jeudi 1 octobre 2015

Pivoine - Un beau salopard

« Unchained melody »

Un lieu : une boîte de nuit, quasiment en face de l'hôtel A***, dans une station balnéaire non dénuée de charme, et la mer du Nord, en Belgique.

Un temps : une nuit pendant les vacances de Pâques. Il y a bien longtemps.

Les acteurs : une bande de jeunes, entre seize et vingt ans, dont les membres se connaissent depuis quelques années déjà. A dix ans, ils ont vu les mêmes films à la télé, en ricanant devant les couples qui s'embrassaient. A quatorze ans, ils ont joué au ping-pong des soirées entières, radios branchées sur d'anciens succès des Beatles... Heureux temps. Ils se perdaient de vue après chaque retour, le dimanche avant le « souper » puis se retrouvaient aux vacances suivantes, avant l'apéro des parents et le « dîner », avec la phrase rituelle « quand est-ce que tu pars ? »  

Les aînés, eux, allaient s'ennuyer (ou faire semblant de s'ennuyer) dans les boîtes de nuit de la côte, les King et la Barque à Jack, et les plus jeunes attendaient leur tour en jouant au Mille Bornes.

Son tour était venu. Elle était au King, comme les autres avant elle. Elle accompagnait quelques filles, déjà étudiantes en supérieur, qui ne devaient plus s'évader de l'hôtel par les chambres des serveuses, au sous-sol. Grégoire, un garçon, plus jeune qu'elle, les suivait. Elle l'avait connu, non pas haut comme trois pommes, mais enfin, elle le considérait plutôt comme une sorte de petit frère. Assez gentil d'ailleurs.

Seulement, Grégoire, le (faux) petit frère avait un ami... Un bad boy, moqueur et arrogant, pour autant qu'on puisse l'être à dix-huit ans, une petite amie dans sa ville, une petite amie  à la mer, et indiscret (il lui avait un jour piqué son journal intime qu'elle avait eu l'imprudence d'emmener en vacances). Un garçon peu séduisant, mais le dragueur type, on l'aura compris, elle ne l'aimait vraiment pas beaucoup.

Je ne sais pas si elle s'ennuyait, au King, mais la face du monde changea quand le « disc-jockey » enclencha une multitude de slows. Grégoire vint l'inviter. Bien que toujours son cadet d'un an ou deux (une éternité, à cet âge-là), il avait brusquement poussé et la dépassait, mettons d'une petite tête.

La musique était douce, l'ombre était bleue, les lumières étaient  calmes, il dansait bien, étonnamment bien, c'était comme une poésie, et leurs corps s'épousèrent parfaitement. Oui, parfaitement. Elle avait eu déjà quelques danseurs plus ou moins habiles, qui avaient une conversation banale (ou pas de conversation du tout), et certes, ils ne se parlèrent pas. Pas besoin. L'harmonie était totale. Toute la série de slows y passa, mais elle eut une fin. Les autres filles étaient parties. Elles avaient fait un petit signe et ils avaient continué à danser. Elle était trop novice, trop timide, pour prendre une initiative (laquelle d'ailleurs?) et lui parler. Que dire, en effet, après ce subtil changement de perspective?

Si inattendu pour chacun d'eux.

Le lendemain, au petit déjeuner, elle observait l'entrée de la salle à manger. Grégoire franchit la porte. Elle capta son bonjour et son expression légèrement troublée. Et celle de son copain. Franchement rigolarde. Elle pensa « c'est fichu ». Qu'importait ? Elle aimait ailleurs, de toute façon.

Le Bad boy, non content d'avoir deux petites amies dans sa vie, récupéra son poulain, le poulain n'osa plus la regarder, ils rentrèrent chez eux, chacun de son côté, s'aperçurent encore, à des soirées dansantes d'école, mais ne dansèrent plus jamais ensemble, et ne se dirent plus jamais bonjour. 

Où lire Pivoine

8 commentaires:

  1. L'arpenteur d'étoiles1 octobre 2015 à 19:52

    l’hôtel royal Astrid à Ostende, peut-être :o)
    une histoire sans doute véridique, fort bien narrée (comme d'hab') ... le garçon est-il un "salopard" ou juste un dragueur sans vergogne et "bi" ... pas si grave finalement cette aventure qui, au fond, apprend un peu plus le vie, sans dommage

    RépondreSupprimer
  2. Non, sans dommage - juste avec un peu de nostalgie. Ce n'est pas loin d'Ostende, à vrai dire... Vingt minutes en tram ? Et le tram de la côte roule vite o:))) - Je n'avais pas envie de faire dans le "lourd" et c'est cette histoire-là qui m'est venue o:)))

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. L'Arpenteur d'étoiles2 octobre 2015 à 17:37

      Knokke alors ? :o)
      pure curiosité ...

      Supprimer
  3. De Haan aan zee 😉 mais on a vachement construit depuis (une maladie belge). J' y ai vu Brel tourner des scènes de Far West en novembre 1973...

    RépondreSupprimer
  4. Un petit tour et puis s'en va... Dommage, cela aurait pu être une belle histoire...

    RépondreSupprimer
  5. "La danse comme une poésie" c'est assez magnifique, cette vision. Entre litote et métaphore, j'ai plongé littéralement dans cet univers enchanteur. C'est dommage que les auteurs ne se livrent pas plus souvent à ces comparaisons d'un autre monde. Là, dans la confidence, l'échange écrivain lecteur, est toute la littérature. Oui, j'aime beaucoup ce passage.

    RépondreSupprimer
  6. une fenêtre écrite sur l'influence du regard d'autrui et de son approbation ou non sur les comportements, en particulier amoureux, et des dégâts que cela occasionne

    RépondreSupprimer
  7. Et toc... plus dure est la chute....

    Bien écrit....dans un cadre superbe... la Mer du Nord....(souvenir, souvenir de longues balades...)

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".