Ton nom dans ma main
La cartomancienne lui avait prédit l’amour. Au creux de sa
main, la vieille avait suivi les lignes délicatement du bout de ses doigts
noueux et noirs. Et à quinze ans, Laura, dans la folle fougue de son innocence
aventureuse, fut persuadée qu’elle le rencontrerait.
Peut-être qu’une autre qu’elle, plus avisée, plus rompue au
décryptage des signaux non-verbaux, aurait vu passer dans les yeux de la
Bohémienne cette ombre, cette hésitation
de l’âme de celle qui sait mais qui ne dit pas. Cet effroi de celle qui ne peut
dire qu’à demi-mots ce qu’elle a vu.
-Comment le reconnaîtrai-je ? Avait-elle demandé.
-Tu le reconnaîtras. Dans ton cœur, là, au plus profond, tu
le sauras, avait répondu la femme en regardant au loin, un peu absente.
Depuis lors, forte de cette prophétie, Laura n’avait cessé
de guetter dans chaque regard rencontré, dans chaque parole un peu fébrile,
dans chaque attitude masculine à son égard les signes de ce grand amour
sublimé. Celui dont les peintres et les poètes ne cessent de chanter, de plume
en pinceaux, avec de grandes envolées d’oiseaux et de fleurs et des fibrillations
merveilleuses…
Alors, oui, bien sûr, elle était tombée en amour, plusieurs
fois, mais à chaque fois, d’un bel indifférent. Elle connaissait bien ces
trépidations, ces jubilations délicieuses, cette apnée qui emportent, envolent,
qui laminent et laissent sans force. Cette envie de crier, d'écrire partout son
nom, de se fondre dans l'autre, de le boire, de le respirer. Mais l'autre
passait, détaché, insouciant, piétinant son cœur sans le vouloir. A peine navré
de ce sentiment à sens unique.
Ou bien, au contraire,
c’était d’un amour transi qu’un de ses admirateurs se mourait. Et le
voir ainsi se traîner à ses pieds, en perdre l'appétit et le sommeil avait pour
elle quelque chose d'étrange et de déplacé. La douce folie ne peut se pratiquer
qu'à deux. Elle avait essayé de se persuader que oui, elle l'aimait, mais ce
n'était que se leurrer elle-même, dans le désir fou de rencontrer ce Graal
promis. Confondant désir et amour, comme beaucoup. Prenant des vessies pour des
lanternes.
Ce que Laura pensait, c’est que pour elle, Cupidon se faisait
vieux, qu'il n’avait plus les yeux bien en face. Il décoche toujours, certes,
ses flèches malignes, mais sans méthode, un peu au hasard, et souvent,
seulement dans un cœur mais pas dans l’autre.
Un véritable habitué du cinquante pour cent, du mi-temps, de
la tâche à demi-bâclée.
Dans la vie de Laura, à bientôt quarante ans, il en avait
fait une spécialité.
Aimer, être aimée, c’était toujours l’un ou l’autre, jamais
les deux en même temps…Il n’est rien de plus angoissant et triste qu’un amour
non partagé. Et Laura observait, dépitée, les égarements du « sale petit
bonhomme » consumer son cœur, et consumer ceux qui par malheur croisaient sa
route.
Elle commençait à admettre que la Grande Amour n’était pas
pour elle, et surtout, elle fuyait comme la peste les diseurs de mauvaise
aventure.L’avenir allait lui donner tort.
(Librement inspiré de deux
chansons de Georges Brassens
Cupidon s'en fout et Sale
Petit Bonhomme.
Pas facile de faire s'accomplir des prédictions, tant de gens l'ont chanté et écrit... heureusement la dernière petite phrase est pleine d'espoir !
RépondreSupprimerL'espoir est plus que jamais une philosophie, dans ce monde de brutes...
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆
Ce texte, bien dans l'esprit de la consigne,campe très bien une situation d'attente et appelle indubitablement une suite.
RépondreSupprimerMerci beaucoup.
SupprimerLa suite...est encore à écrire, chère Marité.
Mais je ne crois pas vraiment aux prévisions des cartomanciennes...
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Aah! Cela donne aussi l'envie de lire la suite... Oh! Le miroir aux alouettes des prédictions...
RépondreSupprimerC'est frustrant finalement, cette consigne ...
SupprimerBises
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J’attends de voir celle qui aurait l’idée de guetter mon regard avec mes grandes envolées et mes fibrillations merveilleuses. L'amour n'est pas un calcul arithmétique mais un chemin de traverse parfois qui mène vers des silences gracieux où l'âme trépigne d'allégresse et le coeur s'embrase par un court-circuit étourdissant et magique.
RépondreSupprimerLibrement inspiré mais divinement bien écrite ta cartomancie, chère Céleste.
Bisou galant
Ah l'amour en aura fait couler de l'encre et des larmes...
Supprimermais que serait la poésie, l'art, la musique sans ses frémissements ?
merci pour ce beau commentaire Bizak.
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Comme j'aime tes retours de verve poétique, pleins de beauté et de tendresse. Tes mots me ressourcent pleinement. Merci, la Céleste
SupprimerQuel beau compliment Bizak...je suis confuse.
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆
Si tu es "confuse" aujourd'hui, demain tu seras "Conficius"-e!^^
SupprimerAh non, mais tu ne peux pas nous laisser là, en plan ...
RépondreSupprimerLa suite, la suite !!!! :-)
Tu es gentille, ma Licorne...
Supprimer;-)
Comme c'est quelque chose que je ne fais pratiquement jamais, j'aime cette dernière petite phrase qui convoque l'espoir!!! Merci pour elle! :-)
RépondreSupprimerJe pensais au moral de mes lecteurs...
SupprimerLa vie de mon héroïne est un peu désespérante...
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Bon, la cartomancienne, à la poubelle ! Va falloir jouer serré avec ces imbéciles de prédictions mais elle va y arriver. La suite le prouvera mais on ne sait pas comment et là, on doit, nous, compléter le blanc.
RépondreSupprimerJ'espère qu'elle va y arriver...Elle ne croit plus trop à l'amour qui rime avec toujours...
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆
Cupidon s'en fout et ce sale petit bonhomme n'avait plus d'ailes ... mais ce début de roman nous met en attente de la suite, la phrase finale ouvrant sur tant de possibilités
RépondreSupprimer(Et puis merci beaucoup d'être venu jeter un coup d'œil sur mon blog et d'avoir commenter ... ça m'a vraiment touché !)
Mais je t'en prie, cher Arpenteur, c'est un plaisir. Tu écris vraiment bien, et c'est dommage que tes textes ne soient pas davantage commentés (ce qui ne veut pas dire qu'ils ne sont pas lus...)
SupprimerMerci beaucoup pour tes mots.
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Je retiens qu'il est dur de ne pas être aimé par qui on aime. Cette catastrophe flétrit le cœur bien avant l'heure. J'aime bien les "fibrillations". :)
RépondreSupprimerOui c'est dur. Mais être aimé par quelqu'un qu'on n'aime pas, n'est guère plus confortable...
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆