La pluie tombait sans interruption depuis le matin. Le ciel était bas gris. Le niveau du fleuve était dangereusement monté mais c'était chaque fois pareil à cette saison. L'eau était marron, charriant tout ce qu'elle trouvait sur son passage.
Il y
avait peu d'embarcations ou pas du tout. Juste une personne de l'autre côté de
la rive, assise en tailleur, le nón lá, cette espèce de chapeau conique,
sur la tête pour seul rempart à cette pluie diluvienne. Je ne voyais pas son
visage.
J'avais
froid. Je m'étais réfugié dans cette cabane en bambous. Je ne savais plus où
aller. À bout de force. J'étais trempé jusqu'aux os et sûrement sous les effets
de la fièvre. Malgré l’humidité je transpirais. Mon short me collait à la peau
et ma chemise n'avait plus aucune couleur.
Depuis
trois ou quatre jours je longeais le fleuve pour rejoindre la mer. Au début je
marchais assez vite. Je me cachais dès qu'une barque naviguait. Le vieux fusil
qui me servait de compagnon n'était plus en état de marche.
J'avais
dans ma besace quelques statuettes volées au Cambodge. Depuis quelques années,
j'en faisais le trafic avec l'Europe. Ça me rapportait beaucoup d'argent mais
les risques étaient bien plus importants au fil du temps.
J'imaginais
qu'on était à mes trousses. La police, une milice privée, je ne savais pas.
J'avais pu faire quelques miles en bateau, plus en amont, avant que le temps ne
change. Un commerçant du marché flottant avait bien voulu me prendre à son
bord. Je m'étais isolé à l'intérieur pour essayer de dormir un peu mais l'odeur
nauséabonde du durian et les moustiques m'empêchèrent de trouver le
sommeil. Je n'avais pas fait le bon choix. Je n'avais pas idée de l'endroit où
nous nous trouvions, peut-être au Vietnam maintenant.
Je
quittai le bateau lorsqu'il s'arrêta, l'hélice était bloquée. Le fleuve
charriait tellement de choses. J’avais continué à pieds. Je me nourrissais
uniquement de fruits ces derniers jours et
mes intestins semblaient à saturation.
Je
devais rejoindre le delta plus au sud. Là un contact m'aidera pour écouler la
marchandise et me faire remonter jusqu’au Laos.
Pour
l'heure mes jambes tremblaient. Je me sentais très mal. J'avais peine à tenir
mes yeux ouverts. Je n'avais pas vu venir cette vieille dame qui m'épongeait le
front. Elle avait la peau tannée, un visage sans expression, les dents noires
de trop de bétel, elle dégageait à la fois une odeur de fruits mûrs et
de poisson fumé. Lorsqu'elle me souleva la tête pour me faire boire une espèce
de potion, j'éructai recrachant tout. Impassible, elle recommença.
Lorsque
j'ouvris les yeux il faisait nuit. Dans un demi-sommeil je cherchais des points
de repère. Je m'assis subitement ne reconnaissant rien, de la natte sur
laquelle j'étais allongé au mur en
chaux. Seule la lune, toute blanche éclairait la pièce. J'étais en slip, un mal
de crâne violent me secoua alors que je bougeais trop vite, comme une décharge
électrique. Je n'avais plus de vêtement, plus de besace, plus de fusil.
Je me
levai tout soudain puis retombai aussitôt. Mes muscles ne me supportaient pas.
Combien d'heures, de jours étais-je resté inconscient ? Qu'est-ce que la
vieille m'avait fait boire ? Étais-je prisonnier ?
Dans
mon délire je rêvais de Beth, je l'avais lâchement abandonnée. Depuis des
années nous faisions équipe. Nous avions des contrats avec de grands musées en
Occident. Mais je voulais prendre ma retraite, m'assurer une vie paisible dans
le Sud-est asiatique. J'aimais les frissons que me procurait cet endroit de la
planète. Et puis j'étais incapable de vivre ailleurs.
Il
était au dessus de moi. Le sourire carnassier en avant. Le coup de pied dans
les côtes qu’il m’adressa me cloua sur place.
–
Enfoiré ! Dit-il, c'est moi l'héritier du delta.
Bien que délavés, on sent bien les parfums d'Asie dans ce début d'aventure. Souhaitons un bon rétablissement à ce héros en quête d'héritage...
RépondreSupprimerDes lavées en Asie du Sud-Est il y en a ;-)
Supprimerici aussi, tout est réuni dans ce début de roman d'aventure pour nous donner envie d'une suite : l'exotisme, le danger, le trafic...
RépondreSupprimerJ'y ai pensé et j'y pense mais c'est tellement facile d'écrire quelques lignes qu'un livre
Supprimerl’atmosphère pesante, la marche forcée et inquiète, les odeurs, les bruits, les mystères imaginés, les dangers et les douceurs cachées de cette Asie là ... tout est prêt pour une aventure palpitante ... Y a plus qu'à ... :o))
RépondreSupprimerCa sent Corto Maltese : on est parti, ça y est ! Seigneur, l'héritier du delta n'a pas l'air commode du tout !
RépondreSupprimerUn aventurier doit s'attendre à tout. Y compris les coups de pied dans les côtes!... :)
RépondreSupprimerUn début bien accrocheur ! À quand la suite ?
RépondreSupprimerAllô Fred ! Je viens de découvrir une autre belle « plume » ! ;o)
RépondreSupprimerseulement UNE autre ? j'en vois une foultitude de belles, ici !
RépondreSupprimerwaouh, la belle histoire d'aventure, quelle ambiance, bravo !
RépondreSupprimerje crois que mon com s'est fait la malle ?
RépondreSupprimerL'ambiance est bien décrite...juste ce qu'il faut pour devenir humble quémandeur de la suite...
RépondreSupprimer