Il fallait absolument que je trouve une solution après l'énorme bêtise consistant à faire éditer mon roman " Dans les salons du compte Krapov" chez les Impromptus Littéraires. Je me retrouvai avec une dette de 300 000 francs que je ne savais comment éponger. Ce n'était pas mon métier occasionnel de marchande de violettes au coin des rues de Paris qui allait me sortir de la misère. Même si leur parfum adoucissait quelque peu mes tourments.
Ma copine Josette, maintenant mariée à un bourgeois, ne me laissa pas tomber. Elle fit le tour de ses relations et me trouva une place de vendeuse dans une célèbre parfumerie de la capitale. Je bénissais mes années à Saint Petersbourg et Moscou où j'avais beaucoup appris : les bonnes manières, l'élégance, la conversation grâce à la vieille comtesse Roumanov et mes incursions chez le célèbre comte Krapov. Je m'acquittais donc de mon nouveau travail avec aisance et gagnais bien ma vie. Bien sûr, cela ne suffisait pas pour effacer mon dû mais, en attendant quelque miracle, je recommençais à vivre et à sortir.
Je fis la connaissance d'un pays, un maçon de la Creuse dont je tombais amoureuse. Louis avait un je ne sais quoi qui affolait les filles. Il était toujours soigné, portait crânement la deppe et savait danser sublimement. Il gagnait beaucoup d'argent et le dépensait sans compter. J'étais heureuse. Je lui confiai très vite mes ennuis et il m'assura que grâce à lui, tout allait rentrer dans l'ordre. 300 000 francs ? Une broutille. Il allait arranger ça. Je me demande encore comment j'ai pu avaler ce boniment.
Pour commencer, il me trouva un bel appartement à Ménilmuch comme il disait. Il me paya des toilettes coûteuses que je trouvais quand même un peu osées. Il me persuada de cesser mon travail pour disait-il, me reposer et être toute à lui. Je ne fus pas à l'aise quand il me présenta ses copains. Ceux-ci me déshabillaient du regard et je n'aimais pas ça. Les œillades qu'ils échangeaient commencèrent à me mettre la puce à l'oreille.
Très vite, le comportement de Louis changea. Il m'obligea à porter des dessous de cocotte et devenait brutal. Puis, un soir, il me conduisit dans une "maison". Je compris alors que mon bel amant n'était autre qu'un "Julot casse-croûte" qui fréquentait les Apaches. Je savais que toute la bande sortait le surin facilement et je pris peur. Le ciel me tombait à nouveau sur la tête.
Je réussis à prendre un train pour regagner au plus vite ma Corrèze natale où je fus accueillie, un peu fraîchement quand même par ma tante Zélie, réveilleuse de son métier. Quand elle se fut assurée que je ne portais pas un "polichinelle dans le tiroir" et que je n'avais pas "fait le ruban" parce que "chez moi, ma petite Marité, on est honnête" elle se démena pour me trouver un emploi.
Elle me dit un matin :
- Voilà, il faut bien commencer et ici, tu n'es plus chez les russes. Tu te contenteras de peu, ma fille. Le vieil Armand, un ami de ton oncle, a bien voulu me céder sa charrette à bras. Tu iras par les rues de Tulle et aussi dans les environs pour ramasser les journaux, les chiffons et les peaux de lapin.
- Mais, c'est impossible tante Zélie. Savez-vous d'où je viens ? J'ai une bonne éducation. Je ne sais pas, trouvez-moi une place de gouvernante chez le préfet, un notaire ou que sais-je encore ?
La brave Zélie s'étrangla de colère et si je voulais rester sous son toit, il fallut bien que je m'exécute. Dès le lendemain, je poussais ma carriole dans les rues du Trech. Comme je ne pouvais me résoudre à crier " chiffons peaux de lapin peaux" personne ne faisait attention à moi. Les larmes coulaient sur mes joues. Voilà où j'en étais, moi qui avais porté des toques et des manchons et même des manteaux en vison, renard argenté et zibeline ! Sillonner la ville avec ma balance romaine pour acheter au kilog et pour trois sous des peaux...de lapin. Ce n'était pas possible. Pas ça !
Je renonçais donc au charreton malgré les jérémiades de ma tante mais ce que je dûs faire ensuite n'était pas mieux. Les samedis, les paysannes des alentours venaient place de la cathédrale pour vendre volailles, œufs, légumes... Pour une voisine de Zélie qui me rétribuait chichement, je coupais les longs cheveux des femmes et des filles honteuses et en pleurs, cédant pour presque rien ce qu'elles avaient, la plupart du temps, de plus beau. Elles me demandaient, comme une faveur - les jeunes à marier surtout - de garder une mèche frontale pour faire illusion et éviter les quolibets des garçons. En attendant la repousse, elles portaient des châles et fichus sur la tête. Toutes ces tignasses étaient infestées de poux et autre vermine et c'est avec des hauts le cœur que je maniais le plus vite possible mes ciseaux.
J'étais au désespoir. Qu'allais-je devenir ? Alors que j'envisageais d'en finir, un évènement extraordinaire survint. Comme je regagnais un soir, éreintée, le logis de Zélie, je vis une automobile qui se rangeait devant sa masure. Un diable d'homme casqué de cuir et portant de grosses lunettes, ainsi qu'un manteau de fourrure ayant connu des jours meilleurs, descendit tranquillement de sa belle Torpédo jaune et vint vers moi " j'ai fini parrr te rrretrrrouver ma chèrrre ! Grrrâce à Josette qui t'embrrrasse. Il faut que je te parrrle. Vite."
Le comte Krapov. Je n'en revenais pas. Soudain je pris conscience de mes cheveux gras, ma vieille robe grise rapiécée et mes bottines éculées et j'eus la honte de ma vie.
Je connais chère Marité une histoire relative à l'Amiral Tortonov, rendant visite à la Princesse Sonia, elle même mère de trois jolies jeunes filles.
RépondreSupprimerSans doute connaissait elle le Comte Krapov ? Il faudra qu'un jour je vous la narre, assis confortablement dans un canapé Louis Philippe, devant un samovar encore fumant ...
C'est tout de même étrange ce que votre récit réveille en moi. ];-D
Andiamo : Marité aurait peut être pu frapper à la porte de l'amiral Tortonov. Hélàs, elle ne peut rivaliser avec les filles de la princesse Sonia n'ayant pas leurs talents ! ;-)
SupprimerCertains hommes vous font plonger, d'autres vous tirent la tête hors de l'eau...
RépondreSupprimerLe comte Krapov en Zorro sur sa Torpedo-Tornado, je n'aurais jamais osé imaginer !
Bravo !
Joe, ben oui, tu n'as pas osé... venir jusqu'à Tulle ! :-)
SupprimerEt, bien sûr, j'attends la suite ;)
RépondreSupprimerdu maçon de la Creuse reconverti à la tante Zélie, les esclavagistes ne manquent pas dans ton monde romanesque haut en couleurs
RépondreSupprimertu m'as littéralement captivée, avec les déboires de la pauvrette :)
RépondreSupprimert'façon main'nant la suite il y aura
RépondreSupprimerya trop d'aura
et méfions-nous toujours des maçons de la creuse
merci à Andiamo de nous avoir branché sur les peaux
car à la porte maillot on chante encore
de nos jours
Haut les mains
peau d'lapin
Haut les pieds
Peau d'gibier
Haut les tresses
La maîtresse en maillot de bain ! (air connu)
le suite au prochain numéro !
Cavalier : et à la Bastoche c'est Nini peau d'chien ! ];-D
SupprimerUne suite ? Pourquoi pas. Si les thèmes suivants s'y prêtent ! Mais...Bon !!!
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