Une belle histoire
Tout était en déséquilibre.
C’est à cause de tous ces rêves de petit matin ; tu traînes toujours dans mes parages chimériques ; il me semble que je vais te récupérer dans les derniers méandres heureux de mes souvenirs, pour t’activer dans ce présent de fantasme. Parfois souriante, parfois aimante, mais le plus souvent interrogative, reine du bout de la nuit, tu investis mes lambeaux oniriques avec des coloriages de séduction et des simagrées artistiques.
Généreuse, tu es là, tu arrives à point nommé, tu sors de je ne sais où ; cachée derrière une tenture, assise en bout de table, ombre maligne malaxant mon âme à coups de fausse ingénuité, tu es toujours vive, tu es toujours franche, tu es toujours disponible et toujours volontaire. Tu as un mot pour rien, une conclusion pour tout ; toi, c’est point à la ligne ; tu es catégorique, sûre, rationnelle, parce que tu ne t’appuies que sur des choses tangibles ; toi, tu ne sèmes jamais de points de suspension au bout de tes phrases. Avec tes humeurs et tes rancoeurs, sur ton balcon de Juliette, jamais tu ne cultives l’imbroglio, arroses la patience, caresses l’atermoiement.
Généreuse, tu es là, tu arrives à point nommé, tu sors de je ne sais où ; cachée derrière une tenture, assise en bout de table, ombre maligne malaxant mon âme à coups de fausse ingénuité, tu es toujours vive, tu es toujours franche, tu es toujours disponible et toujours volontaire. Tu as un mot pour rien, une conclusion pour tout ; toi, c’est point à la ligne ; tu es catégorique, sûre, rationnelle, parce que tu ne t’appuies que sur des choses tangibles ; toi, tu ne sèmes jamais de points de suspension au bout de tes phrases. Avec tes humeurs et tes rancoeurs, sur ton balcon de Juliette, jamais tu ne cultives l’imbroglio, arroses la patience, caresses l’atermoiement.
Dans une usine de chaufferie désaffectée, je t’ai vue portant un enfant dans les bras ; à la plage, je t’ai vue jouant les sémaphores avec les drapeaux des secouristes ; au sortir d’un hôpital sans avenir, je t’ai vue en blanc, en ailes dépliées, en air chagriné, me raconter des discours sur l’éternité et ses bienfaits de cimetière reposant…
J’ai remarqué que c’est toi qui m’intéressait, ou plutôt, que c’était toi le fil conducteur de toutes ces aventures imaginaires. Tous mes décors s’articulent autour de toi ; tantôt silhouette attentive, tantôt ombre chinoise, dragon ou sylphide, tu m’indiques tes desseins sur les murs et tes aspirations secrètes entre les toiles d’araignées du plafond. Je dois y chercher les réponses convenables aux questions qu’on se posait quand la terre tournait autour de notre Amour. Il faut en faire, des sacrifices, ou bien être un super hypocrite pour traverser la vie avec une seule personne ; pour toujours et à jamais, lui dire qu’on l’aime et être sûr de ne jamais se tromper.
Mon rêve devient réaliste, il se colorise, il prend du volume, du relief, il ressemble à un avenir parallèle, celui qui ne se peut pas mais qui déborde des méandres utopiques de cette boîte crânienne.
Dans un couloir de cinéma, à la lueur de ta torche, tu poinçonnais mon ticket ; tu m’éblouissais et tu étais l’héroïne du film ; à la cantine, tu me servais inconsidérément ; mon plateau débordait, je ne pouvais plus le porter et tu ricanais, tellement tu te moquais. Au coin d’une rue sombre, tu faisais tourner ton sac à main au bout d’un doigt inquisiteur et quand je t’ai demandé comment tu avais fait pour en arriver là, tu m’as seulement dit : « C’est deux billets, mon p’tit gars. »
Je peux me retourner dans le lit, me reposer sur un îlet de drap frais, bousculer l’oreiller pour lui changer mes idées, tu m’accompagnes. Sans cesser de me regarder, parfois, tu me frôles ; je soupire en grand pour tenter de capturer tes effluves de clandestine invitée. A cet instant, je pourrais te toucher, te capturer dans mes bras, sans doute, t’embrasser, te retenir. Je suis courageux dans mes rêves. J’ai déjà risqué de prendre ta main mais tu me fais toujours des signes d’au revoir comme si tu allais fuir avec mon réveil. Je serre les paupières, je fronce les sourcils, je grimace pour ne pas voir le jour ; je vole au temps encore un peu de sommeil et de ta présence.
Tu marchais sur un trottoir avec des fleurs plein les bras ; en jouant, tu les secouais et les pétales tombaient devant mes yeux ; j’étais triste parce que ce n’est pas moi qui te les avais offertes. A la table d’un petit restaurant de banlieue, tu déjeunais avec un type que je ne voyais que de dos ; il portait un complet élégant et des souliers de dimanche. Tes sourires lumineux irradiaient les tentures de toute la salle et tes rires étaient le tonnerre de ce feu d’artifice multicolore ; j’étais triste parce que je ne porte jamais de costume… Tu montais dans une belle voiture ; j’ai le souvenir tenace de ta jupe relevée bien plus haut que la bienséance ne le permet en public ; tu as réclamé au chauffeur une adresse lointaine et j’étais triste parce que ce n’était pas la mienne…
Il pleut dans mes rêves ; c’est fou comme le temps est gris à force de se consumer de langueur dans le cendrier des désillusions.
En uniforme de bourreau, tu coupais les têtes du petit jour ; tu étais adroite, méticuleuse, implacable et pourtant, tu avais du charme ; des masques torturés s’empilaient dans le panier d’osier ; leurs grimaces me ressemblaient. Confiant en ton pouvoir de miséricorde, j’ai posé ma tête sur ton billot comme le ferait un petit enfant quand il la pose sur le genou de sa maman et quand elle lui raconte une belle histoire. Les oiseaux chantaient bien ; ils chantent toujours bien au petit matin… Tout était en déséquilibre ; ta hache en perdition, les ultimes frissons des buissons alentour et mon cou qui attendait sa punition.
J’ai la gueule de bois ; je me retiens d’aller pisser, je n’ai pas envie de me lever ; mes chaussons seront froids, le café brûlant et la tartine rassis. A part ma bouteille, rien de la journée qui s’annonce ne sera porteur d’une quelconque ébriété hallucinante. Je traînerai dans la baraque ; bêtement, je chercherai entre les carreaux de la fenêtre une lueur de l’aube, un bruit de quotidien, mais tu me poursuivras à travers nos quelques bibelots, et je n’arrive pas à te chasser… sans te faire peur…
Pas près de retrouver l'équilibre...
RépondreSupprimerC'est ce qui s'appelle "avoir quelqu'un dans la peau"
RépondreSupprimermagnifique !
¸¸.•*¨*• ☆
Il me plait bien ce texte du Pascal tout craché !
RépondreSupprimerSuperbe complainte, j'aime beaucoup !
RépondreSupprimerParticulièrement cette phrase (parmi d'autres) :
Il pleut dans mes rêves ; c’est fou comme le temps est gris à force de se consumer de langueur dans le cendrier des désillusions.
Merci Jean-Claude pour tes commentaires. Dans cette phrase "est gris" peut être lu comme "aigrit".
Supprimeril est vraiment bien décrit cet envahissement presque obsessionnel, où le personnage est tellement habité de l'absente
RépondreSupprimeret j'ai lu à bout de souffle tous ces moments, et toutes ces apparitions
un formidable texte qui dit la solitude peuplée par celle qui est partie mais qui demeure pour toujours. Les émotions sont fortes, la réalité crue ... "bousculer l'oreiller pour lui changer mes idées" est une des multiples phrases qui m'interpelle. Très réussi !!
RépondreSupprimer''Elle'' toujours presente, aux mille visages, aux mille intentions..
RépondreSupprimerLe basculement est réussi, jusqu'à l'explication finale...
Des perles; « sur ton balcon de Juliette » - « tous mes décors s'articulent autour de toi » - « un îlet de draps frais » - « le cendrier des désillusions » quelle belle trouvaille ! - « les têtes du petit jour ».
RépondreSupprimerEt le coup de la tête sur le billot comme on la pose sur le genou de sa maman est génial, tout simplement génial ! Bravo Pascal ! Du grand art !