Dans sa cuisine
Elle réfléchissait devant sa demi-douzaine d'oeufs.
Faire une omelette mousseuse et baveuse, comme au Mont-Saint-Michel, d'accord, mais comment ?
Elle rêva un instant au Mont-Saint-Michel. Au mois de mai 1971. A des souvenirs imprécis, une auberge, sur la route du Mont, une digue, du monde, une poterne, une rue montante, des auberges, des magasins de souvenirs, l'Abbaye, au sommet, la visite obligée. Et à la descente, côté jardins, côté mer, côté ailleurs, côté du Temps. Là, cela sentait l'algue et le goémon, le vent normand, la chevalerie, les oriflammes, les cloches des moines, le réfectoire, le silence, la lectio divina, les enluminures, les combats, les pertes, les victoires, l'histoire.
De l'autre côté du Mont, il y avait l'omelette de la mère Poulard.
« Avec quoi fait-on une omelette de la mère Poulard? » Avaient-ils demandé à la restauratrice…
« Eh bien... » - Sans doute ne fallait-il pas dévoiler un secret…
« Avec des oeufs » fut la réponse.
Il fallut bien s'en contenter.
Et dans l'âtre rougeoyant, une omelette dorait sur le pourtour, environnée de bulles de beurre grésillant, fonte noire, jaune pâle, mains usées de l'aubergiste, bonnet de toile, tablier bleu, vêtements sombre, sourire un peu absent, tant d'années à casser des coquilles. Et des tables, chargées de gourmands et de gourmandises. Brueghel en France.
Elle en était là de ses réminiscences, puis elle revint au présent. Elle avait eu beau battre les jaunes et les blancs ensemble au mixeur, après quelque temps, la température retombait, la mousse aussi, et cela ressemblait à une omelette de tous les jours, la banale omelette des soupers de fin de mois.
Alors elle sépara les blancs des jaunes, mixa le blanc en neige avec une pincée de sel – comme pour ses gâteaux. Puis y adjoignit les jaunes – ils étaient exceptionnellement jaunes, d'une riche nuance d'or orangé exceptionnellement dense – tourna délicatement dans le mélange, fit fondre le beurre dans la poêle, y glissa le mélange et fit cuire le tout jusqu'à obtenir une belle croûte dorée sous l'omelette, une zone intermédiaire suffisamment cuite et une mousse légère qui ne la trahirait pas en arrivant dans les assiettes des convives.
C'était juste dommage qu'on se trouvât dans une cuisine de ville,
et pas dans la salle d'une auberge du Mont Saint Michel...
Voilà comment on réinvente une recette avec bonheur !
RépondreSupprimerJe crois quand même que le principal secret de la mère Poulard c'est dans le fouettage des oeufs, non ?
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Je suis quand même allée vérifier la recette (après) sur le net, il faut mélanger les jaunes et de la crème dans la poêle, et puis ajouter les blancs battus en neige. C'est ta novice qui m'a fait penser au Mont Saint Michel (curieux comme association d'idées !) o:)))
SupprimerBen non, pas si curieux, en y réfléchissant bien...
SupprimerJe serais comme une sorte de muse pour toi...LOL !
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Bien des touristes disent aussi que c'est du fouettage de gueule !!
RépondreSupprimerOui, je crois aussi. Après tout, ce n'est jamais qu'une omelette !
SupprimerLe secret est dans le jaune doré, non?
RépondreSupprimerBelle évocation de souvenirs normands. Tu ne dis pas si ton omelette avait le goût de celle mangée à l'auberge mais sûr que oui.
RépondreSupprimerComme dans toute chose....C'est l'assemblage qui fait le charme. ...
RépondreSupprimerMerci pour... la recette, aussi!
RépondreSupprimerJ'aime bien la balade du début de l'histoire, je l'ai ressentie avec tes mots. Moi qui ne connais pas le Mont Saint Michel, j'y étais pendant quelques secondes.
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