J’avais
un bon collègue de travail avec qui j’avais pas mal d’affinités ; entre
deux pénibles saisies sur nos ordinateurs de télé-relève, pendant la pause ou
avant la reprise du boulot, on discutait souvent ensemble. Pince-sans-rire, il
avait beaucoup d’esprit ; il conjuguait l’humour noir et l’autodérision
comme un pis-aller ordinaire. Il aimait bien utiliser cette expression ;
c’était son leitmotiv, sa signature, sa façon d’être…
Il
avait eu un grave accident de moto, à l’époque rebelle de sa jeunesse folle
; il n’en était pas sorti indemne… Toujours à fond, sur son puissant « Vmax »,
en empruntant la bretelle d’accélération de l’autoroute, il avait doublé un poids
lourd par la droite. Malheureusement, trop près, aspiré par les turbulences du camion,
il était passé sous ses roues, comme dans une moulinette broyeuse qu’on ne peut
arrêter. Sa copine s’était fait écraser sous les essieux de la remorque. Tel un
pénible purgatoire, tous les jours et toutes les nuits, il survivait avec ça
sur la conscience. Lui aussi avait morflé dans ce terrible accident et c’est
par le biais de l’embauche des travailleurs handicapés par l’Entreprise, qu’il
avait eu ce poste…
Marié
et père de famille, à ses moments perdus, il retapait une vieille voiture, une
« Daf », et chaque fois qu’il achetait une pièce, il nous ressortait
sa phrase phare : « Ça m'a quand même coûté un bras ». Les
gendarmes l’avaient coincé, un jour ; il s’était pris une forte amende, « du
coût d’un bras », à cause du pommeau qu’il n’avait pas installé sur le
volant. Il m’avait raconté son voyage aux Baléares, ses problèmes pour
récupérer ses bagages à l’aéroport et le prix du billet qui, forcément, lui
avait coûté… un bras…
Les
cadeaux de Noël ? « Ça m'a quand même coûté un bras ! »
L’anniversaire de la petite dernière ? « Ça m'a quand même coûté un
bras ! » Le dentiste ?
« Un bras ! » Le resto ? « Un
bras ! » La Saint Valentin ? « Un bras ! »…
Droitier
contrarié, comme un signe de grande indépendance, il portait toujours des
chaussures lacées. Dès qu’il le pouvait, il allait tirer sa clope sous le
porche de notre bâtiment ; il avait sa façon étonnante d’extirper sa
cigarette du paquet et de craquer ses allumettes. Quand il regardait l’heure,
sa gourmette et sa montre se choquaient à son poignet…
Oui,
Il cultivait le deuxième degré, ses sarcasmes et ses moqueries, comme on
pratique la plaisanterie douteuse. Cette phrase fétiche, il aimait bien la
ressortir lors des réunions, celle qui détendait l’atmosphère, tout en la
rendant plus embarrassante encore. Fallait-il sourire, détourner nos regards de
voyeurs, pouffer en silence ou passer outre sa boutade décalée ?...
Je réalise l'avantage qu'on a lorsque tout ça ne coûte que la peau des fesses !
RépondreSupprimerEt en plus il ne se mouchait pas du coude ! ];-D
RépondreSupprimerUne impression de connaitre ce collègue... Ce besoin de cultiver le second degré voire plus pour supporter le regard de l'autre. ;/
RépondreSupprimerMerci aux guignols pour leurs commentaires plein de ressources et leurs à-peu-près à propos... ;)
RépondreSupprimerde quels guignols parles-tu Pascal ?
SupprimerL'expression prend vraiment ici toute sa signification.
RépondreSupprimerMais l'autodérision à outrance dans ce cas précis ne peut-elle pas devenir lassante parce que quand même un peu gênante ?
J'ai pas fait le compte, hein ? Mais avec tous les bras que ça lui a coûté, ce devait être un poulpe au départ, nan ? XD
RépondreSupprimerExcellent, Tiniak ! de mieux en mieux !...
SupprimerMalgré le capuccino sur le bandeau des Impromptus on s'attend toujours en arrivant chez toi à ce que ton texte soit noir comme l'humour et serré comme la gorge.
RépondreSupprimerEt on n'est jamais déçu !
C'est une histoire vraie; j'ai très peu d'imagination... Merci pour ton com.
Supprimer