L’ombre de la grande Coco, se profilait dans l’atelier de couture d’Emilienne.
Emilienne est née avec le vingtième siècle. A cette époque, même si
l’école était obligatoire il y avait des manquements à la loi. Pourtant Emilienne
adorait l’école et chaque fois elle s’y rendait elle travaillait avec plaisir.
La maîtresse l’aidait de son mieux. Elle adorait les livres et ne perdait
jamais une occasion de lire. Las, les petites filles étaient souvent sacrifiées
pour s’occuper des frères et sœurs ou pour aider la mère. Et pour aider la
pauvre Emilienne n’était jamais en reste. Faire le ménage dans les maisons
bourgeoises comme on disait dans les temps anciens. Les femmes de ménage
venaient le matin de bonne heure pour aider les servantes commensales. Entre
serpillière et balai, chiffon à poussière et seau d’eau, Emilienne se dépêchait :
plus vite le travail serait fait, plus vite elle partirait pour l’école. Les
temps ont bien changé.
Un lundi matin en arrivant,
elle apprit par hasard que la petite bonne Vivi, à peine plus âgée
qu’elle avait été renvoyée. On chuchotait des mots dans les couloirs ;
renvoyée, faute, malfaisante, elle s’est fait biquée, enceinte, un polichinelle
dans le tiroir. On riait sous cape de la mésaventure, on se gaussait à petits
rires étouffés. Emilienne ne comprit que le mot « renvoyée » et elle
eut un pincement au cœur car elle aimait bien Vivi. Personne à part la lingère
ne prit la défense de cette petite. Sa mère lui dit de remplacer Vivi en plus
de son travail habituel et Emilienne pénétra pour la première fois dans la
grande bibliothèque. L’odeur de papier
ancien, de parchemin, de vélin, de cuir et d’encre flottait dans l’air ;
l’encre comme à l’école. Elle n’avait jamais vu autant de livres. Elle ignorait
que cela puisse exister. Elle dut s’asseoir… Elle avait le tournis. Elle se
laissa choir près d’une petite table.
C’est alors qu’elle aperçut un livre ouvert. C’était plutôt une sorte
d’album. Une gravure de mode, un dessin
à la plume, montrait un enfant apparemment un garçon qui jouait au sol avec une
robe. Elle n’avait jamais vu de petit garçon en robe… Cela ne se faisait que
dans la « belle société ». Sur une autre page, elle découvrit une
poupée. Elle fut très émue. D’abord
parce qu’elle n’en avait pas ; en fait de poupée elle jouait en cachette
avec les petits chats : il y en avait tant autour de l’immeuble, ensuite
parce que la robe à volants était magnifique. Elle se souvint, alors que la
maîtresse avait un jour expliqué que les poupées n’avaient pas toujours été des
jouets mais des mannequins. Elles servaient à exposer les modèles que créaient
les couturières. Emilienne tourna les pages à la recherche d’autres modèles,
d’autres mannequins.
Coudre, elle savait mais bien coudre, couper et créer elle ne savait
pas. Elle se confia à la lingère qui lui conta la vie de Gabrielle Chanel. Emilienne
se mit à rêver. Elle eut envie de toucher les tissus, doux, soyeux, chatoyants
colorés. Elle eut envie de voir de vraies dentelles. Elle avait tant aimé « Au
bonheur des dames » d’Emile Zola. Elle aurait voulu ressembler à Denise…peu
importe, elle avait son modèle, elle serait dans l’ombre de la grande Coco elle
suivrait son chemin….
Jolie chronique du passé.
RépondreSupprimerL'ombre de.... ou comment susciter une vocation....Il suffit parfois de si peu....
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