L’écume de l’amère
Un
week-end sur deux, je t’emmenais par monts et par vaux, quand j’avais ta garde.
C’était le temps imparfait où ma libido
devançait encore ma raison ; c’était le temps des conquêtes éphémères, des
rendez-vous même pas secrets et des sentiments sans amour et sans éclat.
J’avais besoin d’exister à travers qui m’admirait même si ce n’était
qu’hypocrisie, raccrocs de vie, occasions de rapprochement, étreintes fugaces.
A
l’affût d’un peu de tendresse, je me retrouvais parfois dans des situations
ubuesques, incarcéré dans des bras adversaires, bousculé par des caractères
trop accaparants, mis au ban des accusés en retard, déjeunant à une table où je
ne connaissais aucun des occupants. Cela me rappelait la Marine et ses escales
dépaysantes ; je devais sans cesse composer dans un contexte étranger en
m’affirmant, en étant à l’aise comme un poisson dans l’eau…
Tout
à coup, j’étais rasé du jour, mondain, déguisé, révérencieux, prêt à de
nouvelles expériences ! Bateau cherchant désespérément sa mer et Roméo de
fin de semaine, je bravais la fatigue, la circulation, ses bouchons, pour être
sous le bon balcon, au bon moment. J’avais des langueurs poétiques, des
largesses infinies, des idées d’offrande insensées, des bouquets de fleurs, des
envies d’explorateur assidu que je ne comprenais pas et que je ne cherchais
surtout pas à analyser. Cela, j’en suis sûr : j’étais plus fleur bleue que
les beautés que j’allais respirer…
Toi,
bien obligée, tu suivais le mouvement ; tu te retrouvais invitée chez l’une,
déjeunant chez l’autre ou encore avec des cadeaux qui te tombaient royalement du
ciel. Le samedi soir, attablée dans une cafétéria, jouant avec une nouvelle
copine, réclamant encore du Coca, c’était toujours mieux que de rester dans mon
petit appartement, bouffant des heures et des heures de télé insipide…
Yvonne,
je l’avais connue par le biais d’un site internet ; plus jeune que moi,
frisée rousse, avec une poitrine opulente, sa photo m’avait naturellement attiré.
Elle était prof d’espagnol et elle était retournée vivre chez ses parents à la
suite de son pénible divorce aux circonstances nébuleuses.
La
première fois que je l’ai rencontrée, je fus un peu déçu car elle ne
correspondait plus vraiment à ses photos étalées sur le site. J’aurais pu en rester
là, casser quelque chose qui n’avait pas encore commencé, reprendre mes billes
que je n’avais même pas lancées, mais le vin était tiré et je suis bien élevé.
J’avais peut-être besoin qu’elle pense à moi, plus que je ne pensais à elle.
Elle
était intelligente, vive, enjouée, rieuse, optimiste, tout ce dont j’étais terriblement
sevré depuis trop longtemps. Implicitement,
j’avais besoin de sa lumière pour m’éclairer, de sa chaleur pour me réchauffer,
de ses caresses pour m’enivrer et tout oublier.
Elle
habitait à Saint-Mandrier ; le soir, en semaine, à cause de tous ces
manques affectifs, je traversais Toulon pour la retrouver. Le plaisir d’aller
la voir devenait plus fort que les moments que je passais avec elle. Pendant le
trajet, je me fabriquais des montagnes de rêves doucereux où je mélangeais
allègrement mes fantasmes avec une réalité futuriste accommodante. Je roulais
vite comme pour raccourcir ce temps de guillemets en profitant du coucher de
soleil, du clapot de la mer, le long du port de la Seyne, des parfums de la
pinède, aux alentours de Saint-Mandrier. C’est sans doute cela qui aggravait
encore ma personnalité romanesque…
Elle
m’apprenait des phrases grivoises en espagnol, elle me les faisait répéter
devant sa copine, prof d’espagnol, elle aussi ; ensemble, elles étaient
toutes contentes de se moquer de mon accent et de ces mots licencieux. J’étais
le gentil toutou du spectacle et si je remuais la queue, c’était par soumission,
maintenant feinte ; nous n’étions pas de la même planète ; je savais
qu’elle serait, elle aussi, à renvoyer au néant des ratés…
Elle
ne pouvait pas avoir d’enfant et je peux te dire que tu étais une véritable princesse
quand je t’amenais avec moi…
Nous
fûmes invités chez ses parents, le jour de son anniversaire. J’avais apporté
une bonne bouteille de vin pour son père. Il était photographe à la
retraite ; il passa l’après-midi à te prendre en photos, en cherchant le
meilleur angle pour capturer tes sourires, en attendant le meilleur rayon de
soleil entre ses volets pour te flasher. J’avais apporté un grand bouquet de
roses à sa mère ; elle était ravie comme si elle n’en avait jamais reçu ou alors elle jouait bien
son rôle. Je me souviens du perroquet dans une pièce attenante, de ses
réflexions en espagnol et de ses phrases qui ne ressemblaient pas aux
miennes ; pour lui, je n’avais rien apporté…
Avec
mes cinq cadeaux qui débordaient encore de mes bras, j’avais célébré les cinq
sens d’Yvonne. Pour le goûter, je lui avais apporté de la crème de marron de
Collobrières. Elle en était folle ; c’est son frère qui m’avait renseigné
sur sa gourmandise. Pour la vue, c’est une aquarelle qui fit office de paysage
lointain, ce genre de paysage qui donne envie de s’y rendre… seul ; je
l’aurais bien gardée pour moi. Pour l’ouie, j’avais acheté, dans un coffret,
l’intégrale des chansons de Charles Aznavour, en cd ; c’était son chanteur
préféré. Pour l’odorat, je lui avais apporté son parfum attitré, celui dont
elle oignait son cou, toujours avec débordement. Et pour le toucher, je ne suis
plus tout à fait sûr mais je crois que c’était un évanescent foulard en soie,
qu’un simple souffle faisait onduler dans l’air. Elle était radieuse, Yvonne,
comme si j’étais le père Noël, non, le Messie…
Ses
parents te donnèrent une belle poupée avec un nœud rouge dans ses cheveux
frisés et son père réussit enfin sa photo avec toi, tout sourire, la tenant
dans tes bras. La télé était toujours allumée ; tous, ils suivaient de
près la « Ferme Célébrités » et les aventures de Pascal Olmeta. Entre
deux pubs, quand l’émission recommençait, on devait se taire pour qu’ils ne
perdent rien de leurs discussions cathodiques !...
Chantal,
Martine, Marie, Joëlle, Marion, d’océan sans mystère en océan abyssal, je te
baladais un peu partout, le temps de ces embarquements sans passion…
Un
jour de début d’été, Yvonne rappliqua chez moi avec sa grosse valise, un
barbecue sous le bras et un sac de sport dans l’autre main. Forçant les
barricades de ma solitude chérie et la tranquillité s’y attenant, elle venait
passer ses vacances, voire plus, si affinités. Elle investissait les
lieux ! Le coucou chanteur changeait de nid ! Au secours !...
Tu
étais chez moi pour passer les vacances, je venais de changer de traitement
pour mieux soigner cette satanée polyarthrite invalidante ; c’en était
trop.
Comme
un vieux toréador lassé de ses passes de cape, avec une seule banderille
plantée dans le cœur, je la renvoyai dans ses foyers, loin de mon arène ;
ce fut sa mise à mort. Olé…
Le besoin de tendresse nous fait parfois dépenser beaucoup d'énergie...et pas que !
RépondreSupprimerJ'ai connu itou, mon frère de solitude mal accompagnée...
RépondreSupprimerOn sent le vécu dans ton récit )
Tu pourras dire à tes petits enfants : j'ai bien vécu !
RépondreSupprimer¸¸.•*¨*• ☆
C'est dur... quelle fin !!! Olé!!!
RépondreSupprimerMise à mort de qui, de quoi ? Ola ! c'est le flamenco du boomerang !!! ;-)
RépondreSupprimerLe fameux jeune homme triste en manque de tendresse qui passe d'une femme à l'autre. Pas envie de se poser, mais pas capable de rester seul. J'adore ce récit, fait avec beaucoup de sincérité.
RépondreSupprimerbien écrit, prenant
RépondreSupprimeret la fin du balais, ça déménage sec ¡Olé!, Allez Hue Tornado...
Beaucoup d'amertume, de la tendresse aussi et surtout de la détresse chez ton personnage un peu perdu.
RépondreSupprimerAprès l'Amour, il ne reste que des ruines.
SupprimerBeau talent, c'est naturel, ça coule, on y croit, y a de l'humour, et sans doute du vécu sous une belle écriture.
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