mercredi 4 février 2015

L'Arpenteur d'étoiles - Jeux d'écriture

Le jour d’après

Il leur avait fallu du temps. Une marche sans fin dans cette plaine herbeuse au silence bruissant. Le petit groupe avançait en se frayant un chemin dans les inflorescences enchevêtrées et odorantes. Toumba marchait devant.

 Après l’apparition dramatique du Dieu Zoor surgissant du lac sacré pour emporter la fille du chef Koury dans les entrailles du volcan, le peuple de Zilla s’était disloqué.

Certains étaient restés pour vouer leur vie au culte de Zoor. Chaque treize lunes, ils trouvaient une jeune fille à lui offrir en sacrifice. Zoor, à la fois serpent et oiseau, corps d’écailles et aile de feu, poussait son mufle énorme hors de l’eau dans un jaillissement épouvantable et entraînait la victime dans les profondeurs. Ainsi, le peuple pouvait vivre en paix, sans craindre la colère du Muchinga.

Les autres étaient peu à peu partis, bravant les anathèmes et s’étaient éparpillés dans la nuit des temps.

Toumba et sa tribu avait été les derniers à quitter l’abri du ventre de la montagne sacrée. Ils avaient rassemblé leurs maigres avoirs, flèches en silex, arcs, peau de bête et avait profité de la nuit la plus noire pour filer dans l’étroite anfractuosité rocheuse, unique moyen de déboucher sur la savane. Mais ce qu’ils avaient pu conserver avec eux étaient un véritable trésor. Opposé depuis longtemps aux sacrifices, désorienté par les rites imposés par le nouveau grand prêtre, Toumba, désormais vieux sage, avait su garder dans le plus grand secret, et leur écriture, et leur mythologie fondatrice. Ces deux éléments essentiels de la civilisation du peuple de Zilla étaient à présent considérés par ceux qui le gouvernaient, non seulement comme illicites, mais encore comme dangereux, et propres à provoquer la colère de Zoor. Toumba était le dernier à pouvoir déchiffrer les pierres gravées et à en comprendre le sens. Son seul but dans sa fuite était de pouvoir transmettre à son plus jeune fils la pensée unique de son peuple perdu.

Bientôt, une colline se profila à l’horizon, baigné par les lueurs pourpres du soleil couchant. Ils accélérèrent le pas et entamèrent l’ascension d’un raidillon caillouteux. Les grandes herbes se faisaient plus rares, l’air plus frais. Toumba demanda d’aller encore plus vite. Il craignait qu’ainsi à découvert, ils deviennent une proie facile pour les bêtes sauvages peuplant la contrée. Tous obéirent et malgré la fatigue, ils se serrèrent un peu plus, les plus rapides attendant les plus lents. Les femmes portaient les enfants, les hommes forts les vieillards usés. Toumba, lui, restait devant. Il savait où il conduisait sa tribu. Les écritures sacrées lui avaient indiqué le chemin.

Au détour du sentier, ils commencèrent à entendre le bruit. Sourd, d’abord, puis de plus en plus présent. Toumba attendit d’atteindre une espèce de plateau étroit, dominant la grande plaine pour stopper la marche. Quand tous l’eurent rejoint, il prit la parole :

- regardez pour la dernière fois le mont Muchinga, là-bas, au fond du monde. Il reste le dernier dans la lumière. Nous ne le verrons plus jamais. Nous allons marcher sur des terres inconnues, ou personne n’a encore marché. Ecoutez le bruit devant nous. N’ayez pas peur. Les pierres nous disent qu’il s’agit de l'énorme chute d’eau d’un fleuve que nous ne savons pas. Derrière, se cache le pays où nous vivrons en paix, libres de continuer ce que nos vrais ancêtres avaient commencé à construire. Allons, courage, nous arrivons au terme de notre voyage. Toumba se tut. Il chargea son sac sur l’épaule et se mit à marcher. A sa suite, ils reprirent la route sans un mot, mais le cœur plus léger.

Après avoir contourné le plateau, ils s’arrêtèrent à nouveau, sidérés. Devant eux, s’élevait comme un mur immense, une gigantesque cataracte que la lune montante éclairait d’or.
Un enfant échappa à sa mère. Il s’approcha doucement du bord du chemin et, face au fleuve, se mit à fredonner une espèce de mélopée ignorée. Toumba le regarda et murmura. « C’est toi, petit qui redonnera vie à notre peuple ». Son plus jeune fils lui lança un regard sombre.

13 commentaires:

  1. Hugolien en diable ! On croit entendre "peaux de bêtes" "Toumba se fut enfui du pays Muchinga".
    Et pourtant personne ne peut chanter "Vamos à la plagiat" : c'est de l'Arpenteur tout craché !

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    1. L'Arpenteur d'étoiles8 février 2015 à 17:41

      "vamos à la plagiat" il n'y a que toi pour touver un truc pareil
      et t'as les amitiés de Victor :o))

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  2. Walt Disney sort de ce texte...!
    Oui bon, non. C'est moi qui sors, oké ;p

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    1. L'Arpenteur d'étoiles8 février 2015 à 17:47

      c'est pas tout à fait faux ... n'oublie pas d'éteindre en sortant :o))

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  3. Vegas sur sarthe4 février 2015 à 21:56

    On a envie de suivre Toumba les yeux fermés... bien qu'avec la cataracte...

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  4. Incroyable ! tu es reparti de cette ancienne histoire de type "Fantasy" qu'on avait commencé comme un dialogue en 2006
    je n'en reviens pas !
    :)
    il faudrait peut-être remettre les textes en ordre les uns à la suite des autres (sachant que tu as bien dû en écrire 80%)....

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    1. L'Arpenteur d'étoiles8 février 2015 à 17:44

      oui, j'ai repensé à Toumba et c'est depuis le mot "cataracte" que l'idée à pris corps

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  5. C'est superbe, l'Arpenteur! Ton inspiration ancestrale nous ramène dans ce coin du monde où nous aimerions vivre encore!

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  6. C'est passionnant!J'aime beaucoup cette jolie histoire que tu racontes si bien .J'ai été transportée à mille lieues:Un rêve!:o)

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  7. Bonjour l'Arpenteur ! J'aime les contes et ici j'ai trouvé de quoi me satisfaire ! Longue vie à Toumba et à sa tribu dans leur nouvelle vie !

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  8. L'Arpenteur d'étoiles8 février 2015 à 17:46

    et merci à tous de vos lectures et commentaires

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  9. Ah ! un texte qui se termine comme je dis parfois « la patte en l'air » c'est à dire sans se terminer vraiment. Surprenant et agréable. J'aime bien ! Il laisse de l'espace pour notre imaginaire.
    Comme toujours, une écriture soignée et enrichissante de mots rarement utilisés ( je parcours mon dictionnaire à presque chacun de tes textes, et je prends note ! ) et d'histoire. Bravo l'Arpenteur !

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