mercredi 16 mars 2016

Anne de Louvain la Neuve - Animal

L'Amour est dans le pré vert


Baie jument trottinant, s’en fut d’un pas altier
Attirant les regards des habitants des prés.
La croupe callipyge, elle passait en reine

La jambe déliée, dédaigneuse et hautaine
Éduquée à l’ancienne, à la mine farouche
Elle exposait à l’air un sang de pure souche,
Rossinante emplumée, fierté des Don Quichotte
Elle allumait d’un trait, la faune polyglotte.
Le tout-venant reluquait, s’émerveillait la plèbe
Mais elle nonchalamment, élégantait la glèbe.


Sa carrière c’était celle qu’on réservait pour elle
Courir, se reproduire, pas pour la bagatelle
Pas touche au pédoncule réservé à l’époux

Un étalon de prix, et pas un sapajou
Tel était son destin, être belle, obéir
Il y a pire sur terre, pas de quoi s’assombrir !

Elle n’était pas farouche aux discours des fourbes
Se laissait bien compter la fable au gout de bourbe.
Des billevesées en masse, on lui sert à la pelle,
Des paroles ensorcèlent le plomb dans sa cervelle

Sans arrière-pensée, sa vie en chevauchée,
Elle n’avait pas l’idée qu’ils l’allaient débaucher.

Un cochon de bassecour en son étable austère

Réunit en pleine nuit, la foule des congénères.
Cette auge sent le moisi, la pelure indigeste
Je veux changer de vie pour briser cette peste
Prenons l’air, que diable, faisons comme les abeilles
Butinons tant qu’on nait, pas tout près du cercueil
Pour ce faire agissons, sans le besoin d’un treuil
D’un quotidien morose, dégageons les ardeurs.
Allons placer ailleurs, loin des agioteurs
Notre lard, nos côtelettes, et nos pattes au miel,
Bref, une réputation, loin d’être artificielle.
Mal avisé je serais, de rester dans ce coin
À vivoter menu, à me moucher le groin
Dans la boue patauger, il n’en est point question
C’est tout à fait indigne de mon rose croupion.

Ceci étant posé
Il convenait d’ajouter
Une précision de taille
Qui foutrait la pagaille

Voyez un peu la belle, prétentieuse et rebelle
Ses yeux qui me font de l’œil, sa croute qui étincèle.
Nobles sont mes jambons si je suis prolétaire
Suidé je demeure, verrat mais ma bannière
À mes armes porcines, je rallierai la fière
Car manquer à ce point de grandes ambitions
N’est point à la hauteur de ma soue condition
On a bon être un porc, gras du bide et joufflu
Prétendre vers le beau n’est jamais malvenu.
Si j’y mets bien des formes, une exquise politesse
Fera fondre le cœur de la douce princesse.

T’auras pas de chance mon gros t’es pas beau t’es pas top
S’égosillent en grognant les potes porcs qui disent stop
T’as pas de sous, t’es trop lourd, on va rire de toi
Il est temps d’arrêter et de te tenir coi

Pendant ce temps passant, la jument dépassait
La Sainte-Catherine en termes, qui pendaient au harnais
La bonne, la chère, la belle, celle qu’on disait gentille
Grand temps il devenait, de mettre au pas la mie
Vous n’y verrez que du feu, ce sera sans douleur
Lui soufflaient à l’oreille tous les investisseurs
Quels bénéfices pour vous ! (Quel intérêt pour nous !)

Le cochon illico passa donc à l’action
Guettant, épiant, la svelte, il l’arrête furibond


Mon train vient de partir, me laissant quelle guigne
À quai, morbleu, perdu. Vous voilà, c’est un signe !
Vous plairait-il, Madame, de me renseigner où
Je pourrais subsister, mais pas question d’un trou.
Étranger à l’endroit, je suis cochon de gout,
Vous siérait-il d’aider, et ce sans contribution,
Un gentleman comme moi qui cherche collation ?
Partagerez-vous du coup, l’instant alimentaire
Qu’un grand célibataire, propose en solitaire ?

Interloquée la belle, se rit de l’audacieux.
Pourquoi ne pas, mazette, après tout contenter
Cet étranger porcin dont il parait certain
Qu’il ne faille redouter, à pouvoir fréquenter.
Définitivement laid et indigne à sa race
La voilà pourtant prise, au charme du sagace.
Ses plaisanteries font mouche, ses compliments la touchent.
Il s’enhardit le bougre, poussant loin la formule
Par ce temps de canicule, très loin de l’ergastule
Ils dérivent tous deux, au trot puis au galop
Dans les contrées lointaines, d’un grand mélimélo.

Triste sire, je vous entends, prononcer quelle audace !
Ce récit sans morale est un peu ragougnasse.
Un cochon, une jument, quelle anormalité !
S’écrie donc hébété, le bon peuple horrifié.

D’autres diront pourtant que le destin souverain
Commande les humains, déjouant pour le coup,
Toutes les prévisions, les tarots des gourous.
Le rêve de quelques-uns peut rencontrer, c’est sûr
Fortune toute tracée, déjouer les augures.
Mélanger les couleurs
Faire reculer les peurs.
Tout dépend, de la chance, des dieux, ou du hasard
Les plis des prédictions se noient dans le blizzard.
Qui pourrait dire le jeu, de ces bizarreries
Des sentes de la vie, pas de géométrie !
Bref, en tout pour conclure, j’invente la fin de fées
Qui dit qu’ils se marièrent, et cela pour vous plaire.


Où lire Anne

16 commentaires:

  1. Voilà une histoire d'excellente facture, que La Fontaine n'aurait pas reniée...
    La morale en est peut-être que pour plaire, les compliments bien tournés font autant d'effet qu'un physique avantageux ???
    Messieurs, cultivez votre plume... ;-)

    P-S : Ne manquerait-il point, néanmoins, quelques lettres dans la première strophe ?

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  2. Comme quoi, il avait peut-être un caractère de cochon, mais ce n'était pas le mauvais cheval...
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  3. Je pense qu'ils viennent de compléter, ouf. Merci, La licorne pour votre attention.

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  4. "La ferme des animaux" d'Orwell revisitée d'une façon qu'il eût, j'en suis certain, approuvée.
    Bravo pour le flot de vers, dont beaucoup sont fort bien troussés !

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    1. Grand merci, Jean-Claude. La trousse en entier vous en sait gré.

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  5. une tirade épique en alexandrins, bravo pour ce superbe travail

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    1. Vous tirant mon chapeau, j'esquisse un pas de danse...

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    2. Un merci Emma qui a disparu dans les méandres informatiques...

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  6. wouhaou admirative, je suis bien incapable de faire un tel exercice

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    1. Même moi, je ne me savais pas capable ! Mais c'est l'occasion qui fait la laronne.

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  7. Ben, bravo ! C'est drôlement bien ficelé et j'ai bien ri à ces amours improbables. Mais après tout, allez donc savoir de quoi sont capables les fées ?

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  8. Bel exercice de style.

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  9. J'adore! L'écriture, le style et l'histoire d'amour improbable mais trop humaine pour être animale.

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