LA COMPLAINTE DU
BOULEY ?
Quand
j’étais marchand de quatre-saisons
J’avais, rue Lepic, ma vieille charrette
J’avais, rue Lepic, ma vieille charrette
Et, le
jour durant, criais à tue-tête
Aux
vivantes qui passaient là
Pour
vendre mes quatre saisons.
Quand
j’étais marchand de quatre-saisons
Je vendais des hivers plus tranchants que des bibles
Je vendais des hivers plus tranchants que des bibles
Et plus
verts que le chou,
Des hivers
à sonner le glas dans les campagnes,
Des rafales de vent à tocsingler les cloches
Des rafales de vent à tocsingler les cloches
Et préférer
faire fête au chaud.
Je
criais :
Boules de
neige ! Gants et cache-cols pour cours d’écoles ! Marrons
glacés ! Qui n’a pas les marrons glacés ? Bâtons magiques pour
étincelles de Noël ! Saint-Nicolas de pain d’épice ! Coquilles !
Crèches ! Sapins ! Guirlandes ! Au gui l’an neuf ! La bonne
année ! Epiphanie ! Saint-Valentin l’amour au cœur ! Métro
Glacière ! Filles du calvaire !
Quand
j’étais marchand de quatre-saisons
Je proposais des printemps doux,
Je proposais des printemps doux,
De la
verdure à profusion,
De l’ancolie, du perce-neige,
De l’ancolie, du perce-neige,
Et des
oublies, et du plaisir,
Du mimosa,
du pont de mai, des œufs de Pâques.
Je
criais :
Montées de
sève ! Turgescence ! Qui n’a pas sa turgescence de printemps ?
Boutons d’acné ! Demandez les rameaux du dimanche ! Lundi de
Pentecôte ! Crocus, jonquilles ! Fruits de la passion ! Emois soudains !
Demandez l’émoi printanier, le seul l’unique ! Lapin de Pâques !
Carpe diem à marier ! Métro La Muette, Chemin vert, Jasmin et Porte des
Lilas !
Quand
j’étais marchand des quatre-saisons
J’offrais
des étés plus vibrants que tout,
Des joies
de Provence, parfums de vacances,
Des fruits
et légumes couleurs d’arc-en-ciel,
Des chaleurs, des moiteurs et des Mistrals gagnants
Des chaleurs, des moiteurs et des Mistrals gagnants
Ou des
petits vents rares et frais.
Je
criais :
Ciel
d’été ! Bleu intense ! Fruits de mer ! Coquillages !
Plantage de tente ! Camping des Flots bleus ! Quart d’heure américain !
Qui n’a pas son quart d’heure américain ? Demandez mon « Vas-y
Jeannot » ! Suivez-moi jeune homme ! Bonheur du jour ! Oublies,
plaisir ! Chants de cigale ! Nationale 7 ! Pétards de 14
juillet ! Noces de canotier bis ! Opium du peuple du 15 août !
Sieste crapuleuse ! Randonnée pédestre ! Métro Bel air, Gaîté,
Plaisance !
Quand
j’étais marchand de quatre saisons
Je vendais
de l’automne en cachette
Sous le
manteau d’un vieux salace
- On
jouait « Bijoux de famille » au cinéma d’en face ! » -
Et
j’holdupais ma clientèle avec les promesses frelatées
Et les
couleurs enjolivées d’un inestimable bordel.
Je
susurrais :
Brouillards
premier choix ! Brumes OK ! Rentrée des classes ! Cours de
récré ! Doigts pleins d’encre d’enfant pas sage ! Turbulence !
Ambulance ! Hôpital silence ! Enterrement de feuille morte !
Châtaignes grillées ! Citrouilles pour carrosse ! Cornets de marrons
chauds ! Buffet de chêne sombre ! Poires cuites ! Vieilles
pommes ridées ! Dans la famille « Veillée au coin du feu », demandez
la grand’mère ! Cimetière de Toussaint ! Chrysanthèmes ! Fruits
pourris ! Plaisirs boueux ! Oublies, oublies, oublies des amours de
vacances, de l’été, du plaisir ! Fleuves impassibles ! Eaux noires
d’Europe ! Fils dénudés dans la forêt ! Fourmis épargnantes !
Ecureuils roux et fous ! Métro Château rouge. Métro c’est trop !
Le temps a
passé.
Maintenant
que j’ai réussi
Je rachète
des hypermarchés.
Pour le bonheur des actionnaires
J’étrangle
des vies paysannes.
Métro
Commerce ?
Marcel Sembat mais pas tant que ça
Car j’ai oublié le plaisir.
Marcel Sembat mais pas tant que ça
Car j’ai oublié le plaisir.
Ô monde en
pleine déraison !
Parfois
j’ai la mélancolie
Des
marchands de quatre-saisons
Et je
regrette ma charrette
Et les
cris de la rue Lepic.
Sûr Ségur as tu croisé dans ce joli numéro de mon cher métro, quelques filles se rendant au calvaire par un chemin vert ? Pour les voir je suis volontaire. ];-D
RépondreSupprimerBravo Monsieur le Comte.
Magnifique ! Fluviale prose magnifique ! Et qui n'aurait pas déplu à un Leprest ou un Ferré... Moi, j'aime et je trouve cela rudement vrai, qu'on nous vole l'humanité jusque sous nos fenêtres et dans nos assiettes...
RépondreSupprimerSuperbe ! Notamment quand ta mélancolie met l'ancolie en lumière printanière. Bravo, Joe !
RépondreSupprimerQuel ensorceleur ce marchand des quatre saisons ! Riche de vent et de l'air du temps. Qu'il revienne bien vite arpenter les rues avec sa poésie. Il manque...Bravo Joe, c'est très beau et je suis particulièrement sensible à ton texte.
RépondreSupprimerc'est merveilleux, Joe, hivers tranchants, étés vibrants, je rêve d'écouter ton texte lu à deux voix, le narrateur et le camelot
RépondreSupprimerJe vais m'efforcer de réaliser ton rêve, chère Emma. Ce sera sans doute une "camelote" mais j'espère que le résultat n'en sera pas (de la camelote !).
SupprimerReviens demain dans cette zone de comm's si tu n'as peur de rien !
La version sonore promise à Emma et réalisée grâce à son aide est ici :
Supprimerhttp://krapoveries.canalblog.com/archives/2018/03/30/36276402.html
j'ai pensé à Léo Ferré moi aussi que j'ai cru un instant ressuscité
RépondreSupprimerFleuves impassibles ! Eaux noires d’Europe ! vient effectivement de Rimbaud et le CD de Léo Ferré chantant Verlaine et Rimbaud, emprunté dans ma bibliothèque la semaine dernière, enchante mes oreilles ! Bien vu, Loht et Tisseuse ! ;-)
SupprimerC'est toute une vie ces quatre saisons... C'est très joli et très vrai.
RépondreSupprimerMagnifiques, les quatre saisons d'oncle Joe.
RépondreSupprimerVivaldi n'a qu'à bien se tenir !
j'aime particulièrement l'été...
¸¸.•*¨*• ☆