La
première s’appelait mademoiselle Mouton ; cela ne s’invente
pas. Apparence de jeune bourgeoise plutôt coincée, chignon blond
sur une nuque un peu raide et, bien entendu, jupe plissée bleu
marine. Elle était Miss Sheep
ce qui ne faisait pas beaucoup avancer les choses Nous apprenions les
(bonnes) mœurs de la famille Wilson dont les enfants Betty et John
s’ingéniaient à se trouver in
the kitchen,
ou in
the bedroom pendant
les heures de cours. Le livre avait un cache en plastique que nous
apposions sur la page de droite pour masquer le texte que nous
tentions de deviner à l’aide des images visibles sur la page
opposée.
Miss
Mouton faillit me dégoûter à tout jamais de la langue anglaise.
Dans
la sixième moins « littéraire » que la nôtre,
sévissait un autre prof répondant au nom de mister
Wilson (juste retour des choses). On comprenait assez rapidement
qu’il venait d’outre manche (from
the other side of the Chanel)
Il expliquait le mot « shoe »
en mettant la sienne sur le bureau, son pluriel en posant la paire,
ce qui était paraît-il fort spectaculaire. Je n’ai jamais su si
le reste de son accoutrement (il passait parfois dans les couloirs,
grande ombre squelettique et dégingandée) suivait le même chemin
au cours des autres leçons.
Puis
vint en cinquième mademoiselle Sénéclauze. Nous aurions été
djeun’s aujourd’hui, nous aurions dit d’elle : « c’t’une
bombe c’te meuf !», « elle doit être grave bonne !»
ou « ‘tain j’la kiffe à donf. Clair !». Son
décolleté profond, ses mini jupes, sa taille de guêpe et sa façon
d’arranger sa coiffure d’un mouvement léger d’une rare
féminité ne m’ont aidé à réaliser que de très infimes
progrès, trop occupé que j’étais à ramasser inlassablement mon
crayon qui s’ingéniait à tomber sous mon bureau, placé devant le sien.
Ensuite
se succédèrent toute une série de jeunes filles à l’aspect
varié mais non avarié. Une certaine mademoiselle Maillard frôlait
l’hystérie lorsque des cafards tombaient de l’épaisse tenture
en velours rouge, qui servit un temps de porte à la salle de classe.
Nous continuions, quant à nous, à récupérer consciencieusement
nos gommes, taille-crayons ou stylos plumes baladeurs, histoire
d’affiner nos connaissances des dessous féminins.
En
première vint une autre bombe assez ahurissante. Soixante-huit était
passé par là. Elle
s’appelait mademoiselle Cresson. Elle piqua une vraie crise de nerf
lorsque mon ami Frédéric à qui elle avait intimé l’ordre de
prendre la porte, lui demanda « what
can I do with the door miss, please ? »,
après l’avoir posément dégondée. En cela, il avait obéi à la
lettre à la demande de notre professeur.
De
mes english teachers lors des études supérieures je n’ai à vrai
dire que peu de souvenirs. Si ce n’est en cinquième année, où
une femme d’âge mur vraisemblablement très heureuse d’enseigner
aux jeunes adultes que nous étions, me marqua d’avantage que les
autres. Grande, elle était de ces femmes qui allient à la
perfection une véritable élégance et une étonnante vulgarité,
capables de dire avec le sourire les pires horreurs. Certains matins
sa bouche charnue se faisait plus carnassière et ses paupières
lourdes et bleutées ne laissaient planer que peu de doute sur ses
activités de la nuit précédente. Nous avions désormais des idées
tout à fait précises sur ce que les filles pouvaient porter sous
leurs jupes, robes ou jeans, mais la vue fugace de son
porte-jarretelles quand elle croisait et décroisait les jambes, nous
tenait malgré tout assez en haleine.
J’ai
dû reprendre
il y a quelques années
des cours de perfectionnement (financés
par la société dans laquelle je travaillais) de
cette sacré langue anglaise. Il
s'agissait exclusivement de conversations téléphoniques avec des
anglophones de tous les coins de la planète. Une
sacrée
familiarisation avec les accents écossais, irlandais, africaner,
australien
ou américain. J’ai pu me rendre compte que toutes les
professeures
que j’ai citées plus haut m’avaient malgré tout donné des
bases pas si friables que cela. En tout cas ces cessions m’ont
permis d’être moins mutique lors des world
meetings
of
my business unit.
Quoiqu’il
en soit, les seuls participants avec lesquels j’ai eu
le
plus de mal à communiquer étaient
les anglais et les américains. Le
reste du monde fait
de réels efforts pour écouter et chercher à comprendre ce que les
autres tentent d’exprimer. D’ailleurs, lors de la première
intervention que j’ai assurée lors d’une de ces fichues réunions mondiales,
le premier à poser une question fut mon collègue californien. Il
souffrait d’un jet lag d’enfer, avait dormi quasiment pendant la
totalité de mon exposé et s’est réveillé juste pour demander la
parole. J'ai
juste compris
sa
première phrase « good job, guy ! ». Pour la suite
j’ai
prié
notre responsable marketing, qui elle, parlait
cinq langues, de répondre à ma place, ce qu’elle fit avec une
grande gentillesse et un petit sourire limite énervant.
Si certains profs placent la barre très haut, les élèves ont une fâcheuse habitude à étudier au raz de l'estrade... mais c'est en commençant par le bas qu'on est sûr de gravir un jour !
RépondreSupprimerExcellent... Ah! Ces garçons... Lol, j'ai bien ri, surtout avec le coup de la porte. J'ai eu plus de chance que ça avec un ou deux profs d'anglais, mais pas longtemps malheureusement...
RépondreSupprimerAu fur et à mesure que je te lisais, je me disais qu'il serait rigolo de retrouver ici un.e élève dont j'aurais traversé la vie !
RépondreSupprimerÀ mi-parcours, j'eus un hoquet de surprise : il fut un temps où je m'appelais Mademoiselle Maillard !
Ouf ! Je ne fus jamais prof d'anglais, et n'ai jamais eu la phobie des cafards.
Mais je me souviens bien de certains de mes élèves qui ne faisaient pas exprès de laisser tomber leurs gommes. À cette époque, je me demandais la raison de leur maladresse. Merci de m'avoir éclairée, quelques 45 ans plus tard ! ;)
On note, ici comme ailleurs, un cruel parallèle entre éveil au savoir et éveil aux émotions sexuelles...
RépondreSupprimerdes priorités bien difficiles à établir.
Sacré parcours avec l'anglais.
Sacrées profs qui t'ont laissé des traces en tout cas.
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