Le metze.
Il s'appelait Barthélémy
mais tout le monde lui disait Berthou ou le metze. Il habitait dans
la vallée qui séparait deux villages perchés sur des collines se
faisant face et appartenant à deux communes distinctes.
Berthou vivait avec sa
femme et son fils un peu simplet près de la rivière la Menaude à
la Ville en Bois. Qui avait donné ce nom farfelu à cet endroit ? Je
ne sais pas mais mon imagination fertile de gamine me donnait à voir
une cité construite entièrement en bois. Comme au Moyen Âge.
J'avais hâte de visiter le lieu mais ne pouvant m'y rendre seule, je
dus attendre quelques années pour le découvrir.
Ma déconvenue fut de
taille : il n'y avait qu'un seul foyer, celui de Berthou, soit une
maisonnette toute simple en torchis, couverte en tôle et ne
comportant que deux pièces : une cuisine et une chambre partagée en
deux par un rideau. On pouvait accéder à un grenier par
l'extérieur. Je compris peu après que c'était Berthou lui-même
qui avait baptisé son lopin de terre la Ville en Bois par dérision.
J'avais accompagné ma
grand-mère souffrant d'un mal de dos qui la faisait se plier en
deux. Bien sûr, elle avait consulté notre médecin de famille sur
l'insistance de ma mère. Mais elle savait bien, elle que le
soulagement lui viendrait du metze et uniquement de lui. Pour mes
grands-parents, les médecins étaient des ânes et leurs médicaments
des saloperies qui vous rendaient encore plus malades. Tandis que le
metze...
Le metze, c'était bien
connu, était dépositaire de secrets que l'on se transmettait dans
sa famille depuis des générations. Il tenait ses pouvoirs de sa
mère qui lui avait aussi enseigné les simples et leurs vertus.
On parlait de lui avec
respect et avec tout ce savoir qu'on lui attribuait, je m'attendais à
rencontrer un personnage extraordinaire et impressionnant. Je
découvris un petit homme sec, aux yeux très bleus et portant une
barbiche follette au menton. J'eus envie de rire : il me faisait
penser à la chèvre de Monsieur Seguin. Affable, très soigné, il
nous accueillit avec bienveillance.
- Bonjour Louise et
toi, fillotte. Finissez d'entrer. Qu'est-ce qui vous amène ?
- Ah, mon pauvre
Berthou, vous le voyez, je ne peux plus me tenir droite. Ce mal de
reins, toujours...
- Installez-vous dans le
cantou. Maria, apporte donc un peu de café et un bonbon pour la
petite. Louise, attendez-moi là. Je vais préparer ce qu'il faut.
Berthou disparut. Nous
l'écoutions aller et venir au-dessus de nos têtes et il me semblait
l'entendre parler ou plutôt réciter comme on récite des prières.
Il revint enfin tenant un petit sac de toile qu'il remit à ma
grand-mère.
- Voilà Louise. Je vous
ai arrangé un sachet d'herbes de la Saint Jean. Les sept plantes
sacrées cueillies le 24 juin à la pique du jour, alors que la lune
se retire et que la rosée se dépose. Il y a là armoise, bourrache,
millepertuis, chélidoine, reine des prés, joubarbe et lierre.
Attachez ceci à votre ceinture et n'oubliez pas : vous brûlerez le
tout dans le feu de la prochaine Saint Jean.
Quand ma grand-mère fut
remise - peut être grâce au metze - elle reprit le chemin de la
Ville en Bois pour remercier le bonhomme. Il ne voulait pas d'argent.
Les gens qui sollicitaient ses services apportaient la plupart du
temps des provisions : café, sucre, gâteaux...J'insistai pour
accompagner ma parente.
Il faisait très beau et
la Ville en Bois m'apparut comme un petit paradis noyé dans la
verdure, bercé par le chant de la Menaude et celui des oiseaux.
C'était mieux qu'une ville, même en bois, comme j'avais pu le
supposer.
J'avais promis d'être
sage mais j'étais bien trop curieuse. Je ne tardai pas à demander
à Berthou de visiter son grenier. Ma grand-mère me gronda mais
l'homme dit :
- Laissez Louise. Il n'y
a pas de mal. Je n'ai pas de préparation à effectuer aujourd'hui.
Viens donc, gamine.
Je m'empressai de grimper
derrière lui au séchadour, comme il nommait sa soupente. Je fus
impressionnée. D'abord par l'odeur herbacée violente. Plusieurs
parfums se mélangeaient et je n'aurais su dire lequel dominait. Il y
avait des claies partout où des fleurs de différentes couleurs, des
tiges, de petits fruits, des racines séchaient. Des ficelles
allaient d'un bout à l'autre de la pièce. Y étaient suspendues des
bottes de plantes. Tout au fond, sur des étagères, des bocaux,
beaucoup de bocaux fermés hermétiquement laissaient voir des
graminées aux belles couleurs pastel. Encore un paradis. Il y avait
aussi d'autres pots devant lesquels le metze passa sans s'arrêter.
Et ce que j'apercevais était peu ragoûtant. Je n'insistais pas.
Berthou me demandait si
je connaissais certains produits de sa récolte. Oui. Je savais le
tilleul, la menthe, la camomille, le trèfle, la sauge, le persil et
d'autres encore. Mais beaucoup d'espèces m'étaient inconnues.
L'homme me donna des noms et m'expliqua à quel moment il récoltait.
Il insistait beaucoup sur la présence du soleil et de la lune. Il me
disait qu'ils étaient ses maîtres. Pour certaines racines la
cueillette ne pouvait se faire que la nuit, à la lune. Il y avait
des jours, des heures, des histoires de lune ascendante ou
descendante.
Je n'écoutais plus. Je
n'en pouvais plus. Toutes ces senteurs et le monologue du metze,
perdu dans sa passion me saoulaient. Je voulus partir.
J'écoutais, après ces
visites à la Ville en Bois, tout ce qu'on racontait sur Berthou dans
les veillées avec la plus grande attention. On parlait à voix basse
de ses petits voyages en Bas Limousin. Il allait dans la vallée du
Sorpt, au Puy Lagar, là où poussent par extraordinaire de
nombreuses espèces méditerranéennes. Il y récoltait une plante
dont on ne prononçait pas le nom mais dont les pouvoirs étaient
multiples. Son expédition se faisait en août, à la lune rouge ou
surtout en octobre à la lune rouge de sang.
On disait que Berthou et
cette plante étaient liés par un secret et qu'il fallait que le
bonhomme obtienne l'autorisation de la mandragore - puisque c'était
elle - pour en distribuer avec parcimonie et pour des usages bien
précis. Cependant les mauvaises langues arguaient que Berthou
s'amusait parfois...
Si vous chercher la
signification du mot metze vous trouverez :" meige en vieux
français, désigne en patois limousin le médecin, le mage et le
magicien. Nul doute que Berthou était tout cela à la fois. Il fut
un des hommes les plus surprenants que j'ai connus.
Très très bien, y aurait de quoi écrire une nouvelle (un roman pour quelque romancier bavard). Et talent de conteuse avec ça.
RépondreSupprimerOullaah ! Je lirai ça, ce WE. Y a du lourd, on dirait ;)
RépondreSupprimerTu nous fait voyager avec cette histoire de metze et de ses médecines.
RépondreSupprimerEnvoutant et passionnant
J'ai bien visualisé le grenier et le metze en lisant ton conte. Très bonne histoire à raconter au coin du feu. Beaucoup de mots inconnus, ce qui honne un côté terroir/transmission orale.
RépondreSupprimerBravo.
*donne
SupprimerTu dresses le portrait d'un personnage attachant, qu'on adorerait rencontrer quand on s'offre des vacances...Savoir et mystère pour un conte plus que réussi !
RépondreSupprimerTrès jolie fresque. Réel plaisir de lecture. Merci.
RépondreSupprimerJ'ai adoré ton récit qui fleure bon le vécu.
RépondreSupprimerDes personnages ainsi j'en ai rencontré un certain nombre, certains charlatans , d'autres ont un savoir constitué de bonne transmission.
Une très belle histoire qui ( peut être est ce le vocabulaire inconnu) m'a semblée exotique. J'ai beaucoup aimé.
RépondreSupprimerMagnifique, Ton récit ? Une B.D digne de Didier Comès (Silence). ];-D
RépondreSupprimerMerci pour vos commentaires.
RépondreSupprimerVoici quelques explications :
- fillotte : c'est ainsi que l'on désigne ici les petites filles et ma grand-mère m'appelait comme ça.
- finissez d'entrer : terme de bienvenue en Limousin.
- séchadour : endroit où l'on fait sécher les châtaignes ici. Le séchadour se situe au-dessus du four à pain dont beaucoup de fermes étaient pourvues. Sinon, il y avait le four banal appartenant à plusieurs propriétaires ou même au village tout entier.
Un jour, je vous raconterai la journée du pain. Une fête !
hé bien, j'ai adoré
RépondreSupprimeron est dans l'ambiance
un peu comme à la veillée, oui,
et puis tous ces termes bien sudistes
me siéent, même s'il me faut un temps d'adaptation
chez nous nordistes ce sont les rebouteux, c'est moins joli comme nom
cela fleure moins, quant au séchadour, ce nom à lui seul vaut bien le soleil
;)
Ta soupe d'herbe sauvages fait le plus grand bien à lire
RépondreSupprimerOn en ressort rasséréné, soigné et les yeux emplis de gratitude.
merci beaucoup pour ce beau récit.
Tu écris vraiment bien. ;-)
¸¸.•*¨*• ☆
Célestine, ce compliment venant de toi m'honore. Merci.
SupprimerIci, tout le monde écrit bien et beaucoup, bien mieux que moi. Mais ne soyons pas trop modeste et ne boudons pas notre plaisir ! :-)
J'aime raconter des histoires vécues, imaginées. Peu importe. Mais j'aimerais comme certains d'entre vous, savoir "manier" (le mot n'est pas beau mais exprime ce que je ressens) les mots pour qu'ils disent la poésie.Et ça... :-(
Encore merci à tous.
J'aime bien ta balade des cinq fruits et cinq légumes; c'est bien écrit, on y entre et on en sort qu'à la fin, sans avoir perdu son temps. Merci.
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