Route de nuit.
Nous avions levé l'ancre quatre ou cinq heures auparavant. Maintenant, c’était la nuit.
Nous devions faire route entre le Sud et l'île principale d'un petit archipel qu'on nous avait recommandé. Nous étions deux à bord. Une belle unité, un vieux plan Nivelt en alu de vingt mètres qui avait dû surfer sur toutes les écumes du monde. Nous avions mangé ensemble, dehors, un poisson chassé dans l'après-midi, grillé au mouillage et, parlé un peu. Bu, pas mal… Nous nous étions mis d’accord sur la route à suivre et les options à prendre. Cela n’avait pas été difficile, l'autre était le spécialiste, l'expert, pas moi. Mais il faisait comme s’il me demandait mon avis, alors pour ne pas le froisser, je lui donnais. Nous savions bien, elle et moi que les décisions, c’est elle qui les prenait. Et, qu'elle soit une femme non seulement n'y changeait rien mais, en plus, ne posait aucune sorte de problème. En vrai, ça n’était pas une question. Elle venait de descendre se coucher. J’avais pris le deuxième quart de nuit. Il était tranquille. Nous avancions à sept huit nœuds dans le muscle du noir. A part la trace laissée derrière nous par le safran, la surface de l’eau était plutôt plane, comme un drap fraichement repassé. J’avais étarqué sévèrement la drisse de grand voile et enfilé un pull pour le confort et une paire de mitaines en polaire aussi. Comme j’avais arrêté de fumer, je m’en étais allumé une et ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé. Les premières bouffées avaient été tousseuses. Je n’avais pas aimé ça du tout. Le souvenir que j’en avais était beaucoup plus agréable que le plaisir procuré. Étais-je, définitivement guéri? J’avais pourtant juré que, le jour de mes quatre vingt ans, si j’y arrivais, je m’y remettrais avec application. Ce n’était pas gagné. Des bribes du presto de l’Eté de Vivaldi m’étaient arrivées de la cabine principale, puis plus rien que les caresses d’une paume de mer sur les flancs du bateau et le gling gling répété des boutes sur le mat. Les haubans faseyaient tranquillement. J'avais souri. Elle était la seule personne au monde que je connaisse à pouvoir s'endormir avec ce morceau à bloc dans les oreilles. Quand je le mettais à fond, sur le pont, j'étais prêt à prendre d'assaut tous les pirates du monde, sabre au clair, hache entre les dents, bandeau sur un œil !
Nous avions levé l'ancre quatre ou cinq heures auparavant. Maintenant, c’était la nuit.
Nous devions faire route entre le Sud et l'île principale d'un petit archipel qu'on nous avait recommandé. Nous étions deux à bord. Une belle unité, un vieux plan Nivelt en alu de vingt mètres qui avait dû surfer sur toutes les écumes du monde. Nous avions mangé ensemble, dehors, un poisson chassé dans l'après-midi, grillé au mouillage et, parlé un peu. Bu, pas mal… Nous nous étions mis d’accord sur la route à suivre et les options à prendre. Cela n’avait pas été difficile, l'autre était le spécialiste, l'expert, pas moi. Mais il faisait comme s’il me demandait mon avis, alors pour ne pas le froisser, je lui donnais. Nous savions bien, elle et moi que les décisions, c’est elle qui les prenait. Et, qu'elle soit une femme non seulement n'y changeait rien mais, en plus, ne posait aucune sorte de problème. En vrai, ça n’était pas une question. Elle venait de descendre se coucher. J’avais pris le deuxième quart de nuit. Il était tranquille. Nous avancions à sept huit nœuds dans le muscle du noir. A part la trace laissée derrière nous par le safran, la surface de l’eau était plutôt plane, comme un drap fraichement repassé. J’avais étarqué sévèrement la drisse de grand voile et enfilé un pull pour le confort et une paire de mitaines en polaire aussi. Comme j’avais arrêté de fumer, je m’en étais allumé une et ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé. Les premières bouffées avaient été tousseuses. Je n’avais pas aimé ça du tout. Le souvenir que j’en avais était beaucoup plus agréable que le plaisir procuré. Étais-je, définitivement guéri? J’avais pourtant juré que, le jour de mes quatre vingt ans, si j’y arrivais, je m’y remettrais avec application. Ce n’était pas gagné. Des bribes du presto de l’Eté de Vivaldi m’étaient arrivées de la cabine principale, puis plus rien que les caresses d’une paume de mer sur les flancs du bateau et le gling gling répété des boutes sur le mat. Les haubans faseyaient tranquillement. J'avais souri. Elle était la seule personne au monde que je connaisse à pouvoir s'endormir avec ce morceau à bloc dans les oreilles. Quand je le mettais à fond, sur le pont, j'étais prêt à prendre d'assaut tous les pirates du monde, sabre au clair, hache entre les dents, bandeau sur un œil !
Le noir s’était fait plus dense mais
bizarrement j’y voyais davantage. Mes yeux s’étaient sans doute habitués à
l’obscurité. J’étais sous pilote mais je jetais, de temps à autre, un œil au
cap, ainsi qu’à la voilure. Bref, je naviguais. Gentiment. J’avais en tête le
dernier bulletin de la météo marine et franchement je ne devais pas m’inquiéter
de grand chose :
Prévisions par zones valables jusqu'au vendredi 04 Fév à 22h UTC:,Nord Secteur Nord Est 3 à 4, mollissant progressivement 2 à 3 par le nord, l'après midi, puis Nord à Nord Est 1 à 2 la nuit. Quelques rafales au début. Mer calme à creux variables du nord au sud. Sud Secteur Nord Est 3 à 5, parfois 6 sur l'extrême nord au large au début, devenant bientôt variable 3 à 5, localement Nord sur l'ouest. Rafales au début. Mer calme à agitée s'atténuant un peu en fin de nuit.
J’allais passer une nuit douillette. Je veillai sur ma pote et son bateau, j’étais le seul réveillé sur toute cette mer et sur toutes les autres mers du monde entier, si ça se trouve... Même les taquets s’étaient endormis. J’avais une bouteille de vodka à l’herbe de bison à mes pieds, les jambes enroulées dans une polaire, un pull qui ne grattait pas au col sur le dos, ma tête au chaud sous son bonnet. Je pouvais attendre et le jour venir.
Je les ai entendus de suite. De suite, j’ai su que c’en était. Une escadrille de dauphins qui courraient avec le bateau et qui soufflaient en sautant ! Dans la lueur pâle de la lune, je les ai vus. J’ai vu leurs yeux qui me regardaient de côté à chaque fois qu’ils sortaient le rostre de l’eau. Je les ai vus qui souriaient. Ils souriaient! Et je le jure, non seulement ils se souriaient entre eux, mais ils me souriaient, aussi, à moi. Nous n'avions pas été présentés, mais ils semblaient ravis de me voir et de m'accompagner un moment. Ils étaient comme une chouette bande de vieux copains qui discuteraient le bout de gras en faisant leur jogging du soir et en m’invitant dans leur club. C'était renversant. J'étais renversé. Je n’ai réveillé personne, j’ai juste regardé le spectacle tel qu’il m’était donné à voir. J’avais le cœur qui battait à deux cent. Je les avais pour moi, là à dix mètres, pour moi seul. Ça a duré une bonne demi-heure et puis ils se sont lassés, je me suis dit. Ils ont disparu. Alors, j’ai descendu une, deux rasades de vodka deux pour fêter ça.
Et puis, quelques miles après, vers
l’est, ça a commencé à s’éclaircir doucettement comme si on envoyait un nuage
de lait en poudre dans le noir de la nuit. Je me suis réinstallé
confortablement au poste, un coussin sec sous les fesses et j’ai regardé le
jour prendre à l’abordage l’étrave du bateau. Mes doigts jouaient tout
seuls avec une manille comme avec un chapelet. Je me sentais baigné
par une paix profonde. En accord avec les nuages comme vapeurs cotonneuses, en
lien avec le tendu de la ligne d’horizon, en paix avec la surface plane, d'un
vert émeraude, avec le chaud du jour qui s’amenait en prenant tout son temps,
avec le chant de l’eau galopant sur le carénage et les caresses du vent dans le
haut du génois… De la cabine, montaient déjà les senteurs mêlées de café neuf
et de pain grillé... Bientôt, je verrais apparaître ses cheveux en déferlantes,
son immense sourire, même au réveil, ses yeux grands et clairs et ses seins
triomphants dessous son tee shirt...
Ce jour, il n’allait pas nous arriver grand chose, comme à peu près tous ceux que nous connaissions depuis que nous avions embarqué, voilà déjà trois courtes années, nous allions, encore, vivre ensemble une grande journée…
Ce jour, il n’allait pas nous arriver grand chose, comme à peu près tous ceux que nous connaissions depuis que nous avions embarqué, voilà déjà trois courtes années, nous allions, encore, vivre ensemble une grande journée…
En vrai, nous allions nous
contenter de la vivre. Rien d’autre.
Wouaou ! ce huis clos amoureux et marin me décoiffe !
RépondreSupprimerTu m'emmènes ?
¸¸.•*¨*• ☆
@ Celestine. ☺️
RépondreSupprimerNaviguer sans avoir le mal de mer...ça me fait rêver ! magnifique !
RépondreSupprimerJe ne sais pas trop pourquoi mais j'ai lu ton texte comme s'il s'agissait d'un rêve, ou de la nuit d'un insomniaque
RépondreSupprimerEn fait comme s'il s'agissait d'une métaphore de la vie de ce couple...
J'ai pris des embruns plein la tronche. ];-D
RépondreSupprimerOn s'y sent bien sur ce bateau , et se contenter d'y vivre avec une telle sérénité me semble une belle option. ;-)
RépondreSupprimer@Maryline 18. Merci à vous!
RépondreSupprimer@ Andiamo... Pourtant c'était gentille pétole...
@ Mapie Content que vous y soyez bien!
C'est génial de se contenter de vivre et d'observer les dauphins ; la vodka a l'herbe de bison c'est béton apparemment !!! La vie est belle sur votre bateau ! Bravo !
RépondreSupprimer@ Annick SB Merci à vous!
RépondreSupprimerJ'étais à bord de ton embarcation !!! Très joli récit, beaucoup de termes du domaine de la navigation et que je ne connaissais pas. Fallait s'accrocher parfois. J'ai particulièrement apprécié l'observation des dauphins, excellente description :p
RépondreSupprimer@ Tomtom Latomate. Content que vous vous soyez accrochée!
RépondreSupprimerTom tom ps: Amarrée?
RépondreSupprimerDu grand Chri; descriptions magnifiques, nuit envoûtante, suspens contrôlé. Plus que du Vivaldi, c'est du cinq sens que tu nous as offert. ;) Pourtant, paradoxe,la chute est brutale comme une arrivée à quai.
RépondreSupprimer@ Pascal Dupont. Brutale? Trop?
RépondreSupprimerMerci pour tous ces mots
"Les marins ont des rêves que les ports assassinent" B Giraudeau.
Supprimer@ Pascal Belle phrase, si vraie...
RépondreSupprimerEt BG s'y connaissait en marine...
SupprimerJe n'ai jamais navigué ("en vrai") sauf à la lecture de ce texte ! On est réellement embarqué. Tout y est, tous les sens y sont sollicités. Bravo !
RépondreSupprimer@ Lira Content de vous avoir embarquée!
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