mardi 17 novembre 2015

Pascal - Comment ne penser à rien ? (suite)

Les Étincelles

Simple mouton bêlant dans ce monde d’assassins, encore une fois tellement couard, je me dédouane, je me soustrais, je remets tout sur la faute des autres…

« Bientôt les attentats feront plus de morts que les accidentés de la route : où nos dirigeants placeront-ils leurs radars ?!... Pour ses seuls intérêts, ce gouvernement de Vichy a asservi les Français sous le joug de l’occupation barbare !... Avec nos impôts, les allocations familiales et toutes les aides sociales, ces terroristes tuent sans vergogne les Français qui les ont nourris !... C’est cette démocratie de poudre aux yeux, faite d’atermoiements, de consensus, de politique hasardeuse, d’intérêts financiers, d’entente illicite, d’hypocrisie et de lâcheté, qui a enfanté ce monstre de DAESH !... Où est le Bureau de Recrutement pour que je m’engage contre l’Etat Islamique et tous ses terroristes ?... »

En fin de compte, ma vie n'aura servi à rien si mes petits-enfants se font massacrer simplement parce qu'ils sont français et mes aïeux, là-haut, ils ne vont pas me recevoir avec des petits gâteaux !... Nos parents se sont battus avant notre naissance ; nous nous battrons après la naissance des nôtres. De toute façon, j’en crève de cette inertie ; j’en ai mare de cultiver mon bout de jardin, de regarder cette télé abrutissante, ces faits divers alarmants et d’attendre mon cancer comme le seul combat de ma vie. Mon père m’a laissé son fusil de chasse. Etait-ce un signe ? Quand sonnera l’heure, j’irai me mettre à la disposition de la première barricade. Cela restera un détail de l’Histoire ; ce sang versé devra être l’encre du Traité de leur Liberté…

Je suis KO debout. Des étincelles obsédantes tournent autour de ma raison sans jamais vouloir se poser un seul instant ; c’est l’âme de chacun des assassinés qui cherche le repos auprès de mes impressions hallucinées. Le silence est pesant parce que nul écho ne vient encourager mes piètres salves de propos pensants. Je pourrais m’évanouir du présent, en avalant des tonnes de tranquillisants, en débouchant quelques bonnes vieilles bouteilles de remontant, mais je veux rester lucide, garder la tête froide, agoniser vivant…

Là, pendant cette mortification cancérogène, pour tous ces martyrs, je veux trouver des issues de secours, des gilets pare-balles, des dons d’esquive, d’autres emplois du temps, des obligations contraignantes les empêchant tous d’aller se faire massacrer ! Si j’avais pu, j’aurais acheté tous les billets du Bataclan, tous les menus des restaurants des Xe et XIe arrondissements ! Je les aurais empêchés d’entrer et de consommer ! « Mais n’y allez pas, c’est un concert de musique de merde ! La bouffe, c’est que du réchauffé ! Revenez donc demain ! Je vous offrirai toutes les places ! Vous commanderez n’importe quel menu, c’est moi qui régalerai !... » J’aurais volé tous les instruments des musiciens ! J’aurais coupé le courant dans tous ces quartiers ! J’aurais demandé à Dieu un utopique cessez-le-feu ; au ciel, un orage chargé d’éclairs, de pluie et de tonnerre, à faire tomber tous les anges de leurs nuages ; à la terre, de trembler jusqu’au matin ! J’aurais peint le Sacré Chœur en bleu, la tour Eiffel en blanc et Versailles en rouge, pour offrir aux badauds nuiteux des distractions ailleurs ! J’aurais déclenché des alertes à la bombe pour que les flics bouclent tous ces putains de quartiers ! Si j’avais pu, j’aurais mis des balles à blanc dans les chargeurs des meurtriers ; comme des vulgaires pétards, les déflagrations auraient amusé les fêtards ! Au milieu des confettis multicolores, on se serait tous embrassés de saine Fraternité, comme pour fêter une nouvelle année !...
Petitement, je ressasse tous les scénarios possibles ; à cette heure de tuerie, la Sy-rie et la France pleure. Où est l’Égalité ?... Je me sens plus impuissant qu’un matador en tenue de papillote, sans un seul taureau à pourfendre, dans une arène sanguinolente…

J’ai froid, l’holocauste est glaçant ; rien ne pourrait me réchauffer ; ces morts, il me semble les avoir tous sur la conscience. Parce que, sans arrêt, je me mords les lèvres, j’ai le goût du sang dans la bouche ; c’est celui des victimes de ce désastre. Devant moi, ils défilent à la fanfare d’un tumulte ouaté. Un par un, ils lèvent la tête ; ils me toisent, ils me soupèsent, ils me mésestiment, ils me rejettent ; je les écœure… Je ne peux pas soutenir leurs regards gênants et quand un jeunot hagard insiste et me frôle le cœur, avec ses gémissements légitimes, je voudrais m’enfoncer sous la terre. Les gyrophares sont bleus, les linceuls sont blancs, la scène est rouge…

Je voudrais leur crier : « Pardonnez-moi, je n’ai pas su entretenir la France pour vous la laisser aussi « propre » que nous l’ont donné nos aïeux ! Je suis le seul responsable ! Je me suis caché au milieu du troupeau bêlant, croyant être protégé par les seules victoires des guerres d’antan ! Je ne suis qu’un vulgaire épicurien, un bon à rien ; j’ai profité de chaque instant, remettant à d’autres les futurs naufrages, fermant les yeux à tous les signaux d’alarme, bouchant les oreilles à tous les avertissements !...  Je ne disais rien, je ne pensais à rien !... » Et tel un benêt maquilleur, pour échapper encore à mes obligations, je leur montrerais ma carte d’électeur comme les seules palmes de l’héroïsme...

Je n’arrive pas à avaler ma salive ; colère et abattement, torpeur et dégoût, l’équilibre avec mes larmes brûlantes est précaire. Aujourd’hui, si le ciel est bleu, mes nuits sont blanches et mes yeux sont rouges…

6 commentaires:

  1. Et dans tout ceci, beaucoup de commentaires d'auditeurs à la télé, à la radio, dans les rues, qui disent "on va continuer comme avant car c'est ce qu'ils redoutent", mais ils ne redoutent rien. Ou encore "il faut leur montrer qu'on n'a pas peur" mais ils s'en foutent de notre peur puisque c'est notre vie qu'ils veulent et moi, j'ai peur. Ou encore "la vie continue" mais pour d'autres, elle s'est arrêtée, et non, la vie ne continue pas pour tous ceux qui sont morts et leur famille, et leurs amis, et la nôtre car il faut vivre pour savoir que si la mort frappe, on reste seul avec sa douleur. Merci pour ces mots que je ne peux pas encore trouver pour rendre compte de ma colère, de ma stupeur, de mon dégoût, de ma tristesse, de mon désespoir, de mon inertie, de mon impuissance, de ma peine immense.

    RépondreSupprimer
  2. un vrai coup de gueule
    un vrai cri de désespoir
    un vrai sentiment de désespérance

    tu as bien fait de l'écrire ! on expurge déjà ce qu'on peut par les mots, et on se sent peut-être moins seul d'être lu, moins vide, moins plein de colère...enfin, je l'espère

    RépondreSupprimer
  3. On a tous été traumatisés par les évènements récents , tu as bien fait de mettre des mots dessus

    RépondreSupprimer
  4. Merci aux Impromptus d'avoir laissé ce texte s'inscrire sur leur site.

    RépondreSupprimer
  5. Hurlement de colère, tellement nécessaire, puissant, profond, il fallait le pousser - et tu l'as bien poussé, chapeau.

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".