La Belle Agnès
Regardez
cette photo d’école ! Elle arrive en courant, elle arrive en fanfare à la
première page de mes souvenirs les plus doux ! Elle était là, tapie dans
un recoin de mes pensées, celui toujours fleuri de cette jeunesse éternelle, debout
sur l’autel rougissant de mes premières prières païennes adolescentes…
Regardez
comme elle s’installe en reine, pionnière, sur cette feuille tremblante !
Elle prend toute la place et ma plume exaltée la dessine moins vite que tout ce
passé caracolant qui m’assaille !... Regardez tous ses sourires gracieux comme
des laissez-passer impérieux de premier rang !
La
belle Agnès...
Elle
était pétillante, remplie de l’énergie de la Vie, curieuse de son futur et de
tout ce qui l’entourait ! Une girouette studieuse ! Elle était
virevoltante, vive comme une jeune oiselle exubérante, toujours en train de se
retourner, toujours en train de chuchoter et souvent réprimandée ou punie… Elle
était coiffée court avec des boucles de cheveux châtains qui suivaient en planant
tous ses déplacements de tête intéressée. Pourtant, son regard était droit ;
elle avait cette faculté enjôleuse de regarder dans les yeux et même au-delà.
Elle fixait son interlocuteur comme pour l’amarrer au plus près de ses
conversations.
Tout
la dissipait, tout la passionnait, tout l’interpellait. Intelligente, elle
traduisait tout.
Elle
était jeune fleur dans le champ des blouses uniformes de notre classe en couleur et les
moindres zéphyrs avaient le don d’éveiller son attention perpétuelle.
J’étais
amoureux d’elle. Ho, quelques jours seulement, parce que le cœur d’un jeune damoiseau
troublé est trop grand, trop perméable, trop émerveillé, trop explorateur ou
trop éparpillé pour garder ce merveilleux bouquet, tellement intrigant,
tellement féminin, tellement vertigineux, prisonnier longtemps dans son
cartable…
A
son insu intéressé, j’aimais
bien la regarder… Toujours débordante, démonstrative, tellement extravertie,
elle avait le don précieux de m’impressionner. Ses emportements, ses anticipations
de la réalité, ses coups de soleil dans les nuages gris de notre Drôme avaient
le pouvoir de me bronzer l’âme. Quelque part, je l’admirais sans ciller.
J’aimais bien sa fougue, ses excès intrépides et véritables, sa franchise
alerte, ses extrapolations imaginaires et, souvent, aux dépens d’une
réprimande, elle s’en allait vers la curiosité de ses regards passionnés du
côté du fond de la classe, là où j’habitais en solitaire…
Si
j’étais une attraction, tel un cancre « number one » qui
collectionne les zéros comme la distance des planètes lointaines, des auréoles
pour tous les Saints frivoles de notre église, des amusantes têtes de Toto, tu
exerçais sur moi une véritable attraction autrement plus accaparante, plus
astrale, plus rapprochante que toutes les filles gravitant dans la cour de
récréation.
Je me souviens,
pendant un cours de math, on s’était passé
des petits mots doux, pliés en quatre, qui remontaient les
travées factrices de notre classe. Je
me souviens aussi de ton empressement à lire les quelques mots benêts
que j’avais griffonnés sur le bout de papier. Je me souviens encore très bien quand tu te retournais pour me
regarder encore et t’assurer de la franchise de mes propos romantiques. Je
lisais si bien les messages qui transitaient par tes yeux délicieusement
inquisiteurs…
Et
souvent, cette prof de math, obtuse comme un angle géométrique, pointue comme
son compas, ennuyeuse comme un problème de robinet, complètement inculte aux
choses radieuses de la romance, te sermonnait avec rudesse. Alors,
toutes les remontrances aiguës que
tu supportais m’atteignaient aussi d’une douleur profonde, plus forte encore.
Je
comptais ta vaillance au nombre de fois que tu te retournais pour me regarder
et sur l’échelle de l’importance, de loin, tu avais la première place dans mon
cœur. Tu osais, tu bravais les interdits, tu désobéissais, tu dépassais les
barrières et c’est ce que j’aimais le plus chez toi. Frondeuse, tu m’accordais
un sourire de promesse qui répondait précisément à tous mes balbutiements de
plume d’écolier. J’aimais bien notre connivence implicite à la Bonnie and Clyde, supplantant
tous les tribunaux de l’éducation nationale du moment…
S’il
t’avait connue, tu aurais pu facilement être l’égérie de Pedro Almodovar. Je
t’imagine aujourd’hui comme une Victoria Abril, cette star de cinéma que
j’adore, les sens à fleur de peau, de la palette des rires jusqu’aux larmes en
quelques notes, toujours avec la même amabilité extravertie, la même
affabilité, la même impudence communicative, les mêmes caresses verbales si
franches et si douces à la fois. D’ailleurs quand je regarde cette actrice, je
pense à toi. C’est automatique. Faut dire que la jeunesse a cet avantage de
graver les premiers sentiments dans des sillons neufs et ineffaçables ; j’aime
bien me passer ta douce musique, au saphir de la nostalgie heureuse, le temps
évanescent de ton regard appuyé dans ma mémoire…
Parfois,
j’allais jusqu’à Peyrins pour tenter de te surprendre aux alentours du grand
parc du sanatorium. Mais entre toutes les fleurs, est-ce que j’aurais pu
t’apercevoir ? Aujourd’hui, c’est une question qui est encore en suspens
dans l’élan ritournelle de mon imagination. Je ne sais pas pourquoi je te
tutoie, ma belle Agnès. C’est le fait de te parler au présent, sans doute. Je revisite
les bancs de notre classe et tu es là, souriante, spontanée, éternelle, comme
une véritable lumière ravivant des sensations cachottières avec ta frimousse
inoubliable…
Je
suis content que tu aies traversé ma vie en courant parce que tu es une belle
réminiscence, une spectatrice assidue, maintenant
accoudée dans un présent que je t’espère magnifique. Moi, j’ai gardé ton
sourire inaltérable dans mes pensées ;
c’est un bel accompagnement, comme le soupir d’une portée légère,
pendant le temps d’une musique douce, celle de l’enfance…
Ma
belle Agnès, je te remercie pour cette grande bouffée de jeunesse ; allez,
retourne vite dans la boîte de chaussures…
Un premier amour sans doute.
RépondreSupprimersuperbe portrait de cette jeune fille débordante de vie, d'humour, de subtilité. On comprend bien comment tu fus séduit par elle. Ces personnes là font partie à tout jamais de notre vie, et ornent magnifiquement nos souvenirs et notre enfance
RépondreSupprimerPascal tu avais choisi le sourire le plus malicieux de la classe
RépondreSupprimerau collège de Romans nord la belle Agnès t'a offert le rêve d'un soleil radieux
De tous tes textes c'est celui-ci qui a ma préférence, va savoir pourquoi :-)
RépondreSupprimerQuel texte passionnant, avec de si jolies tournures de phrases, aussi jolies que la belle Agnès-dans-sa- boite. Ce bronzage de l'âme m'a plu et il y a là toutes les pépites pour rendre vie aux souvenirs d'une jeunesse heureuse et on sait que de la pépite nait le feu, celui qui fait la force de l'écriture, bravo.
RépondreSupprimerL'enfance encore enjolivée par le souvenir de l'enfance... Comme c'est joli!
RépondreSupprimerAprès les magnifiques envolées, les portraits en finesse, les mots dits et non dits, les rêves restés rêves, la triste fin dans le carton... mais le couvercle est mal refermé, de jolies pépites en dépassent...
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