Comment
ne penser à rien ?
Quand
penser à vous suffit amplement à me bourrer le mou. C’est tout de
même un comble pour un fantôme dont le crâne sonne creux, teinte à
vide et percute sans son, mais pas Dalida, et percussionne ce rien
que l’on dit du grand tout. Comment ne penser à rien quand tout me
ramène vous ? Quand ce rien du là-haut m’entraine vers l’en
bas, squelette du dedans vers vos corps chair, ardents. Je ne suis
qu’un spectre, certes, mais l’ennui profond de mon éternité
n’en finit pas de me peser sans pesanteur dans mon néant, pourtant
pas si blafard.
Comment
dire le moi, quand pas un chat, pas un moineau, pas un rat, pas une
taupe, pas une pierre, pas un rocher, pas même les nuages suspendus
dans la sphère, et surtout pas vous qui n’êtes pas personne,
n’entend la voix du pensant béant, le glouglou manquant d’une
glotte absente et le claquement de mes mâchoires qui tiquetoquent
l’inexprimable, pourtant très parlant !
Je
suis le son des courants d’air, le souffle du passage d’une âme
en goguette, prête à tous les jeux, offerte par des dieux jusqu’ici
de moi inconnus, un squelette facétieux qui tintinnabule en
conciliabule, convoque les forces de soldats invisibles pour tenter
une approche, convaincre le vivant, te persuader vous, simplement de
mon moi et aussi du surmoi, bref de l’égo de ma non-existence,
pourtant une évidence !
J’existe
nom d’un péroné !
C’est
épuisant pour sûr, de traverser les jours, les mois et les années,
finalement les siècles, sans pour autant prétendre, en avoir fait
le tour, des petits tours, des grands tours, des tours de première
classe, puis de seconde classe. Voilà l’infinitif de ma triste
condition, errer. Il y en d’autres, passer, s’arrêter,
chuchoter, voyager, murmurer, si, si, on peut le deviner, patiner,
trop fastoche, car se fait sans anicroche, pirouetter également, et
tout cela, joliment en mes draps blancs fleuris. Pérégriner,
poétiser cela arrive, et même pianoter de tous mes ossements.
Surtout des verbes du premier groupe, vous vous en doutez par
l’étalage pompeux que je vous fais ici, pourtant sans pathos.
Car
ceux des autres groupes n’intéressent guère mon inhumaine
apparition que je tente parfois, sans jamais aboutir à quelque
résultat. Ainsi en va-t-il de naitre à jamais impossible, de
croire, propre à l’homme que je fus, et plus question de croitre,
c’est sans possibilité, de craindre ou de fuir, un spectre jamais
ne recule, c’est là qu’est l’os mais il parait que cette
expression-là a déjà eu son emploi en un temps révolu, pourtant
c’était tentant !
Bouillir,
sentir, dormir sur lesquels je ne peux pas plus m’appesantir sont
vestiges d’un passé que ma mémoire lointaine et décapée
restitue parfois en ombres imprécises et chiffes molles comme ces
montres, vous en souvient-il, dépeintes jadis et restes d’un autre
fantôme qui aurait perdu, dit-on, entre nous, bien plus que ces
moustaches collées au blanc d’œuf, pourtant bien roulées.
Mais
il semble qu'en un village d’Écosse dont j’ai oublié le nom, un
livre parmi d’autres contient une page entièrement blanche glissée
au milieu de bien d’autres. Je sais que si un lecteur débouche sur
cette page quand sonne l’heure, trois heures du matin en une nuit
spectrale et indéfinie, je pourrai apparaitre en dessous de
dentelles et d’effets visuels, très spéciaux, une orgie d’éclairs
et de lumière, pétarades, sonneries des trompettes et l’hallali
et là, en cet instant précis, redevenir un jour, un jour durant,
beau, beau, beau et vrai à la fois. Une chance parmi des millions
que je sois dans les parages à ce moment-là, pourtant à tenter…
Coup
de poker, je sillonne les landes, et les archipels, parcours les iles
du pays, surfe sur les montagnes, survole bien des lochs, débusque
les villages et leur bibliothèque. Je m’attable souvent au premier
pub du coin pour soulever le kilt d’un buveur de Guinness ou d’un
joueur de cornemuse, il faut bien rire un peu. Pour passer ce temps
long, je me glisse aussi, furtif et baladeur, dans certains lits de
gentilles damoiselles en ces châteaux hantés. Je suis à la mode et
certains même me font de la publicité vantant mes voilages et mes
clapotements derrière les cloisons. Approchez-vous de moi, tâchez
de me tâter, les pensées de mon crâne troué tentent de percer ces
murs invisibles de deux mondes parallèles, vers vous, pourtant
infranchissables.
Où lire Anne de Louvain-la-Neuve
Où lire Anne de Louvain-la-Neuve
Quelle belle idée; la pensée sans échos d'un fantôme, fallait y penser ! Bravo Anne !
RépondreSupprimerPlein de choses dans ce texte que j'aurais aimé écrire... des perles d'écriture... ;o)
Merci Zoz, vos compliments me vont droit au thorax. Signé : le fantôme ravi.
SupprimerCe soir j'ai touché l'impalpable! Tu ne m'auras plus, Anne...
RépondreSupprimerOh, que si, je l'espère, encore... Merci Vegas.
SupprimerUn véritable fantôme penseur !!!!!
RépondreSupprimeret sacripant ! Merci ABC
SupprimerUn souffle spectaculaire qui se glisse de-ci, de là....
RépondreSupprimerUne manière très originale d'aborder cette question lancinante!
Quelle question, chère Clémence ? Juste la solitude d'un fantôme de fond.
SupprimerBelle trouvaille, belle inspiration,belle réussite, belle plume...j'en épuise mes qualificatifs...un dernier : hurlant de vacuité crânienne.
RépondreSupprimer