Pâques
aux tisons
J'ai
fait revenir tout spécialement de Bacon de fines tranches de lard
salé à feu doux dans une poêle dont j'ai vainement cherché
l'accent circonflexe depuis la récente réforme de l'orthographe.
J'ai
fini par le trouver pêle-mêle dans un placard, du coup j'en ai
trois!
Comme
un gros naze j'avais voulu commander mon lard sur Amazon.uk, persuadé
que Bacon se situait en Grande-Bretagne, comme si le jambon d'York
venait des Etats-Unis ou la salade romaine d'Italie !
Finalement
j'en ai trouvé chez Ducoin, le petit arabe Ducoin en bas de mon
immeuble qu'on appelle tous Oussama parce que ça fait plus épicier.
Ne
me demandez pas comment il a trouvé du lard salé celui-là – il y
a des sujets comme les circuits courts qu'on n'ose pas aborder avec
son épicier – toujours est-il qu'il m'en a proposé sous le
manteau... enfin, sous le boubou.
Il
m'a aussi appris que Bacon était une localité du sud de la Côte
d'Ivoire.
Comme
je lui demandais où il avait pu lire cette connerie, il m'a répondu:
“J'y suis peut-être ivoirien mais j'y m'appelle Konan en fait mais
on dit Le Barbare dans mon village” , comme quoi on a tôt fait de
se fourvoyer sur les origines de son épicier.
Et
quand il a ajouté que son grand-père était entré en résistance
aux côtés de De Gaulle en 40, je me suis dit que je n'allais plus
pouvoir le regarder comme on regarde son épicier en bas d'un
immeuble.
Du
coup on s'est embrassés – enfin, surtout lui – et il m'a offert
le bacon qui revient actuellement à feu doux et sans matière grasse
parce que je n'en ai pas sous la main... enfin, j'ai du gras sous la
main mais pas pour la cuisine.
Pendant que ça rissole je casse un à un les oeufs de chez mon épicier nouvellement ivoirien dans un des ramequins de tante Yvonne, parce que je n'ai jamais eu de bol et que les cadeaux de mariage c'est fait pour ça... pas toujours pour avoir du bol mais pour avoir de la vaisselle.
Je
la revois encore nous offrant ce duo de ramequins en porcelaine
décorée de petits amours ailés et joufflus – la porcelaine, pas
Yvonne – qu'elle avait ramenés d'un voyage au Népal ou d'Arcopal
enfin, un truc en Pal... bref, pas de quoi en faire un plat d'autant
que ce jour-là Micheline et moi étions fourbus d'une nuit de noce
folkloriquement éreintante et peu branchés dînette.
Pardonnez-moi
si je vous passe les détails de nos acrobaties mais j'entends mon
lard salé qui revient et il est grand temps que j'y verse mes oeufs
avant qu'il ne reparte.
“Faire cuire 3 minutes en arrosant avec la graisse du bacon jusqu'à ce que le blanc soit pris alors que le jaune est encore liquide”!
“Faire cuire 3 minutes en arrosant avec la graisse du bacon jusqu'à ce que le blanc soit pris alors que le jaune est encore liquide”!
J'ai
toujours eu horreur des contraintes et encore plus des ordres –
Micheline pourrait vous le dire – alors je sens que ces trois
minutes vont me courir sur le haricot.
Je
touille dans la poële avec un tréma – ça cuit aussi avec un
tréma – et avec le dos de la cuillère, cherchant désespérément
la graisse du Bacon de Côte d'ivoire que m'a donné Konan Le
Barbare... ce charlatan m'aurait cédé du lard sans graisse de lard?
Soudain
je revois ces petits porcs noirs courant au milieu de villages noirs
dans cette Afrique noire qu'on nous impose le soir en 16/9ème et
Haute Définition à trois mètres du canapé et aux caprices du
zapping!
Il
est vrai que ceux que j'ai vus n'étaient pas gras et d'abord le
zapping, ça devrait être interdit...
Alors
d'accord Konan m'en a fait cadeau mais comment je fais moi pour
arroser mes oeufs?
D'habitude
j'appelle Micheline à la rescousse mais ces oeufs au bacon c'est une
surprise que je veux lui faire, la surprise d'un dimanche matin
d'anniversaire de mariage depuis qu'on est mariés, depuis les fameux
ramequins en Pal de tante Yvonne, depuis... combien d'années déjà?
Le
temps passe si vite, aussi vite qu'un jaune d'oeuf pour se figer
quand on ne l'arrose pas.
On
devrait vendre la graisse de lard en tube, comme le dentifrice ou le
ketchup: une pression et hop, le tour est joué. Y a un truc à
trouver avec ça.
Tant
pis, je sale et je poivre copieusement, Micheline aime bien quand
c'est salé et poivré.
“Pour
des œufs miroir, mettre un couvercle sur la poêle en fin de
cuisson”.
Pas
envie de faire des oeufs miroir, avec mon manque de bol je serais
fichu de casser les oeufs miroir et ça... ça doit surement porter
malheur.
De
toute manière et si je peux user d'une métaphore la seule fois où
j'ai essayé d'ajuster un couvercle sur une poêle c'est quand j'ai
rencontré Micheline et c'était pas pour son goût du rangement.
Je
regarde ma surprise d'un dimanche matin d'anniversaire de mariage et
je me dis qu'une fois par an c'est encore de trop quand on pense à
tout ce gâchis: une poule et un cochon pour un tel résultat.
Cramponné
au plateau repas, je pousse sans bruit la porte de la chambre;
inutile car ça ronfle sec, ça vrombit, ça rugit, ça mugit,
comment dire ?
Micheline
fait partie de la catégorie des Ronfleurs Inspiratoires Dominants,
c'est du soixante décibels au bas mot et du trois cent Hertz au plus
aigu !
Je
pose ma création au bord du lit pour retirer mon pyjama et repousse
la couette histoire de réveiller ma locomotive.
Un
rugissement me répond; ma Micheline ouvre un phare.
Je
lui glisserais bien un “T'as d'bio oeufs, tu sais” mais
depuis le temps que je la pratique, je sais qu'il faut y aller
doucement quand son chant frise les trois cent Hertz.
Mais
voilà quarante jours que je fais carême – Micheline a des
principes indéboulonnables – et je me sens d'attaque à célébrer
la Pâque, avant ou après les oeufs au bacon ou peut-être les deux
à la fois.
Il
faut dire que chez nous, Carême c'est jeûne et abstinence pendant
plus d'un mois. J'ai eu beau tenter d'expliquer à Micheline que
l'abstinence d'absorption d'aliments carnés ne s'appliquait pas à
certaines parties du corps humain, elle a fait mine de ne pas
comprendre.
Raconter
ça à mon épicier arabo-sénégalais qui fornique à tout va
reviendrait à le faire mourir de rire... et je me sens tellement
ridicule à poil devant mes oeufs.
Micheline
remonte prestement la couette en jetant un oeil vide sur mon plateau
repas:
“Oeuf
au bacon, Pâques aux tisons” bougonne t-elle en grelottant.
Il
me reste à me rhabiller en songeant qu'il faudra que je révise mes
dictons.
Tsss...une consigne sage, qu'il disait... j'en parlerai à mon (oeuf à) cheval ...
RépondreSupprimerParce que la phrase "l'abstinence d'absorption d'aliments carnés ne s'appliquait pas à certaines parties du corps humain" c'est sage, ça ?
¸¸.•*¨*• ☆
Euh... j'ai un peu dérapé, c'est tout :)
SupprimerRhôô ! c'te mauvaise foi ! :-)
SupprimerMicheline n'a donc pas fait passer Pâques avant Rameaux.
RépondreSupprimerTu devrais faire breveter le lard en tube.
Quelle rigolade !
Le lard en tube... je vais y réfléchir !
SupprimerJe n'ai qu'un mot à dire (enfin quelques uns quand même) : cette recette et son créateur doivent être remboursés par la sécurité sociale comme remèdes contre le mal de vivre, avec ou sans caries !
RépondreSupprimerToujours aussi croustillantes tes aventures. Salées et poivrées, à point pour bien rigoler.
RépondreSupprimerÇa, c'est pas un plat pour les nuls ;)))))
RépondreSupprimerMerci de cette tranche de sourire! Le lard en tube, je suis pour!
RépondreSupprimerPour Micheline, Vegas aux petits oignons avec ses œufs au bacon ! :)
RépondreSupprimer“T'as d'bio œufs, tu sais”... c'est signé ! J'en regretterais presque un ou deux commentaires de Joe K. ;)
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