trouver d'interrupteur, faisait naître en moi le sentiment paisible de celui qui retrouve les lieux familiers, à l'issue d'une journée bien remplie. Et bien que le parcours dans les ténèbres me soit inconnu, je dus bien constater que mes lèvres affectaient un demi-sourire - que je n'avais pas le sentiment de leur imposer.
De même les effluves chauds, rassurants et renouvelés par vagues, qui couraient à mes côtés encourageaient mon avancée vers un inconnu qu'hier j'aurais fui - aujourd'hui familier sans jamais l'avoir connu... Et, loin de m'effrayer, l'incroyable paradoxe me faisait désirer avec une vivacité folle les rencontres que j'aurais craint la veille.
C'est alors que je le vis.
Il avançait à pas légers dans l'obscurité, mais je distinguais nettement sa silhouette. M'apercevant soudain, il se figea dans une attente bienveillante. Considérant que tel était le rite en ces lieux coupés du monde, je m'arrêtai de même un instant, puis effectuai un pas mesuré vers l'inconnu. Celui-ci répliqua ; je répondis d'un pas plus rapide, et nous fûmes enfin face à face, tous sens en éveil et moustaches entrecroisées, dans le salut coutumier aux habitants de ces couloirs - là.
Car il faut que je vous dise - où avais-je décidément la tête - que, ce matin, au saut d'un lit que je trouvai bien haut, et me faufilant sous un drap tout imprégné de l'odeur terrifiante qui la veille était pourtant la mienne, par je ne sais quel prodige, je me suis vu au matin métamorphosé en rat d'égout.
Il paraît même que je suis beau.
Un étrange parfum flottait dans les couloirs, et je m'abandonnai un long moment au silence qui y régnait, troublé seulement de temps à autre par le grondement plus vif de la circulation, qui parvenait assourdi. Plongés dans le noir, les lieux étaient sinistres, et je déplorai un moment l'incursion aventureuse, qu'une force irrésistible me poussait cependant à poursuivre.
Soudainement parue, une manière de penser inattendue se faisait jour en moi, déplaçant l'idée du comportement face au danger vers des régions nouvelles, où régnait autrefois le plaisir sans partage des moments heureux, chassés aujourd'hui par une crainte raisonnée dont le bien fondé m'échappait. Et je ressentais comme improbable tout retour au réseau des sens, comme au cheminement de la pensée tels qu'ils étaient encore en moi la veille en me couchant. Un bouleversement sans dommages paraissait s'être produit en moi, dès la porte entr'ouverte du sombre couloir, et je sentais courir sur mon épiderme une vague de fourmillements heureux - sans raison apparente.
Curieusement, aucune fatigue ne se faisait sentir à l'issue de cette nuit mouvementée, où le repos avait eu tant de mal à s'insinuer parmi cette foule de cauchemars nouveaux, qui m'avaient assailli la nuit durant, bouleversant mon esprit. Et c'était bien une intelligence nouvelle qui se faisait jour en moi, puissante, rapide et sereine à la fois, ignorante de l'hésitation comme du doute, simple exécutrice des clartés du présent, qu'aucun état d'âme, je le sentais bien, ne viendrait entacher.
On eût dit que mon mental, investi seulement par les froideurs de la conscience pure au service exclusif de la décision juste, avait été libéré de toute pesée de solutions, exempté du raisonnement permanent, et des lourdeurs cérébrales qui sont le lot éreintant de nos sociétés modernes. Ainsi soulagé du fatras des pensées inutiles, mon pouvoir de résolution paraissait décuplé, alors que, entièrement confiant en mes capacités, une incroyable sérénité s'emparait de moi.
Et l'obscurité de ces couloirs inconnus où j'avançais depuis un long moment déjà, en frôlant la paroi sans y trouver d'interrupteur, faisait naître en moi le sentiment paisible de celui qui retrouve les lieux familiers, à l'issue d'une journée bien remplie. Et bien que le parcours dans les ténèbres me soit inconnu, je dus bien constater que mes lèvres affectaient un demi-sourire - que je n'avais pas le sentiment de leur imposer.
De même les effluves chauds, rassurants et renouvelés par vagues, qui couraient à mes côtés encourageaient mon avancée vers un inconnu qu'hier j'aurais fui - aujourd'hui familier sans jamais l'avoir connu... Et, loin de m'effrayer, l'incroyable paradoxe me faisait désirer avec une vivacité folle les rencontres que j'aurais craint la veille.
C'est alors que je le vis.
Il avançait à pas légers dans l'obscurité, mais je distinguais nettement sa silhouette. M'apercevant soudain, il se figea dans une attente bienveillante. Considérant que tel était le rite en ces lieux coupés du monde, je m'arrêtai de même un instant, puis effectuai un pas mesuré vers l'inconnu. Celui-ci répliqua ; je répondis d'un pas plus rapide, et nous fûmes enfin face à face, tous sens en éveil et moustaches entrecroisées, dans le salut coutumier aux habitants de ces couloirs - là.
Car il faut que je vous dise - où avais-je décidément la tête - que, ce matin, au saut d'un lit que je trouvai bien haut, et me faufilant sous un drap tout imprégné de l'odeur terrifiante qui la veille était pourtant la mienne, par je ne sais quel prodige, je me suis vu au matin métamorphosé en rat d'égout.
Il paraît même que je suis beau.
Oh my god !
RépondreSupprimerquel fabuleux suspense ! Allez, je ne dis rien, je laisse aux autres le plaisir de la découverte.
¸¸.•*¨*• ☆
Merci Célestine, tout est en effet dans la dernière phrase, et merci aussi de ne pas avoir divulgué.
RépondreSupprimerLe rat dans tous ses états. Joli !
RépondreSupprimerMerci Pascal, j'ai dû disséquer une bonne quarantaine de rats pour écrire ce traité hautement scientifique !
SupprimerJ'ignore qui a un jour inventé la chute, mais je me fais avoir à chaque fois... et j'aime ça
RépondreSupprimerMerci beaucoup Vegas, ceci n'étant qu'un exercice, j'espère qu'il n'y aura pas de blessés...
SupprimerQuelle fin déroutante !
RépondreSupprimerUne telle somme de prétentions mentales ne pouvait pas finir autrement - les animaux nous sont supérieurs sur beaucoup de points, et ne souffrent pas (paraît-il) de la maladie de la pensée compulsive qui affecte et détruit tant de personnes dans notre société moderne.
SupprimerC'était le but (sans prétention) de ces lignes (qu'il faudrait relire ayant donc connu le "pourquoi" de la chute).
...avec quelques relents bouddhistes - on en parlait il y a peu sur ton blog.
J'ai relu, pour mieux savourer la métamorphose et la fin qui,aussitôt , rend tout le texte non seulement limpide, mais évident! Bravo, JCPç
RépondreSupprimerMerci beaucoup Lorraine, d'avoir relu, je pense que ça s'impose, sinon on pige pas le délire d'un prétentieux se croyant investi d'un mental supérieur sans état d'âme (d'animal). Se mettre dans la peau (non décrite bien sûr) d'un rat en voulant cacher cet état pour la chute, doit du coup passer par l'esprit seul.
SupprimerCe texte est bien sûr l'aboutissement de longues années d'études et de recherches acharnées.
en réalité tu es un félin et tu caches bien ton jeu
RépondreSupprimergénial, ce texte !! :o))
Ha ha, merci Arpenteur, qui veut passer maître en dissimulation et hypocrisie doit observer les chats - j'en ai il se trouve...
SupprimerJe ne m'attendais pas à cette fin. Et effectivement, il faut relire pour apprécier mais les chutes sont faites pour ça : elles éclairent ou bien déroutent. J'aime beaucoup les chutes qui donnent du sel à un texte ou une nouvelle. Ici, c'est très réussi.
RépondreSupprimerMerci Marité, d'avoir bien voulu pousser la lecture à ce point - et d'avoir vu ce que j'ai essayé de montrer.
SupprimerUn titre interpellant.... les couloirs sombres, méandres d'un sous-sol ou d'un cerveau ...se laisser mener dans le vertige des sensations, des cogitations et autres voluptés...
RépondreSupprimerEt puis, vlan, vanité des vanités....
Tu nous a bien menés par le bout du nez...