L'ombre du crépuscule se répand dans le vieux château. La pluie crépite sur les tuiles. Dans le CABINET DES CURIOSITÉS, ça grince, ça chuchote. C'est l'heure à laquelle les objets s'animent. La pipe de Georges Brassens crachote un nuage bleu :
- Hum, hum... tu es réveillée ?
- Maintenant oui, chantonne-t-elle.
- Entends-tu la pluie sur le toit ? Ça me rappelle le jour où j'ai rencontré Georges, soupire la pipe. C'était il y a longtemps, très longtemps. J'attendais dans la vitrine d'un magasin que quelqu'un veuille bien m'adopter. Le temps menaçait. De gros nuages emplissaient tout le ciel. Je les observais quand un pardessus s'interposa entre eux et moi. Surmontant le pardessus, une moustache, un regard fixé sur moi. Au-dessus du regard, un chapeau. Puis le clic de la porte qui s'ouvre, quelques paroles, une main qui me saisit. Georges, car c'était lui, m'examine, me caresse, me porte à sa bouche et m'achète. À peine sorti du magasin, il bourre ma tête de tabac, craque une allumette. En quelques bouffées, la chaleur, la fumée m'envahissent. Nous flânons, heureux, moi pendue à ses lèvres, quand une goutte me frappe, puis une autre, et encore une autre... La pluie nous rattrape, tourbillonne autour de nous ; les gouttes grésillent sur mon foyer, je m'étouffe. Georges tente de me protéger du bord de son chapeau, mais l'eau gicle sur le tabac incandescent. Au moment où j'allais me noyer, un toit providentiel surgit. Une jeune femme magnifique - elle avait quelque chose d'un ange - nous offre un p'tit coin de parapluie. Elle nous accompagne jusque devant la porte de Georges, nous sourit, nous quitte. Il me semble avoir vu alors une larme rouler sur la joue de Georges... à moins que ce ne soit une goutte de pluie... En tout cas, je sais qu'il a fait de cette rencontre une chanson, sauf qu'il s'est donné le beau rôle. Il raconte que c'est lui qui abrite la jeune femme, mais c'est faux ! Je le sais, j'y étais..
- Tu sais, Elvis aussi... Écoute ça : il était très jeune et pas encore connu, mais je l'accompagnais déjà partout. Un jour, on a dormi dans une maison qui louait des chambres aux voyageurs. On y est restés quelques temps, on s'y trouvait bien. Le soir, Elvis me sortait de l'étui, me serrait contre lui et grattait mes cordes de ses doigts experts. La musique jaillissait, je lui offrais des sons nouveaux, puissants, pour porter ses textes. Dans cette maison vivait un jeune garçon aux jambes faibles, cerclées d'un appareillage en métal. Il venait nous écouter, il dansait. Il avait un jeu de jambes plutôt cocasse avec son appareillage. Genoux fléchis, pieds écartés, il tricotait un peu de la guibolle, tout en se déhanchant. Hé bien, tu sais quoi ? Elvis s'est inspiré de cette danse, l'a travaillée, et c'est ce qui a fait une partie de son succès, et aussi de son scandale dans l'Amérique puritaine de l'époque !... L'enfant s'appelait Forrest... Forrest Gump je crois... Il me semble même qu'on a fait un film sur lui...
Des ombres bien sympathiques, chacune dans son registre
RépondreSupprimerEt le mégot de Gainsbare ? Je me demande...
RépondreSupprimerLe charme des Ombres...
RépondreSupprimerLe charme des objets animés par les rêveries des hommes
RépondreSupprimerbien composé
RépondreSupprimerLe dialogue de l'ombre. Ses souvenirs, sa musique...L'ombre du passé... :)
RépondreSupprimerLà, là, bravo, c'est excellent, belle imagination, très beau texte !
RépondreSupprimerJ'aime aussi personnifier les objets, quand l'inspiration est là...
Merci à tous !
RépondreSupprimerUne juxtaposition saisissante, étonnante et réussie! Une chute toute en déhanchements! Bravo!
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