dimanche 20 mars 2016

Chri - Animal


L'envolée ...

On était en Décembre.
Dehors, un trop pâle soleil d’hiver tentait péniblement d'éclairer la terre. Pour une fois, j’étais rentré dans le milieu de l’après midi. J’avais passé la noire nuit précédente quasiment blanche. L’impression très désagréable de me regarder l’intérieur de l’âme. L’insomnie, je l’ai mise sur le compte des trois cafés que j’avais pris la veille vers minuit. Je savais qu’ils n’en étaient pas la vraie cause. Bien sûr que je n’aurais pas dû les boire ces trois cafés. Quand on en est à penser qu’un café, un alcool, peut régler un problème on est mal barré. Ça n’a évidemment rien réglé. Elle était partie et puis c’est tout. Où était-elle à cette heure ? Je n’en savais rien, je n’en avais pas la moindre petite étincelle d’idée. Avais-je seulement envie de le savoir ? Vraiment ? Depuis quelques semaines, il est vrai que ça n’allait pas fort entre nous. Je ne lui ai rien dit en pensant qu’elle n’aurait rien compris, en me persuadant que ça venait de moi, en voulant croire que c’était un mauvais moment, que ça allait me passer. Elle l’a sans doute senti et a pris les devants, comme elles le font souvent, pour ne pas écrire toujours.
Ce dont j’avais été le plus surpris c’est de ne pas m’apercevoir de suite qu’elle avait fichu le camp, c'est-à-dire à l’instant même où j’avais franchi la porte de la maison, cette après midi là. D’ordinaire... Prête-t-on assez d’attention à l’ordinaire. Justement pas, justement plus. Voilà où nous en étions. Souvent, elle se trouvait déjà là quand je rentrais et ça ne surprenait plus, alors que ça devrait, à chaque fois. D’habitude, c’est elle qui venait au devant de moi quand j’arrivais, comme pour m’accueillir, être la première à vouloir me soulager des fatigues de la journée ? On tient tous beaucoup à ces histoires de primauté. Etre le premier à faire découvrir, le premier à faire ressentir alors qu’au fond ça n’a pas grande importance. C’est aussi bien d’être le deuxième ou le quatorzième. Ce qui importe c’est ce qui est vécu à l'instant où c'est vécu. Participer à la re naissance d’un sentiment, d’une sensation est comme un don qu’on s’accorde à soi-même. Ou bien alors, venait-elle très vite, simplement pour son propre plaisir. Enfin bon, bien qu’exceptionnelle, elle était rigoureusement, parfaitement, comme tout le monde. Quand j’arrivais, je traînais un peu en faisant du bruit pour signaler ma présence, comme pour lui dire qu’il était temps pour elle de se pointer. C’était une sorte de jeu entre elle et moi ...
Alors, je la voyais débarquer en descendant l’escalier en silence quand elle était en haut, en montant de la cave si elle avait un truc à y faire. Elle s’arrêtait sur l’avant dernière marche et me regardait intensément en me saluant parfois d’un signe de tête et d’un rictus que je prenais pour un sourire : « Te voilà, enfin, je t’ai attendu ». J'y lisais comme un reproche. Elle me regardait me débarrasser de mon manteau s’il faisait froid, puis me précédait dans la cuisine parce qu’elle savait que j’allais filer droit vers le frigo pour y jeter un œil ou vers la cheminée s’il fallait rallumer le feu. Ça, c’était, du moins je le croyais, ce qu’elle préférait. Savoir qu’il allait irradier sous peu et que nous nous poserions face à lui, exposés, sereins, à sa chaleur, la notre se nourrissant de la sienne. Peut-être viendrait-elle s'asseoir sur mes genoux ? Un soir de fête...
Dire qu’il m’est arrivé de trouver ces derniers temps ce rituel gonflant parce que sans surprise.
Ce soir là, le soir où je ne l’ai pas vue, quand je me suis rendu compte qu’elle ne m’avait pas accueilli, je me suis mis à l’appeler dans la maison :
« Je suis là ! T’es où ? » Pas une réponse, pas un signe de sa présence, que le silence terrible de son absence. Elle n’avait rien emporté. Toutes ses affaires étaient encore là. Elle n'est pas bien loin, elle va revenir, je me suis dis. On ne part pas comme ça d’un coup, sans prévenir, sans laisser un signe, sans rien prendre. J’ai fini debout dans le séjour, le front appuyé à la fenêtre. Je suis resté de longues heures ainsi m’avalant tasse sur tasse. Je suis resté là comme un imbécile, désemparé. Je ne pensais qu’à courir pour lui ouvrir la porte, la prendre dans mes bras et la soulever de terre comme dans les films à l'eau de rose, et même, le faire au ralenti, comme dans les films en guimauve, que cette boule dans la gorge disparaisse et ne soit plus qu’une vilaine terreur enfin dissipée ...
Je suis resté là. Les heures filant, j’ai passé le jour suivant derrière cette sale vitre à tenter de m’imaginer la vie sans elle...C'était au-delà de mes forces. Je n'y suis pas arrivé.

J'étais devenu inutile, à attendre qu’elle miaule enfin à la porte. Saleté de bestiole, encore en train de marauder... N’en faisait qu’à ses moustaches, cette garce à poils...

3 commentaires:

  1. Qu'importe si l'envolée, la pomponnette est partie fautive ou sans raison... ça serait bien qu'elle revienne.
    Joli récit, Chri, comme d'hab

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  2. Sûr qu'elle reviendra. Joli. J'ai aimé.

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  3. Vraiment bien construit ce texte, tout en finesse...
    ¸¸.•*¨*• ☆

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