Jandia,
Fuerteventura
Oui, « je me suis noyé dans le bleu
de ses yeux » est une phrase bateau. Pourtant la métaphore n’est jamais
infondée. J’ai rencontré Leyla – non pas Elsa ! – dans un endroit des plus
banals. Car aujourd’hui encore, les Tinder, les Happn et les AdopteUnMec ne sauraient
remplacer la bonne vieille rencontre amoureuse sur le lieu de travail. Faire
ses courses au Franprix de la rue d’Avron où n’a certes rien de très flamboyant,
mais la réalité se teinte de poésie sans crier gare lorsque, les yeux rivés
dans l’océan des yeux de la nouvelle caissière, je peinai à sortir ma carte
bleue et à composer le code. Si à l’époque on m’avait dit que j’allais prendre
autant de plaisir à faire mes courses tous les soirs pour retrouver ma
caissière attitrée, j’aurais ri au nez du Cassandre. Mais dans un premier
temps, mon destin me sembla tout sauf funeste. J’avançais pas à pas dans ma
conquête, car pêcher un gros poisson dans ses propres eaux n’est jamais chose
aisée. Pour la belle, je n’étais qu’un client parmi tant d’autres, qu’une
accumulation d’articles sur un tapis roulant, qu’un consommateur de passage
qu’on salue avant de lui demander s’il paye par carte ou en liquide. Or malgré
l’effet liquéfacteur de son regard, je pris un jour mon courage à deux mains et
proposai à Leyla – j’avais décroché son prénom une semaine auparavant – de
boire un verre après la fermeture de la supérette. J’avoue m’être senti très
faible quand elle accepta avec un grand sourire. Je me rappelle encore de ses
mots « Pourquoi pas ? ». Ce premier succès fût le résultat d’un
travail de longue haleine, à coups d’exploration minutieuse de ses horaires, de
ses études qu’elle payait grâce à ce petit boulot, des avantages et
inconvénients de celui-ci, etc.
Ce premier rendez-vous se passa à merveille. Avec la lumière tamisée de ce petit café place Gambetta, je pus enfin me concentrer sur ses paroles sans me sentir happé par ce bleu ensorceleur. Ensorceleur, oui, c’est le mot. Car en plein jour, en plein soleil d’hiver, celui qui brillait le jour de notre premier baiser sur un banc des Buttes-Chaumont, je devenais aussi irrationnel que le plongeur attiré par la profondeur de l’océan au moment même où, manquant d’oxygène, il devrait remonter d’urgence à la surface. Je ne voyais que ses yeux, sa beauté pourtant toute relative. Peut-être était-ce mon sentiment de solitude au moment de la rencontre qui favorisa ma lente noyade ? Sans doute, mais une chose est sure : j’ignorai les mises en garde de tous ces proches à qui je présentais Leyla. Les « elle a l’air tellement intéressée », ou encore les « elle ne t’aime pas » et autres « elle n’est pas du même milieu social que toi, ça ne peut pas fonctionner » apparaissaient à mon esprit déjà perdu par l’amour comme des paroles de jalousie. J’étais persuadé qu’un couple amoureux rendait jaloux jusqu’à ses meilleurs amis et je ne voulais rien entendre.
Un jour de printemps, la houle agita cette belle et calme étendue bleue. Cela faisait déjà un peu plus d’un an que nous étions ensemble. En pleine préparation d’un petit weekend en amoureux en Normandie, Leyla insista lourdement pour que nous allions à Deauville. J’avais beau lui répéter que la plupart des hôtels affichaient complet, qu’il ne restait que les palaces hors de prix et que Honfleur conviendrait parfaitement, il n’y avait rien à faire. Apparemment, Madame voulait du luxe : se pavaner dans le XXIe arrondissement de Paris, au milieu des somptueuses résidences secondaires qui décorent le littoral. Je ne cédai pas car malgré ma situation confortable de cadre supérieur, je n’avais pas les moyens pour assouvir le caprice de Bel-Amie. Je vous laisse imaginer sa tronche de mille nœuds pendant tout le weekend.
À partir de cet épisode, j’ouvris alors les yeux et compris rétrospectivement un certain nombre de choses. Leyla choisissait toujours des restaurants haut de gamme pour nos petites sorties romantiques, me laissait la couvrir de cadeaux tandis que la plupart des femmes que j’avais fréquenté auparavant tenaient à leur indépendance financière. Ainsi la houle laissa rapidement place aux vagues lorsque je mis à l’épreuve la soupçonnée courtisane. Plus de luxe, mais avec lui s’envolèrent aussi le calme et la volupté au milieu desquels notre relation naviguait avant ma prise de conscience. Ce fût donc avec une certaine distance parfois teinté d’irascibilité que Leyla accueillit ma nouvelle politique de rigueur composée de restaurants bon marché et de raréfaction de cadeaux.
Dévasté par une telle instrumentalisation de ma personne, je quittai donc le sublime Titanic et largua vaillamment les amarres par SMS. Il me fallut de nombreux et tristes mois avant de retrouver le goût à ce voyage parfois tourmenté qu’est l’amour. Mais j’y parvins. Après quelques aventures en eaux troubles, mais jamais plus sans perdre le Nord, je rencontrai la jolie Marion grâce au site AdopteUnMec. Elle avait les yeux marron, Marion, un regard à la fois bienveillant et effronté. Contrairement à la beauté de Leyla qui n’était qu’une promesse de naufrage, la mignonnerie de Marion laissait présager des instants doux et joyeux à une vitesse de croisière. Je compris grâce à – et non pas à cause de - Leyla que je n’avais pas le pied suffisamment marin pour m’aventurer dans les océans de la passion amoureuse. Heureusement que j’ai appris ma leçon et suivi ma boussole vers une étendue moins bleue, mais plus calme, celle de l’amour pacifique. Heureusement que je suis passé d’un océan à l’autre.
Où lire TomTom
Ce premier rendez-vous se passa à merveille. Avec la lumière tamisée de ce petit café place Gambetta, je pus enfin me concentrer sur ses paroles sans me sentir happé par ce bleu ensorceleur. Ensorceleur, oui, c’est le mot. Car en plein jour, en plein soleil d’hiver, celui qui brillait le jour de notre premier baiser sur un banc des Buttes-Chaumont, je devenais aussi irrationnel que le plongeur attiré par la profondeur de l’océan au moment même où, manquant d’oxygène, il devrait remonter d’urgence à la surface. Je ne voyais que ses yeux, sa beauté pourtant toute relative. Peut-être était-ce mon sentiment de solitude au moment de la rencontre qui favorisa ma lente noyade ? Sans doute, mais une chose est sure : j’ignorai les mises en garde de tous ces proches à qui je présentais Leyla. Les « elle a l’air tellement intéressée », ou encore les « elle ne t’aime pas » et autres « elle n’est pas du même milieu social que toi, ça ne peut pas fonctionner » apparaissaient à mon esprit déjà perdu par l’amour comme des paroles de jalousie. J’étais persuadé qu’un couple amoureux rendait jaloux jusqu’à ses meilleurs amis et je ne voulais rien entendre.
Un jour de printemps, la houle agita cette belle et calme étendue bleue. Cela faisait déjà un peu plus d’un an que nous étions ensemble. En pleine préparation d’un petit weekend en amoureux en Normandie, Leyla insista lourdement pour que nous allions à Deauville. J’avais beau lui répéter que la plupart des hôtels affichaient complet, qu’il ne restait que les palaces hors de prix et que Honfleur conviendrait parfaitement, il n’y avait rien à faire. Apparemment, Madame voulait du luxe : se pavaner dans le XXIe arrondissement de Paris, au milieu des somptueuses résidences secondaires qui décorent le littoral. Je ne cédai pas car malgré ma situation confortable de cadre supérieur, je n’avais pas les moyens pour assouvir le caprice de Bel-Amie. Je vous laisse imaginer sa tronche de mille nœuds pendant tout le weekend.
À partir de cet épisode, j’ouvris alors les yeux et compris rétrospectivement un certain nombre de choses. Leyla choisissait toujours des restaurants haut de gamme pour nos petites sorties romantiques, me laissait la couvrir de cadeaux tandis que la plupart des femmes que j’avais fréquenté auparavant tenaient à leur indépendance financière. Ainsi la houle laissa rapidement place aux vagues lorsque je mis à l’épreuve la soupçonnée courtisane. Plus de luxe, mais avec lui s’envolèrent aussi le calme et la volupté au milieu desquels notre relation naviguait avant ma prise de conscience. Ce fût donc avec une certaine distance parfois teinté d’irascibilité que Leyla accueillit ma nouvelle politique de rigueur composée de restaurants bon marché et de raréfaction de cadeaux.
Dévasté par une telle instrumentalisation de ma personne, je quittai donc le sublime Titanic et largua vaillamment les amarres par SMS. Il me fallut de nombreux et tristes mois avant de retrouver le goût à ce voyage parfois tourmenté qu’est l’amour. Mais j’y parvins. Après quelques aventures en eaux troubles, mais jamais plus sans perdre le Nord, je rencontrai la jolie Marion grâce au site AdopteUnMec. Elle avait les yeux marron, Marion, un regard à la fois bienveillant et effronté. Contrairement à la beauté de Leyla qui n’était qu’une promesse de naufrage, la mignonnerie de Marion laissait présager des instants doux et joyeux à une vitesse de croisière. Je compris grâce à – et non pas à cause de - Leyla que je n’avais pas le pied suffisamment marin pour m’aventurer dans les océans de la passion amoureuse. Heureusement que j’ai appris ma leçon et suivi ma boussole vers une étendue moins bleue, mais plus calme, celle de l’amour pacifique. Heureusement que je suis passé d’un océan à l’autre.
Où lire TomTom
Rue d'Avron métro Buzenval, j'ai suivi des cours d'électricité dans ce quartier !
RépondreSupprimerBelle histoire, qui pour quelques euros aurait pu te mener au Negresco ! ];-D
Une station plus loin : Maraîchers :)
SupprimerMaraîchers pour La tomate, c'est fun !
SupprimerPas mal, Célestine^^
SupprimerA chacun son océan... et son embarcation! L'important demeure toujours de savoir suivre sa boussole.. ;-)
RépondreSupprimerComment ne pas perdre le nord quand l'amour nous déboussole !
RépondreSupprimerDans une prochaine vie je me fais caissière...
RépondreSupprimerMais avec m'a chance ça risque de finir à la mer du Nord.
Mais même là il y a des palaces...
Une femme vénale...c'est vrai que ça peut exister...tu n'as pas eu de chance.
RépondreSupprimer¸¸.•*¨*• ☆
Les yeux sont faits pour y plonger et les hommes mauvais nageurs !
RépondreSupprimer@mapie, le commentaire de maryline18 répond au votre hehe
RépondreSupprimer@Pivoine oh oui. La mer du Nord peut être très chic (Sylt par exemple).
@Célestine Je suis une femme, ce n'est pas autobiographique mais purement inventé lol
@vegas et vice-versa
cela m'a rappelé la chanson très misogyne de Léo Ferré : "La chanson du scaphandrier :
RépondreSupprimer"Mets ton habit scaphandrier,
Descends dans les yeux de ma blonde.
Que vois-tu scaphandrier?
Je vois un étrange attirail:
Des fleurs, des oiseaux, du corail,
Et de l'or en fine paillettes.
Mets ton habit scaphandrier,
Descends dans les yeux de ma blonde.
Que vois-tu scaphandrier?
Je vois une source très pure,
Je vois des rires et des deuils,
Une oasis près d'un écueil...
Mets ton habit scaphandrier,
Et dans le cerveau de ma blonde.
Tu vas descendre, que vois-tu?
Il est descendu, descendu...
Et dans les profondeurs du vide
Le scaphandrier s'est perdu..."
Ah ! Mais on ne sait pas si le cerveau de Leyla est vide :)
Supprimernon, bien entendu
Supprimermais l'idée m'est venue que si nous pouvions vraiment sonder les yeux des personnes dont nous tombons amoureux nous aurions peut-être moins de déconvenue, et cette vieille chanson m'a fait un clin d'oeil
Si seulement on pouvait...:)
SupprimerTu as une écriture très fluide Tomtom. C'est un réel plaisir de te lire. ;-)
RépondreSupprimerMerci ! Alors je suis comblée si les gens ont plaisir à me lire !
Supprimerbien écrit,
RépondreSupprimerj'ai aimé ce voyage du bleu au marron
il faut trouver chaussure à son pied c'est l'essence ciel
Tisseuse nous tisse des mots scaphandre
en chanson, c'est super
du coup j'y vais de mon couplet
à chanter
sur l'air du poinçonneur de Gainsbourg
du coup aussi c'est plus une supérette mais un piano-bar
chez tomtom :)
Des choux-sucrés-salés-sous-la-mer de Chine
"Ou, quand refleuriront les lilas"
Je suis l’cœur perdu des Trois-mâts,
Le gars qu’on toise et qui ne vogue pas…
Y’a pas d’issue au fond d'la mer,
Drôle de galère…
Et je redis, scaphandre leste,
Répétant la beauté du geste,
U-ne bulle au destin noirci
De chansons qui volutent sans répit…
Affirmatif ! Vision d’un zouave,
J’suis un vrai cave…
Et près du dôme, on prend son pied,
Sucrer du chou, c’est not’ métier…
J’sucr’ des choux, des p’tits choux, encor’ des p’tits choux,
Des p’tits choux, des p’tits choux, toujours des p’tits choux,
Des choux d’premièr’ zo-ne, des choux d’second’ zo-ne…
Des pe---tits choux, des pe---tits chous…
image associée:
http://i44.servimg.com/u/f44/15/74/17/15/choux410.jpg
:)
Merci :)) J'adore.
SupprimerFerré, Gainsbourg, on est loin des musiques actuelles de supérettes :)
SupprimerPassage du vénal au pacifique, de la passion à l'amour... ( confidence inutile : le marron est ma couleur préférée ;-) )
RépondreSupprimerPas inutile, mais intéressant. Je ne connais personne dans ce cas :)
SupprimerJ'aime beaucoup ! :) Le bleu pour le marron en attendant, peut-être, le vert...
RépondreSupprimerMerci :)
SupprimerDe l'océan où il perd pied à celui où il navigue dans le bonheur. J'ai bien aimé ton choix de mots "marins". Lecture agréable.
RépondreSupprimerMerci ! Et oui, je suis bien restée dans le thème^^
SupprimerSi les cadres supérieurs ne peuvent plus se payer Deauville on comprend que les caissières aient envie de se faire payer la visite de la Cité interdite ! ;-)
RépondreSupprimerJe mets vingt centimes dans le juke-box pour écouter celle-ci :
https://youtu.be/oR8fghr1FWw
Et OK je sors tout de suite, honteux d'avoir été aussi iconoclaste sous ta chouette et poétique contribution au thème !
Je rappelle qu'elle était caissière pour payer ses études, donc plus une Rastignac qu'autre chose. Mais merci pour ton gentil commentaire :)
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