mardi 3 février 2015

Emma - Jeux d'écriture

(Bérénice suite...)

Le café de la gare.

Après avoir tant bourlingué, Bourg-la-reine apparut d'abord à Bérénice comme un havre de tranquillité. Néanmoins, après quelques mois, elle se surprit à traîner les pieds dans ses babouches éculées, et soupirer chaque matin en allumant son ordinateur. De plus en plus souvent elle rêvassait, sans même les voir, devant les lignes psychédéliques enchevêtrées qui zébraient son écran de veille dans tous les azimuts.

Son travail de rédacteur de guides touristiques, bien que chichement payé, ne lui déplaisait pas, bien heureuse qu'elle était d'avoir trouvé ce gagne-pain, avec pour tout CV un permis de conduire les felouques.

Docile, elle suivait les directives de son manager éditorial. Il lui avait martelé :

" Notre job, Bérénice, c'est de vendre du rêve, nos lecteurs ont besoin de croire qu'ils vont pouvoir réaliser leurs fantasmes. Ils sont pour la plupart d'âge canonique, et ils ont de l'argent. Ils croient qu'avec l'argent qu'ils ont enfin, ils vont pouvoir ranimer leurs passions de jeunesse. Entre nous, je vous le dis, il est plus aisé pour un chameau d'entrer par le trou d'une aiguille, que pour un vieux de retrouver sa jeunesse. Mais ils ont de l'argent, et nous avons le pouvoir de le leur faire dépenser."

Un mufle dépourvu de scrupules : peu lui importait que Bérénice n'ait jamais mis le pied dans les endroits qu'elle faisait "vendre", ce qui frisait l'illicite.

Et puis, un jour de grosse pluie, alors que des cataractes dégringolaient bruyamment de cette foutue gouttière crevée, en éclaboussant la fenêtre de son bureau, elle réalisa qu'il serait bien agréable d'avoir sous la main un bricoleur pour faire toutes les réparations dont la vieille maison avait besoin. Comme retaper la bibliothèque ou empierrer le raidillon qui mène à la boîte aux lettres.

Et elle réalisa le vide de sa vie affective, elle prit conscience qu'elle était à l'aube de la quarantaine, et qu'il était grand temps de rencontrer des célibataires exigeants.

Oh, elle avait bien croisé quelques Indiana Jones de pacotille, et des archéologues distraits, principalement obsédés par l'urgence de démentir ce que venaient d'affirmer leurs prédécesseurs, mais aucune aventure n'avait survécu à une saison de fouilles.

Alors elle se connecta aux sites où commencent les plus belles histoires. Comme celles qu'elle-même racontait aux candidats touristes de son guide.

Elle écarta plusieurs Titus, qui tous trouvaient son pseudo "Bérénice" délicieux.

Son choix se porta finalement sur Aurélien, un coiffeur de Mâcon, dont le portrait qu'il faisait de lui-même : pas riche, entre deux âges, aimant le jurançon et Agata Christie lui parut gage de sérieux. Ils décidèrent de se rencontrer au café de la gare de Bourg en Bresse.

La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n'aima pas comment elle était habillée. Une étoffe qu’il n’aurait pas choisie. Il avait des idées sur les étoffes.

Bérénice, qui ne s'attendait à rien, ne fut pas déçue. Aurélien était effectivement entre deux âges, mais qui ne l'est ? Et quelque peu efféminé, ce qui laissait présager de la délicatesse. Tous deux se découvrirent une passion pour le scrabble, ce qui leur parut suffisant pour convenir de se revoir le dimanche suivant, au café de la gare de Macon,


6 commentaires:

  1. Vegas sur sarthe3 février 2015 à 19:28

    J'adore cette suite - ayant moi-même rencontré ma chère et tendre sur les sites où commencent les plus belles histoires - et si en plus, tu cites Aragon...

    RépondreSupprimer
  2. mais c'est haletant cette histoire ! que va-t-il arriver pour Bérénice à la suite de cette rencontre ?

    RépondreSupprimer
  3. Voilà Bérénice qui rebondit, une fois de plus, je me demande bien où elle aura atterri dimanche soir à minuit ?????

    RépondreSupprimer
  4. Une Bérénice plutôt laide peut séduire par des voies détournées. Et qu'importe dès lors qu'Auréllien soit un peu efféminé! C'est le jeu qui compte, n'est-ce pas?

    RépondreSupprimer
  5. L'Arpenteur d'étoiles7 février 2015 à 15:04

    et voilà; l'histoire de Bérénice se continue en une histoire d'amour (ou presque), mais la rencontre avec Aurélien est prometteuse ... ou pas ...
    j'ai aimé plein de choses dans ton texte, des réflexions, des images, à la fois très vraies avec un brin de poésie ...

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".