jeudi 1 mars 2018

Marité - La rumeur

La bête pharamine.


C'était il y a plus de cent ans. Le bourg de Tirelignol - dont le bon Henri Queuille, futur Président du Conseil et premier de nos illustres Présidents Corréziens - s'éveillait doucement. Déjà les clameurs du marché envahissaient les ruelles étroites. Les commères en fichu sombre vantaient leurs œufs, beurre et volailles jacassantes aux bourgeoises pressées.

Soudain un cri perçant déchira le village et l'on vit surgir le ramoneur brandissant ses ustensiles en hurlant : "Je l'ai vue ! Je l'ai vue !" Les bonnes gens se poussèrent du coude et s'esclaffèrent : on savait que le bonhomme commençait tôt sa journée au bistrot "Chez Boisec" pour se donner du cœur à l'ouvrage.

Les choses en seraient restées là si, dans le quart d'heure, n'était arrivée, hagarde et soufflant fort, la laitière attelée à sa charrette à la place de ses chiens, ses bidons de lait s'entrechoquant dans un vacarme épouvantable. "Mes petits sanglotait-elle. Quand il a bondi sur nous, ils ont cassé leurs harnais. Il va me les mettre en charpie "

Puis, le colporteur, les yeux exorbités, déboula sur la place traînant derrière lui son ballot éventré d'où pendaient colifichets et longs cheveux emmêlés - il échangeait ses merveilles contre des chevelures et aussi des peaux de lapin - "Mon Bramadan ! Mon âne ! Il s'est ensauvé ! Je n'ai rien vu de pareil, non, jamais !"

La rumeur avait balayé le village comme une tornade. Les bonnes gens déboulaient des quatre coins de Tirelignol. Même ceux qui n'avaient rien vu ajoutaient leur grain de sel à l'affaire. Ah ça ! Tout de même : on devait s'inquiéter à la fin. Tout le monde fit cercle autour du trio. Le ramoneur sautait sur ses jambes comme sur des ressorts, la laitière pleurait dans son tablier et le colporteur s'arrachait ses derniers cheveux. "Mais qu'en est-il ? Vite ! Vous autres, prévenez le maire, le garde champêtre et la maréchaussée !" s'époumonait la foule des badauds.

- J'ai vu, commença le ramoneur en gesticulant, un bœuf sans cornes debout contre un arbre ! Il poussait des grognements terribles !
- Moi, hoqueta la laitière, c'est le diable que j'ai vu oui ! Le diable rouge comme du sang ! Ah ! Pauvres de nous ! C'est la punition : je le savais bien !
Le colporteur assura qu'il avait croisé un cochon énorme, avec des longs poils, qui se déplaçait en se dandinant.

Les conversations allaient bon train et chacun s'interrogeait sur ladite bête quand Monsieur le Clerc de notaire passant par là affirma doctement qu'il s'agissait sûrement de la bête pharamine. Cela tombait sous le sens. Personne n'osa poser de questions. Monsieur le Clerc savait : il avait étudié !

Mais bête pharamine ou pas, il fallait d'urgence se mettre à l'abri. Les femmes, toutes classes confondues, se précipitèrent à l'église. Monsieur le curé, profitant de l'aubaine les enjoignit à la prière pour éloigner le Malin. D'ailleurs, il avait bien remarqué que si certaines tremblaient de peur, d'autres frissonnaient délicieusement !

Les hommes s'en furent à la gargote boire la goutte pour se remettre de leurs émotions et échafauder des plans afin de défendre le village. Les plus vaillants parlaient déjà d'organiser une battue avec fourches et fusils.

Près de là, pendant ce temps, dans la clairière ensoleillée et vibrante de chants d'oiseaux, Marcello s'étirait voluptueusement après une bonne nuit de sommeil. Il siffla son ours qui se laissa docilement enchaîner et museler. Tous deux, l'un tirant l'autre, prirent tranquillement le chemin de Tirelignol. "Allez Pépo ! Allons amuser la galerie mon compère ! C'est l'heure ! Basta."

13 commentaires:

  1. Et voilà comment créer un monstre de toute pièce!

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  2. Le baladin avait un caractère assez renfermé, au moins autant que son ours,
    Moralité : Les ours se suivent et ne ressemblent pas ! ];-D
    Tu m'as bien fait marrer Marité.

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  3. Comme tu racontes bien ! Je redeviens une petite fille en lisant ton histoire ! :)

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  4. Ah, bien, je la connaissais pas cette bête-là, joli conte campagnard bien troussé (j'ai pensé au gorille de Brassens un moment...)

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  5. Souvent, la rumeur précède la réalité. C'est bien raconté.

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  6. Ca m'a fait penser à cette histoire de loup dîtes donc. Sacré rumeur.

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  7. C'est sûr, j'y étais sur cette place de marché! C'est si bien raconté !!

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  8. Belle histoire prenante et du cru
    Qui l'eut cru

    :)

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    1. Lustrucu !
      Si j'étais Stouf, j'aurais dit autre chose. Muhaha ! :-)

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  9. Ben, sans vouloir le faire...:-))
    lustucru naturellement !!!

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    1. Dit c'est dit mdr :))) stouf sort de ce corps !!!!

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  10. Merci pour vos coms et merci aussi d'avoir souscrit (et écrit sur) à mon thème ;-)
    C'est encourageant. En attendant le prochain, j'en prépare d'autres ! Ha ha !!!

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