UN AN APRÈS
Après les
nombreuses chutes de neige et averses de grêlons,
il regela à la Noël de cette
année-là. Un vent de galerne égrena les notes de sa lancinante
soufflerie pendant une semaine. On se pela, on eut l’onglée, on jongla, on se
calfeutra dans sa geôle près du
poêle à bois puis la Saint-Sylvestre
arriva, le temps s’adoucit et ce fut comme le règne retrouvé du soleil après l’orage.
Une fois sa
calèche garée Marité Roumanoff
s’engagea d’un pas léger et en même
temps précautionneux dans l’allée
qui menait au château des Krapov.
Cette
fois-ci, Marité le devinait, il n’y aurait pas de fausse note côté luxe, calme
et volupté : ce serait un vrai régal.
Depuis un an, depuis le retour des Indes de leur nièce Célestine de Beauregard,
les Krapov s’étaient remplumés de manière plus que large ! Et cela d’une façon on ne peut plus réglo et légale.
Il y avait eu
d’abord cette histoire du tableau retrouvé dans la longère qui leur servait de datcha. Ils avaient entrepris de loger là pour l’été et c’est en
farfouillant dans les combles que Marina Bourgeoizovna avait déniché cette
nature morte aux poires et aux raisins.
- Qu’est-ce
que c’est que cette croûte ? avait demandé Iosif Ilarionovitch.
- Je ne
sais pas ! Elle était rangée
là-haut. C’est mon paternel qui a acheté ce tableau à un peintre français qui
mangeait du bœuf enragé au siècle
dernier. On l’a cru longtemps égaré
mais le revoilà. Peut-être que ça vaut quelque chose maintenant ? J’irai
le faire expertiser à notre retour à Moscou.
- Les
natures mortes, c’est très démonétisé, tu sais, Marina, maintenant qu’il y a la photographie !
Manque de bol
ou plutôt chance pour le comte, il s’avéra que la toile était un Monet et que désormais
on ne se moquait plus des Impressionnistes. Le tableau fut racheté
immédiatement, réglé rubis sur l’ongle, vite fait bien fait, allegro vivace plutôt que largo, à un prix très élevé, par un
marchand d’art qui s’empressa de le revendre le double en France.
Avec l’argent
ainsi gagné Marina Bourgeoizovna eut une intuition géniale. Un jour que
Célestine de Beauregard exhibait, outre ses yeux bleu lagon et sa tignasse rousse, ses chaussettes de laine tricotées à
la main par son arrière-grand-mère, la sorcière irlandaise Troussecotta, la
comtesse conçut l’idée d’installer un peu partout dans l’empire de Russie du
tsar Nicolas II des comptoirs irlandais. Et cette affaire d’importation de
laines et tricots marcha à merveille. Le comte ne put que faire l’éloge de sa femme devant tous :
« C’est elle qui nous a sortis de la galère,
qui a allégé ma vie, qui m’a alourdi
l’estomac ! Je suis bien content de l’avoir lorgnée au bal des débutantes et de l’avoir épousée. Maintenant je
sais qu’elle m’enjolera encore
longtemps, ma glaréole
d’amour ! ».
Marité constata
en entrant dans le salon de réception que la fête serait belle, qu’on n’avait
pas rogné sur les frais. Pour cette
Saint-Sylvestre toutes ces dames et ces messieurs s’étaient mis sur leur
trente-et-un.
Tomtom la
belle agnelle arborait une robe
rouge tomate, Lira Pavlovna, Laura de Vanel-Coytte, Mapie Maporovana, Edmée de
Laville de Poussy, la célèbre Mamée, tentaient de et réussissaient à l’égaler en prestance. Tisseuse et
Célestine de Beauregard, les deux cousines, et Maryline Dix-huit, l’actrice de
cinéma qui sortait de son succès dans « La Cerisaie », réclamaient
déjà au buffet, d’une voix allègre,
qui une rallonge de Saint-Julien,
qui du rabiot de vinho verde, « Ah bon ? Y’en pas ? Alors un
Muscadet, Nestor ! », qui « Encore un coup de gnole, min garchon ! ».
Dans l’arène de l’élégance ces messieurs
n’étaient pas mal non plus. Côté allogène
le capitaine cow-boy Vegas prenait toute la lumière. Il avait fini par épouser
Gene M., la danseuse, et ne l’appelait plus que Germaine, un diminutif
( ?) français entendu dans la Sarthe et répandu en pays gallo.
On entendait
le prince Tiniakovitch, redingote orange
et bleu roi d’épaulettes, qui déclarait au baron de Loht et au général Stouf qui avait pris du galon : « Je galèje, les gars ! ». Ailleurs Andiamo demandait au comte Krapov : « Mais
pourquoi toutes ces onagres sur les
tables du banquet ? Toute la salle en est ornée ?». Ce à quoi le comte répondait : « C’est une
fleur jaune, mon cher Rodolphe. Dans le jargon
des couleurs, ça symbolise que j’ai eu une chance de cocu ! ». Tête allongée du Calabrais en train de se
demander « Il est barjot ou quoi ce mec ? A côté de ses grolles, pour le moins !».
Ailleurs,
dans un angle de la pièce, Stefan Stefanovitch Arpikov, le célèbre
astronome racontait à Marina Bourgeoizivna des histoires d’étoiles filantes.
L’espion JCP était là, lui aussi, à aller
d’un groupe à l’autre, à glaner, d’humeur égale, des informations qui étaient
autant de jalons de sa quête secrète,
autant de raisons de nager en eaux
troubles et de ronger son frein pour
que tout ce wagon-là aille droit dans le mur !
Lorsque
minuit sonna le comte Krapov réclama le silence. Il leva sa coupe de Champagne d’un
geste large et déclara :
- Mesdames,
Messieurs, mes chers ami.e.s, je lève mon verre à votre santé et je vous souhaite
une excellente nouvelle année ! Que 1917 vous amène tous les changements
que vous souhaitez et les bonheurs dont vous rêvez ! Vive la très sainte
Russie ! Vivent le Tsar, le Tsarévitch et la Tsarine ! Et merci
Monet, Monet, Monet !
Là-dessus
l’orchestre des Bonnets M ouvrit le bal avec son tube du moment, un morceau
intitulé « Raspoutine ».
Quel dommage,
songea Marité Roumanoff, que Josette qui a fini par épouser son P.D.G., Pascal
D., n’ait pas été là pour voir et entendre ça !
N.B. L’illustration est empruntée à Célestine Troussecotte
N.B. L’illustration est empruntée à Célestine Troussecotte
Un grand bravo pour cette suite roumanovienne : quelle réception !
RépondreSupprimerEt un second bravo pour les mots, qui feraient pâlir le moindre champion "des chiffres et des lettres".
Espion russe, bon boulot, bien payé, bien nourri, on voit du pays - mais j'évite l'Angleterre en ce moment !
Merci de nous avoir mis en lumière, Germaine et moi !
RépondreSupprimerJe pensais à un billet guère épais, nom de Dieu, ce sont les frères Karamazov, leurs cousines et cousins qui participent au festin, manque plus que le toubib j'y va ? GO !
RépondreSupprimerJ'aime bien Célestinova et ses chaussettes russes !
:-) :-) :-)
RépondreSupprimerUn roman feuilleton, donc... A quand et qui la suite. Cet épisode, quoiqu'il en soit est diablement troussé, et truffé (de mots adéquats s'entend !).
RépondreSupprimermince, j'ai dû louper un épisode ?
RépondreSupprimerAh ! mon oncle, je suis époustouflée par votre saga à fric ah !
RépondreSupprimerRien que du beau linge dans ces salons vernissés.
Pour votre gouverne, et afin que de parfaire encore cette perfection déjà parfaitement parfaite, je vous serais gré de noter que le « point milieu » s'obtient
sur mac en faisant · maj + alt + F
sur PC en faisant · alt + 0183
Ainsi parlait Zarathoustrette.
¸¸.•*¨*• ☆
Je vous saurais gré, évidemment
SupprimerF#ck¬º†®g portable !
mais voilà un cadavre exquis des plus excitants cette saga des Roumanoff qui se met à courir seule, librement au travers des derniers thèmes :)
RépondreSupprimerquels que soient l'auteur on se régale, et on mène grand pied (ou grande chaussette en l'occurrence !)
Ah, il s'est régalé, le garçon, pour sûr !! Maestro... mes respects ♥
RépondreSupprimerMais ça ne s'arrête plus, cette histoire. Encore ! Encore !
RépondreSupprimerbêêêêêêêêêêê (puisque je suis une agnelle)
NB : J'ai adoré Bonet M.