Marc- Antoine ….
Dans la classe des Ce2, la maîtresse avait écrit « Je suis Charlie ! » au tableau, parce qu’elle est Charlie et elle avait sorti une série des mandalas avec LOVE au milieu pour que les élèves les colorient en silence.
Dans la classe des Ce2, la maîtresse avait écrit « Je suis Charlie ! » au tableau, parce qu’elle est Charlie et elle avait sorti une série des mandalas avec LOVE au milieu pour que les élèves les colorient en silence.
Les Ce1 avaient fait une minute de silence justement, les yeux rivés sur le sablier posé sur le bureau, parce qu’à chaque hommage la maîtresse aime faire une minute de silence avec un sablier posé sur le bureau.
Les Cm1 avaient fait des dessins genre BD sur la liberté d’expression pour coller sur un panneau d’affichage qui se trouve dans le couloir.
Les Cm2, dont la classe est au fond du même couloir avaient organisé un débat ; le maître avait un prénom qui chantait la Méditerranée et un nom de famille qui parlait Harki, mines ou sidérurgie, je ne sais plus très bien.
Durant le débat, un de ses élèves avait répété ce qu’il entend chez lui, à savoir qu’on ne doit pas dessiner le prophète et trois autres élèves avaient acquiescé.
Le maître, comme le font tous les maitres lors des débats, avait répété la phrase de l’élève un peu plus fort pour que tout monde entende.
Comme tous les maitres, il n’avait pas donné son avis et le débat avait continué.
Moi j’étais debout devant mes Cp dans la classe, mes tout-petits Cp, et je leur ai demandé de fermer les yeux, de s’allonger sur leur table, et d’écouter une très belle musique, un air qui dure plus qu’une minute certes, mais superbe, un long extrait de la Messe des Morts à quatre voix de Marc-Antoine Charpentier.
Parce que je suis libre.
Libre de le dire.
Libre d’être émue, triste, désarmée, anéantie …
Et ce matin là, je ne savais pas comment le dire justement parce que ce n’était pas juste, alors j’ai choisi quelqu’un qui honore les morts bien mieux que moi avec justesse.
Je me sentais incapable d’expliquer à des enfants de 6 ans l’abominable et encore moins l’abomination médiatisée ; certains élèves d’ailleurs n’étaient pas au courant de l’horreur et, comme je ne suis pas Charlie, non, juste libre, il était hors de question que je me fasse le relai de leur famille et encore moins des médias.
Ne rien dire, j’avoue que là, ça m’a quand même coûté un bras de faire ça !
Aucune consigne spécifique et explicite n’a été donnée par le ministère de l’Education Nationale des « On est tous devenu Charlie parce qu’on vit dans un pays merveilleux de Liberté-Egalité-Fraternité »
Un drame qu’on avait simplement oublié de prévoir en hauts lieux malgré maintes alertes, est arrivé et les cols blancs n’avaient pas anticipé sur ce qui peut ou doit se dire dans les écoles lors d’un tel évènement sordide.
Nous les enseignants, on est libres et beaucoup étaient Charlie, alors on a fait ce qu’on pouvait.
Moi je crois que j’étais vraiment mal, tout simplement.
Le lendemain, l’inspecteur accompagné par le conseiller pédagogique, étaient là pour exiger des explications, des excuses de la part du maître de Cm1, celui qui a un prénom qui …
L’entretien a été interminable ; on s’est réparti ses élèves dans nos différentes classes.
Ça faisait un peu gestapo je trouve l’inspecteur en gabardine, mais non, je plaisante, vous le savez bien.
Ça faisait juste injuste !
Aucun de ces deux messieurs ne m’a demandé pourquoi j’avais choisi la Messe des Morts de Marc Antoine Charpentier pour l’hommage.
( Pour info, en flânant sur la blogosphère, je suis tombée sur un vieil article de Bi-Zakarium qui a en grande partie inspiré ce texte)
Où lire Annick SB
Où lire Annick SB
Il y a des circonstances dans la vie où le silence coûte cher, très cher. Ce thème t'a permis de l'évoquer de belle manière, en paroles et en musique
RépondreSupprimerMe taire en écoutant Charpentier... ça je veux bien recommencer ;-)
SupprimerReligion très tolérante qui n'autorise aucun dessin du prophète ou de Dieu, qui "entorchonne" les femmes dans des sacs informes, et ne cille pas quand on arrose les "infidèles" à la Kalachnikov !
RépondreSupprimerle gros problème, Andiamo, est la confusion entre certains dogmes extrêmes professés et suivis à la lettre par des fanatiques, et la foi simple, humaine, et profondément chaleureuse de bon nombre de musulmans :(
Supprimerl'Islam est loin d'être un bloc monolithique, qu'il serait facile de démonter...
pas plus d'ailleurs que le Christianisme ou le Judaïsme...
Paradoxalement, mon texte ne parle pas de religion mais de laïcité ...
SupprimerEt lors de ce drame, les représentants de la laïcité ont été d'une injustice absolue envers mon collègue celui qui "avait un prénom qui chantait la Méditerranée et un nom de famille qui parlait Harki, mines ou sidérurgie, je ne sais plus très bien." le soupçonnant de vanter les interdictions coraniques ... Les amalgames sont, je pense à dénoncer ; c'est ce que j'ai tenté de faire entre autre ...
j'aime beau coup ton triangle des points de vue
RépondreSupprimeravec ton angle à toi d'apaisement, de calme et de douceur
je suis d'accord, l'"extrémisme", quel qu'il soit,
cache souvent bien son jeu...
à te relire
nb : j'aime beaucoup lire bizak aussi
Merci ! Vive le calme et la douceur ...
Supprimertrès émouvant et pudique texte pour aborder la difficulté, voir l'impossibilité, d'accompagner collectivement des enfants si jeunes lorsqu'on est enseignant, en restant soi-même, tout en étant clair dans les principes de l'école laïque, et sans blesser certaines familles....
RépondreSupprimertu poses un regard juste sur les censeurs, qui s'arrogent le droit d'exiger des explications, alors qu'ils n'ont en rien accompagné les enseignants :(
Marc-Antoine Charpentier est un excellent choix, mais tu as raison de souligner très honnêtement qu'il ne t'a pas été demandé de justifier pourquoi choisir une musique profondément connotée chrétienne
je te salue bien bas pour ce témoignage très humain, et très sensible :)
Merci ! C'était effectivement très spécial ce moment ...
SupprimerPas glop du tout ... et injuste oui !
Une journée bien difficile !
RépondreSupprimerJe ne suis pas croyant, et préfère ne pas m'apesantir sur les religions.
Mais tu as eu du mérite, et je sais pas (je n'ai pas été enseignant) comment je me serais comporté à ta place. De façon laïque en tout cas.
La notion de laïcité me passionne depuis fort longtemps et à cause de cet événement tragique elle a resurgi +++ dans la société. J'aime bcp l'analyse du sociologue que Jean Baubérot fait à ce sujet. une petite citation "choisie" ;-) "La France croit être laïque par essence et se dédouane ainsi d’une réflexion sérieuse sur la laïcité. Les « Français de souche » seraient laïques par naissance, comme une sorte de privilège, et les immigrés auraient un examen de passage à accomplir... Une atmo- sphère décliniste ressasse une prétendue grandeur passée de la France et fait de la laïcité une exception française. Or c’est de cette exaltation nationaliste que Marine Le Pen se nourrit." ... Voilà pourquoi je pense qu'il ne faut pas s'arrêter à "Je suis Charlie " très médiatique mais peu concret et réfléchir ensemble à ce qu'on veut comme laïcité dans nos écoles et quels moyens on se donne pour ne "museler" personne ... Mon collègue (qui donc n'est pas français de souche ) en a fait les frais : inadmissible !
SupprimerPuisque tu insistes, je demeure résolument laïque et agnostique, et ne me nourris d'aucune doctrine ou religion. Incinéré dans un trou noir serait mon rêve, en communion parfaite avec le cosmos. Paraît que c'est encore hors de portée...
Supprimerha oui et aussi contre les "fondamentalistes" de tout plume et de tout poil, j'avais écrit il y a très très très longtemps, en ma toute toute prime jeunesse, et ce il y a encore plus longtemps, ce petit texte autobio, je te le relivre, ici Annick :
RépondreSupprimerFondamentalisme enfantin
Diable ! Il paraîtrait que d’aucuns jurent sur la bible ? Hérétiques !
Il était une fois des parents qui contaient des histoires à leur petit garçon. Mais pas des contes pour enfants. Avec eux, dans leur lit, il décortiquait la Bible. Vers l’âge de six ou sept ans, il savait pas mal de choses sur les trésors recelés dans ce joli bouquin. Sept longues périodes ont créé la Genèse au lieu de sept jours. Dieu existera toujours, mais surtout : il a toujours existé. Pas facile à intégrer, ça, pour un enfant ! Bref, il était incollable. Surtout au sujet du Christ. Son histoire, la vraie foi. La terreur du calvaire de l’Enfer. Pour celui qui, bien que prévenu, s'en détourne. Malgré le don de la vie, en souffrance, de Jésus. Pas de cadeaux pour les ingrats !
Un jour, un curé, un corbeau à la longue robe noire, vient prendre un verre à la maison. Alors, je dialogue fort avec lui. Amusé, il me détaille la Trinité, la Vierge, et par tous les Saints, la confession et la messe en latin. Du latin pour moi. Et tel Jésus chassant les marchands du Temple, je nie, argumente contre ses inepties : Jésus est mort pour nous. Croyez-le, Monsieur l’Abbé, et vous serez sauvé !
Pas si simple, me dit-il. Il me parle du Diable, des sept péchés et de la confession encore… Je lui réponds que sans le mal, le bien n’aurait aucun sens. Satan est un serviteur de Dieu. Je lui demande : "Est-ce que le Diable a foi en Dieu ?"
Alors il finit son verre, salue mes parents et sort sans se retourner. Aujourd’hui, je suis sûr qu’il s’est signé trois fois, une fois la porte refermée…
Merci beaucoup Cavalier pour cette autobio ; je te livre celle de mon voisin ...
Supprimer(ah, c'est malin ;-)
Il était une fois des parents qui contaient des histoires à leur petit enfant. Mais pas uniquement des contes pour enfants. Avec eux dans leur lit, ils lisaient la Bible, un petit peu chaque soir à la place des dessins animés de Pokémon ou des péripéties de Dora, parce que cet ouvrage était pour eux Parole de Vie et qu’ils aimaient la transmission de la Vie. Ils chantaient aussi des Louanges et personne n’était disqualifié selon sa voyce ;-) Vers l’âge de 6 ou 7 ans il savait pas mal de choses ce petit enfant sur les trésors recelés dans ce joli bouquin, sur la fraternité et l’amour du prochain ; il connaissait pas mal d’histoires mais surtout, comme dans les contes, il ne comprenait pas tout.
Le pourquoi du pourquoi ne nous appartient pas. Une chose avait particulièrement retenu son attention. De la Génèse à l’Eternité, Dieu qui était, est, et sera nous aimait, parents, petits enfants, la maîtresse, le voisin et même les cousins qu’on ne connaissait pas, grands, petits et tutti quanti. Cet amour était facile à percevoir dans le sourire de sa maman, dans le calme de son papa, dans les petites joues du bébé de la voisine et dans les moustaches du chat.
Un jour une pasteur habillé en Prada vint prendre un verre à la maison. Alors l’enfant dialogua avec elle et pu lui confier ses interrogations.
-Jonas a-t-il vraiment été avalé par un poisson ?
-Et les os d’Ezéchiel se sont-ils remis en place spontanément ?
- L’aveugle a-t-il recouvré la vue ?
- Et Jésus multiplié les pains et les poissons ?
La pasteur qui était à l’écoute encouragea l’enfant à confier -et non se confesser -tous ces doutes à l’Esprit Saint qui peu à peu éclairerait le mystère. Elle lui dit aussi que la Bible n’est en aucune manière un mode d’emploi mais une Parole qui guide, qui ressource et apaise celui qui la croit, et qui sait peut-être aussi parfois ceux qui ne l’a croit pas …
Quand elle sortit de la maison, elle fit à l’enfant un signe de la main, le même que celui que faisait ses copains … ;-)
J'ai beaucoup aimé ton texte Annick SB mais je dois dire que je goûte aussi énormément les commentaires et tes réponses ! ;-)
RépondreSupprimerMerci Mapie ; et c'est vrai que les commentaires sont variés et goûteux ;-)
SupprimerJe dirais même plus goutus et avec du retour
Supprimer;-)
Très émouvant ton texte Annick, comme je le disais dans mon commentaire en réponse au au tien sur mon blog, que le sujet est très sensible et que les avis sont parfois diamétralement opposés selon qu'on soit un tantinet religieux, intégriste, fanatique ou bien athée. Je suis touché par ton idée de faire écouter la très belle musique de la messe et que c'était un geste fort, surtout avec les enfants.
RépondreSupprimerMerci pour le lien à mon billet sur le même sujet.
Belle soirée Annick
Encore merci à toi ! Qui sait ? je renouvellerai peut-être les sources d'inspiration à partir d'anciens textes !!!
SupprimerJ'aime beaucoup ton texte Annick. Je suis cependant étonnée que tu aies pu faire écouter à tes élèves une musique religieuse. Je trouve cela particulièrement courageux et j'allais dire culotté. Je ne suis pas enseignante mais au travers de mes activités bénévoles, il se trouve que j'étais à ce moment là dans des locaux scolaires d'un quartier difficile.
RépondreSupprimerBien sûr, j'ai parlé aux enseignants qui tous ont demandé la minute de silence en hommage aux victimes. Dans les classes de CM1 et 2, certains élèves ont refusé de la respecter. J'ai pu mesurer l'impuissance face des maîtres face à ces comportements. Il ne fallait surtout pas envenimer les choses dans ce quartier sensible. Bien difficile parfois de trouver une solution qui ne choque personne.
Bonsoir ; tu sais il n' y aucun courage dans ma démarche mais un respect de la laïcité, la vraie, la tolérante ; La musique baroque doit elle être proscrite car essentiellement religieuse ? l’époque où elle est apparut oblige !! ) Le jour où on interdira Charpentier ou Bach lors d'un recueillement, le jour où on ne parlera plus des frères le Nain en peinture, où Hugo sera jeté aux oubliettes avec Rimbaud et Baudelaire , où on enlèvera le nom de Jésus de la frise historique affichée en permanence dans les classes en primaire, le jour où les vacances de Noël ne pourront plus se nommer ainsi, ( celles de Pâques d’ailleurs sont déjà devenues celles de printemps … ) le jour où on bannira Hugo et Bazin, ce jour-là , la laïcité laminoir comme j'aime la nommer n'aura plus à proposer aux élèves que de l'actualité brute, violente, stupide, de la pub, Halloween ( mais surtout pas les santons traditionnels d’une crèche de Provence) , du bruit, les burger à la cantine, Loana , X le grand frère et super Nanie la mamie, ce jour là je crois qu’on aura atteint le fond du fond de la bêtise et de l'aliénation !
SupprimerOn s’y approche à grand pas …
(Confidence : je ne suis pas catholique mais je sais ce que c’est qu’un clocher et tous les habitants de la France de ma génération qu’ils soient athées , catholiques, protestants, juifs, musulmans, bouddhistes etc … le savaient dès l’enfance ! Dans ma classe, qui n’est pourtant pas située en zone dite sensible par l’administration, depuis une dizaine d'années, un quart seulement des élèves de 6 et 7 ans savent expliquer ce qu’est une église, un clocher quand ils trouvent le mot dans une lecture … ça peut réjouir certains, moi ça me fait peur ! )
Parce que la laïcité ce n’est vraiment pas ça !!!! ça c’est le muselage, l'interdiction de l'histoire, de la tradition … et dans le pays où la devise est LIBERTE EGALITE FRATERNITE, ça donne à réfléchir !!!!
Les solutions dans les quartiers sensibles ne pourront être envisagées que quand on fera une vraie laïcité dans l'espace scolaire à savoir parler et laisser parler les enfants de leur foi ou leur absence de foi . Seul le dialogue et la confrontation aux idées des autres peut faire réfléchir chacun et chacune et apporter la tolérance ; sinon c'est le communautarisme religieux de tout bord ou le guetto médiatique qui nous attend ...
Bien d'accord avec toi Annick. Je pense qu'insidieusement et peut être par le "je n'ose pas" nous perdons notre identité.
SupprimerEn tout cas, ce n'est pas demain la veille que les enseignants que je connais parleront ou feront parler librement de la foi dans leur classe. Pour l'instant ce n'est pas le rôle de l'école laïque et c'est bien dommage.
Marrant (...!!) comme ces messieurs sont entrés, comme ça, d'un coup, dans l'ère éthique :p
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