Pascal - Animal

La sauvageonne

J’ai rendez-vous avec elle, je n’ai pas dormi de la nuit ; je cours la rejoindre dans son lit. Nous avons traversé l’hiver sans nous voir et cette attente était mon désespoir. La neige, la glace, tous ces tracas de froid m’ont inquiété plus que de raison et ma passion chavire tant je l’espère bien « cabornée » dans son terroir. Elle sera là, car depuis la nuit des Temps, elle m’attend. Je vais la charmer, je vais l’apprivoiser, je vais la convier à festoyer ; de sa cachette, elle va surgir, me téléphoner, tutoyer ma ligne, m’appeler pour me dire toute sa gourmandise vorace. Prisonnière, vive et sauvage, elle m’éclaboussera de toute sa fraîcheur naturelle avec ses cabrioles de maîtresse courageuse ; à l’unisson, on combattra ensemble pour retrouver la même Liberté. Capturée encore, je la prendrai dans la main ; pour célébrer nos retrouvailles annuelles, elle sera vêtue de sa belle robe du dimanche, cette belle ; celle ourlée d’argent, de vert velouté, de blanc laiteux et constellée de belles tâches rouge en impressions sanguines. Délicatement, je décrocherai l’affreux piercing du coin de sa lèvre et dans ses yeux, je retrouverai la Nature, le plaisir de la grande communion des Choses. Bien sûr, j’aurai quelques frissons voluptueux de vieux trappeur parce que je ne suis qu’un humain carnassier, poussé par l’instinct millénaire. Pourtant, je me laisserai hypnotiser par ses reflets éblouissants, l’éclat de sa parure d’écailles et les battements de ses ouïes. Comme chaque année, je caresserai son ventre, je l’embrasserai sur la bouche et je la remettrai dans son lit…