mardi 6 octobre 2015

Clémence - Les premiers mots d'un livre

L'invention des cendres ou les mémoires enflammées de Clémence M.



Au fil du temps, elle avait taillé des centaines de crayons et écrit des milliers de pages dans des carnets identiques à couverture noire.

Ils avaient connu tous les espaces : le dessous du matelas, l'arrière des piles de vêtements, le passage exigu entre deux livres , l'obscurité d'une sous-planche de parquet, le fond de son sac. Personne ne les avait débusqués, elle en était certaine.

Aujourd'hui, elle était seule. Tous ceux qui l'avaient accompagnée, pour quelques heures ou pour quelques années, s'en étaient allés. Sur le long voile du temps, elle posa quelques photos.

Enfant, elle avait cru ne jamais atteindre le vingt et unième siècle.

Adolescente, elle se dit que tout était possible.

Trentenaire, quadragénaire, cinquantenaire...elle découvrait à chaque décennie que c'était à cette aube toute neuve que commençait la vie, la vraie . 

Ensuite, ce ne fut plus par décennies qu'elle compta son âge, mais par bi-décennies. Elle poussa même le luxe et l'audace à fêter une première fois ses « quatre fois vingt ans » , puis une deuxième fois, une troisième fois….

Cela l'amusait de voir la mine chiffonnée des gens quand elle répondait de la sorte à ceux qui lui demandaient précautionneusement son âge. Aucun ne manquait ensuite à la féliciter, comme pour s'excuser, de sa forme éblouissante.

Après un été lumineux, l'automne flamboyant s'était installé. Elle sourit et se prit à penser à son hiver. Elle enroula un châle de laine autour d'elle, prit le panier d'osier et alla chercher du bois. Il était l'heure d'allumer le feu dans la cheminée.

Après les dorures du soleil couchant, les mauves envahissaient le ciel, juste avant la venue des étoiles.

Elle approcha son fauteuil de l'âtre et sortit son premier carnet. L'écriture était enfantine, mais franche.

« Je suis un accident... »

Elle arracha la première page et la déposa sur le feu. 

Elle saisit la deuxième page entre ses doigts et continua la lecture de sa vie.

7 commentaires:

  1. La vie nous laisse le choix de faire d'un accident une belle aventure... la longévité se mesure t elle au nombre de petits carnets réfugiés sous les matelas?
    Très belle histoire, Clémence

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  2. Oui, je confirme : très belle histoire !

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  3. Aristote disait qu'avec une vielle scribe il semblait plus intéressant de se faire tailler une plume que de lui tailler une bavette. Mais Aristote était trés mysogine.
    Peut-être causait-il de sa physiologie canine...et des possibilitées...enfin bon.

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  4. Que de carnets à découvrir et les dernières lignes sont magnifiques.

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  5. L'Arpenteur d'étoiles9 octobre 2015 à 14:45

    c'est une belle idée, mais j’imaginerai plutôt que ce chapitre là est la conclusion du livre que tu vas écrire, feuilletant les carnets de ton personnage ...

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  6. Cela se pourrait aussi, mais....
    Mon idée est la suivante:
    La narratrice relit ses carnets... et nous l'accompagnons dans sa relecture. En lieu et place de tourner les pages, elle les jette au fur et à mesure dans le feu....


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